Autour de la cité de Samarante sur laquelle veillent six tours mystérieuses, s'étend l'aliène, une étendue sauvage, aride, inhospitalière. C'est par là que la guerre viendra, il n'y a pas d'autre accès. Au cœur de la ville vivent Cinabre, une préfigurée aux pouvoirs effrayants, bientôt poursuivie par les tueurs de l'Endocène, et Triple A, qui rêve d'escalader les tours. C'est vers eux, sans le savoir, que se dirige Oshagan, le grand guerrier, porteur de la plus puissante des armes, une forme de guerre disparue depuis mille ans. Quand-ces trois êtres entreront en collision, alors trembleront les Tours de Samarante.
Les Tours de Samarante est le premier roman de Norbert Merjagnan, un récit âpre, d'une rare ambition stylistique, dans lequel le monde tombe en morceaux, la guerre enfle sur chaque horizon et les hommes attendent le Seuil : le passage de l'humanité à une nouvelle espèce biogénique.
Après dix ans passés dans l'Internet au siège d'un grand établissement financier, Norbert Merjagnan a quitté son travail et Paris pour la région nantaise, où il se consacre désormais à sa famille et à l'écriture.
Critiques
Manuscrit arrivé par la poste dans la boîte aux lettres de la collection « Lunes d'encre », qu'on imagine chargée, Les Tours de Samarante est donc le premier roman d'un inconnu qui ne le restera pas longtemps : Norbert Merjagnan.
Oshagan, ultime rejeton d'une ancienne et puissante famille de Samarante, a passé une bonne partie de sa vie parmi les U'Fzull, peuple sauvage et prétendument barbare, afin d'échapper à une vendetta. Oshagan n'est pas content. Et il est sacrément armé. Et il revient à Samarante. Autant dire que ça va chier...
Triple A, jeune idéaliste élevé dans la fange des quartiers pauvres de Samarante, rêve d'escalader les tours de ladite cité. Un rêve de liberté qui va lui coûter son corps et le condamner à devenir l'un des yeux de la ville...
Cinabre est une préfigurée — entendez, une créature créée par biogénie. Elle possède un talent redoutable : une empathie extrême mêlée de précognition. Cinabre a un trouble passé. Et est traquée par une organisation secrète sensée avoir disparu depuis cinquante ans...
Naturellement, le destin de ces trois personnages est lié.
Autant l'affirmer d'emblée : Les Tours de Samarante, premier roman, premier volet d'une trilogie (à la fin de l'ouvrage, beaucoup semble encore à venir !), est un bouquin remarquable à plus d'un titre. Le livre se mérite, oui, parce que l'auteur fait l'économie de toute scène d'exposition. Aussi le lecteur se retrouve-t-il plongé dès la première page dans un univers futuriste (et pas qu'un peu !) extrêmement élaboré et, de fait, pour le moins déstabilisant. Ce premier choc mettra une centaine de pages à s'évacuer. Cent pages nécessaires pour s'installer dans l'histoire, mais qu'on mange néanmoins tant l'univers décrit fascine et la langue employée (redondante, au tout début, mais qui trouvera, elle, ses marques bien avant les cent premières pages) imprègne, implique. Merjagnan brosse ici une société future remarquablement élaborée au servir d'une histoire aventureuse à la brutalité sèche et sanguine. Franchement, on reste assez étonné devant la maîtrise et l'ambition de ce premier ouvrage. La science-fiction est une littérature de strates. Chaque auteur emprunte à ses prédécesseurs pour nourrir sa propre œuvre. Et Merjagnan a bien emprunté (on citera Gibson, du temps ou il écrivait de bonnes histoires, Banks, sans doute, et aussi Herbert, une ambition stylistique qui n'est pas sans évoquer Harrison, un domaine S-F, le planet opera, qui inscrit notre auteur dans la lignée d'une Vance, etc.). De fait, Merjagnan n'invente rien. Il se contente de signer un roman de S-F passionnant, brillant de par sa construction, son background et sa langue, et c'est déjà énorme.
