DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : avril 2008 Recueil de romans, 736 pages, catégorie / prix : 29 € ISBN : 978-2-207-25975-7 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
Couverture à rabats. Chaque texte de l'auteur est précédé d'une introduction inédite (écrite pour l'occasion) et traduite par Gilles Goullet. La traduction de "Mysterium" a été révisée par le traducteur. On notera la faute d'orthographe sur le prénom de Sturgeon en quatrième de couverture.
Parce qu'une explosion a endommagé le complexe de recherches de Two Rivers, les pompiers locaux, dans l'incapacité de contacter l'armée, se rendent sur les lieux à la recherche de survivants... pour aussitôt rebrousser chemin. Certains ont vu des anges jaillir des flammes. Pour d'autres, il s'agissait de monstres terrifiants. Et ce n'est pas le plus étrange, car autour de Two Rivers la forêt a changé. Visiblement plus ancienne, elle coupe désormais toutes les routes d'accès.
Révélé au grand public par le succès mondial de Spin, Robert Charles Wilson a publié son premier roman, La Cabane de l'aiguilleur, en 1986, mais ne connaîtra son premier véritable succès que huit ans plus tard avec Mysterium, lauréat du prix Philip K. Dick 1994. Outre les romans La Cabane de l'aiguilleur et Mysterium, sont aussi au sommaire de ce volume six nouvelles inédites en français, dont « Le théâtre cartésien », lauréat duTheodore Sturgeon Mémorial Award 2007, et « Julian », finaliste du prix Hugo 2007.
Robert Charles Wilson, né en 1953, a reçu le Prix Hugo 2006 pour Spin (Denoël, 2007).
Suite au succès de Spin, qui reçut le prix Hugo en 2006, nous arrivent les premiers romans inédits de Wilson. La Cabane de l'aiguilleur, dans le volume omnibus Mysterium, et Ange mémoire, sont respectivement ses premier et deuxième romans. Si leurs thèmes sont assez anecdotiques, on retrouve d'emblée cette approche qui n'appartient qu'à lui, centrée sur les personnages. L'intrigue est au service moins de l'histoire que de la psychologie des protagonistes centraux, qu'elle permet de révéler progressivement.
Ainsi, dans La Cabane de l'aiguilleur, l'originalité du roman tient dans le choix du contexte, à savoir la Crise de 1929. On y décrit merveilleusement le sort des miséreux jetés sur les routes et traqués par la police ou les milices méfiantes envers les vagabonds, ainsi que le caractère pudibond et guindé des travailleurs des petites bourgades. L'irruption de deux êtres au comportement étrange, manifestement venus d'ailleurs, et qui cherchent à se rejoindre, ne peut que faire entrer en ébullition tout ce petit monde pétri de peur, d'envie et de suspicion. Travis Fisher et Nancy Wilcox, confrontés à l'inconnu, sont forcés de choisir leur camp, ce qui ne va pas sans mal quand, comme Travis, on a nécessairement gardé quelques mauvais côtés des préjugés dans lesquels on a baigné.
Le conformisme moral, l'intolérance, surtout liés aux croyances religieuses, est un thème récurrent dans l'œuvre de R. C. Wilson, magistralement exploité dans Mysterium, qui a obtenu le Memorial Philip K. Dick Award en 1994. Une petite ville des États-Unis se trouve transportée dans un univers parallèle à la technologie moins évoluée, où sévit une théocratie aussi sévère qu'impitoyable, et doit faire face aux conséquences de ce déplacement spatio-temporel (pénurie alimentaire, absence d'électricité, etc.). Les proctors (la police religieuse de cette Amérique du nord alternative) dépêchent Evelyn, une ethnologue dont les travaux frisent parfois l'hérésie, pour étudier ce morceau de civilisation étrangère qui devient soudain l'objet de convoitises, à cause de ses secrets technologiques.
À ces deux romans, Mysterium et La Cabane de l'aiguilleur, qui composent l'essentiel de l'omnibus « Lunes d'encre », s'ajoutent six nouvelles inédites, dont une, « Le Mariage de la dryade », reprend l'univers de BIOS (cf. critique in Bifrost n°26). Deux très courtes fictions se penchent sur la problématique du voyage spatial réservé aux machines (« Le Grand adieu ») et sur le concept de communauté partageant les mêmes goûts (« Les Affinités »), question essentielle à l'heure où Internet propose à chacun de retrouver ses semblables. « Le Théâtre cartésien », lauréat du Sturgeon Award 2007, traite de la notion d'intelligence artificielle et de la conscience des machines avec une rare finesse : un artiste présente dans son spectacle un gel prenant la forme de l'être vivant auquel il est connecté et qui, une fois déconnecté de l'original, diverge et « meurt ». Autour de cette trame tout à fait fascinante, traitée de façon perverse, voire diabolique, Wilson tire des motifs et des effets typiques de son approche originale. « YFL-500 », qui présente le moyen qu'a trouvé un artiste incapable de rêver pour réaliser des œuvres fortes, se déroule dans le même univers ; il s'agit davantage d'une nouvelle à chute, mais qui fait forte impression. Enfin, « Julian : un conte de Noël » se situe à nouveau dans une théocratie intolérante, au XXIIe siècle, alors que la pénurie de pétrole et le déclin de la société d'abondance a considérablement remodelé la société. Il s'agit d'une autre pièce superbe à la hauteur des attentes placées en Robert Charles Wilson.
Précisons que ce recueil, sans équivalent à l'étranger, est commenté par l'auteur et préfacé par Jacques Baudou qui, brièvement, retrace la carrière littéraire de l'auteur. On ne peut qu'être enchanté par ce copieux volume qui prouve, s'il en était encore besoin, que Robert Charles Wilson, dès le début, était porteur de tout un monde sensible et original.
Incontournable.
Notes :
1. La partie de la chronique consacrée à Ange mémoire n'est pas reproduite ici. [note de nooSFere]