« L'Eglise s'accommodait mal de ces animaux de légende. Ces créatures merveilleuses venues d'un âge plus ancien. Chimères, vouivres, bayards, tarannes, loups, piternes, licorne... De moins en moins nombreuses, elles dérangeaient toutefois encore par l'affront qu'elles faisaient à la foi chrétienne, par leur simple présence. Par la vérité de leur existence. Car elles n'étaient pas des créatures de Dieu ; elles étaient les survivantes d'un mythe que l'Eglise préférait oublier. Alors, on les appelait 'créatures du démon' et on les chassait à travers le pays. Le roi, soucieux de satisfaire les papes successifs, payait même des hommes pour se charger de cette triste besogne. C'étaient les louvetiers. » (p.12)
Dans ce Moyen-âge alternatif, la France s'appelle Gallica et l'Angleterre Brittia. La tension monte entre les deux pays depuis que la duchesse de Quienne, répudiée par le roi de Gallica, Livain VII, a épousé le roi de Brittia, Emmer Capigesne, en lui apportant ainsi les nombreux domaines qu'elle possède en Gallica...
Cette histoire vous rappelle quelque chose ? Il suffirait qu'Hélène de Quienne s'appelle Aliénor d'Aquitaine et que ses maris successifs se nomment Louis VII et Henri Plantagenêt pour que l'intrigue vous soit bien connue. En effet, tout comme Guy Gavriel Kay — qui estime que « la fantasy rend un récit universel en l'arrachant de sa gangue spatio-temporelle » — , Henri Loevenbruck a choisi d'appuyer son univers fictionnel sur une transposition à peine déguisée de l'Histoire de France et d'Angleterre.
En alternance avec ces intrigues de cour et ces alliances de puissants, nous suivons l'itinéraire de Bohem, un jeune garçon qui possède d'étranges dons. Il peut par exemple braver le feu pour sauver une « brume » — nom générique pour ces créatures fantastiques que les louvetiers jettent sur des bûchers.
Son apprentissage va s'avérer des plus conventionnels. Bohem est contraint de prendre la route après avoir assisté au massacre de tout son village — cliché incontournable en fantasy. On comprendra bien sûr que c'est lui que l'attaque visait. Il faudra attendre la page 162 pour qu'il nous révèle ce que lui-même savait déjà — sans surprise, il est un enfant trouvé — puis la page 284 pour qu'il apprenne enfin l'identité de ses parents — également peu surprenante pour qui a lu La Moïra, la précédente trilogie de l'auteur, située dans le même univers environ une génération plus tôt... Entre-temps, il sera poursuivi par les soldats du roi Livain VII, par la milice du Christ aux ordres du Pape et par les Aïshans, d'impitoyables guerriers au service des druides de la Moïra, mais il bénéficiera heureusement de l'aide précieuse des Compagnons du Devoir...
On le voit, cette suite de péripéties ne vise aucunement à l'originalité. Comme dans La Moïra, Henri Loevenbruck s'attache plutôt à écrire un récit d'un grand classicisme capable de séduire un large public, à commencer par les adolescents. Son écriture simple et son sens du récit lui permettent d'offrir au lecteur une lecture aisée et distrayante, qui ne s'adresse pas vraiment aux connaisseurs du genre désireux de sortir des sentiers battus et rebattus, d'autant plus que l'aspect politique n'a pas suffisamment de souffle ni les personnages de force pour rivaliser avec les romans d'historic fantasy de G.G. Kay.
Pourtant, Loevenbruck écrit aussi : « La poésie n'est pas qu'apparence, tu sais, elle est aussi raison, sens... Elle doit dire de profondes choses, dire ce que l'on croit et que l'on veut partager. » (p.206) Les deux tomes à venir vont-ils nous faire partager de « profondes choses » ?