Voici donc, à l'heure ou la S-F semble ronronner à l'ombre d'une fantasy tentaculaire, une nouvelle qui devrait ravir tout lecteur de Bifrost normalement constitué : un nouvel auteur de S-F est né. Il est extrêmement doué. Et il écrit en français ! Voui m'dame ! Vous savez ce qu'il vous reste à faire...
ORG Première parution : 1/5/2008 dans Bifrost 50 Mise en ligne le : 20/5/2009
Samarante est une ville tentaculaire aux quartiers très différents — de la Faille, la zone où vivent les plus déshérités, à Kometicon, où habitent les plus riches — qui s'étend à l'ombre des six Tours, lesquelles abritent les Ordres régissant la vie de la cité. Au sein de Samarante vivent notamment Triple A, un jeune de la Faille, qui n'a d'autre rêve que d'escalader la plus haute des tours, et Cinabre, une préfigurée — une femme génétiquement créée pour un rôle bien précis — habituée de soirées huppées. Le roman s'articule autour des destinées de ces deux personnages, ainsi que celle d'un troisième, Oshagan, un guerrier issu des peuplades nomades qui parcourent les étendues arides entre les cités. Ces destins vont peu à peu converger vers Samarante...
On a beaucoup parlé, au moment de la sortie du livre, des circonstances de la découverte de ce nouvel auteur : manuscrit reçu par l'éditeur par la Poste, soumis par un inconnu total, Norbert Merjagnan, qui n'avait jamais rien publié. Cela ressemble fort à l'émergence, en 1993, de Pierre Bordage, qui avait créé la sensation avec Les Guerriers du Silence, chez L'Atalante (même si ce dernier avait à l'époque déjà publié les premiers tomes de Rohel le Conquérant). Ce rapprochement n'est pas anodin : il y a en effet chez Merjagnan des similitudes avec Bordage, dans sa façon de dépeindre la ville, et dans sa gestion des scènes d'action. Lui non plus n'hésite pas à tuer certains de ses personnages, même si les trois protagonistes principaux restent centraux durant tout le livre.
Les Tours de Samarante (allusion à peine voilée à Samarcande, dont le nom a toujours été évocateur) est donc un premier roman. Et, en tant que tel, il souffre d'un défaut assez fréquent pour ce type d'ouvrage : l'histoire est en effet très classique. La convergence de personnages insignifiants individuellement mais dont la réunion a un impact sur l'Histoire du monde dépeint a déjà été maintes fois traitée. Il faut donc rechercher l'originalité ailleurs : dans certaines idées de l'histoire, comme le Seuil, événement au terme duquel l'Humanité fera un bond d'un point de vue évolution, donnant naissance à une nouvelle espèce. Ce Seuil — qui n'est autre que la Singularité, ce thème très à la mode actuellement, notamment dans les œuvres d'auteurs comme Vernor Vinge ou Charles Stross — est situé dans l'avenir, et imprègne donc tous les actes des personnages, qui connaissent son inéluctabilité ; tout sauf une menace, il est considéré par tous comme une étape indispensable à l'accomplissement de l'Humanité, et toute date est donnée par rapport à son avènement. Autre intérêt de l'histoire, la notion de monde à la dérive, ou les grandes découvertes technologiques ont eu lieu dans le passé et ont pour la plupart été oubliées. Tout ceci confère à donner à ce livre un ton propre et une ambition certaine, et justifie amplement le choix de Gilles Dumay d'avoir publié ce nouvel auteur.
Mais là où Merjagnan étonne vraiment dans le cadre d'un premier roman, c'est par son style déjà très sûr, même si parfois on pourrait lui reprocher d'en faire un peu trop. Rares sont les auteurs français capables d'écrire aussi bien et aussi dense, et je parle ici d'écrivains reconnus. Dans le paysage actuel de la SF française, son style se rapprocherait de celui d'une Catherine Dufour dans Le goût de l'immortalité, c'est dire.
Les Tours de Samarante est donc une excellente surprise, et tient toutes les promesses annoncées par son éditeur. Reste à voir si Norbert Merjagnan saura transformer l'essai, par exemple dans une suite à ce livre, qui a en effet une fin ouverte (et donc forcément un peu décevante), l'auteur ayant en outre indiqué qu'il envisageait d'écrire de nouveaux romans dans l'univers de cette ville envoûtante qu'est Samarante.