(critique commune aux deux volumes)
Quelques mots tout d'abord pour signaler que ce roman paraît dans le tout nouveau label de Calmann-Lévy, Orbit France. Orbit est un label du groupe Hachette, déjà présent en Angleterre, aux États-Unis et en Australie. Il a été décidé en haut lieu de créer une branche française de ce label, au sein des éditions Calmann-Lévy (qui appartiennent également à Hachette), où Orbit prendra la suite de la collection Fantasy. Ces manœuvres éditoriales visent essentiellement à donner au sein du groupe Hachette un espace privilégié aux genres de l'imaginaire. C'est Audrey Petit, également directrice de collection en Livre de Poche Fantasy et chez Mango « Autres Mondes », qui est à la tête de ce label. Sébastien Guillot, directeur de la collection Fantasy, reste à la tête d'Interstices, qui n'est pas impactée par ce changement. Parmi les premiers textes publiés par Orbit, on trouve J.V. Jones (bof), Stephen Lawhead, Kristin Cashore... et donc Brandon Sanderson.
Brandon Sanderson est un auteur américain né en 1975. Elantris est son premier roman publié, en 2005 ; il s'agit de plus d'un roman unique, chose suffisamment rare en fantasy pour être signalée. Depuis, il a fait paraître une trilogie de fantasy (tiens tiens), Mistborn, et débuté une série pour la jeunesse, Alcatraz Smedry. Ces romans ont eu un certain succès, d'où le choix de Sanderson par la veuve de Robert Jordan pour finir le cycle de la Roue du Temps.
Elantris est le nom d'une cité fabuleuse, dont les habitants étaient tels des dieux. Mais voilà, dix ans avant le début de ce roman, une catastrophe a eu lieu, qui a précipité la chute d'Elantris devenue depuis lors un bidonville. Mais le Shaod a continué : cette mutation, qui s'opère au hasard sur certains individus, les magnifiait du temps de la splendeur d'Elantris. Désormais, elle les couvre d'une peau sombre, avec des cloques et autres particularités disgracieuses. Les victimes du Shaod sont alors enfermés à Elantris. Cette transformation s'attaque un jour au prince Raoden, l'un des rares membres de la noblesse de la ville proche de Kaë, dans le royaume d'Arélon, à être respecté par ses citoyens. Il est donc confiné dans Elantris où il va tenter de ramener l'ordre mis à mal par des groupes violents et antagonistes. Au même moment, sa fiancée Sarène, une princesse d'un autre royaume qui veut s'allier à l'Arélon, arrive à Kaë, où l'exil de Raoden a été maquillé en décès. Inconsolable, elle va vite se rendre compte des dysfonctionnements d'Arélon et monter un groupe dissident pour tenter de prendre le pouvoir. D'autant plus qu'un autre personnage, nettement moins recommandable, projette d'en faire de même : Hrathen, grand-prêtre venu du Fjorden, un royaume aux vues expansionnistes. C'est le triple destin de ces protagonistes, ainsi que d'une foule de personnages secondaires, qui nous est narré ici.
À la lecture d'Elantris, on a peine à croire qu'il s'agit là d'un premier roman : on a affaire à de la fantasy ambitieuse, qui ne néglige pas pour autant le plaisir de lecture. Les personnages sont bien campés, notamment les trois principaux, et leur évolution au cours du roman bien gérée : Raoden qui va faire de sa disgrâce une force pour franchir un palier dans l'apprentissage de son rôle de dirigeant ; Sarène, femme volontaire, qui va apprendre à naviguer dans les sphères diplomatiques ; et Hrathen, dont l'appréhension vis-à-vis de guerres de conversion trop violentes va trouver sa concrétisation dans les événements qui vont secouer l'Arélon. Avec un auteur débutant, on aurait pu s'attendre à beaucoup d'action, histoire d'en mettre plein la vue, il n'en est rien : beaucoup de l'intrigue trouve sa progression dans les dialogues, sans pour autant que cela soit pénible à lire. On saura gré à l'auteur de nous avoir épargné le tumulte de la Big Commercial Fantasy, parfois intéressant, mais assez souvent superficiel. On regrettera néanmoins qu'il ne soit pas capable de se retenir jusqu'à la dernière page, car Elantris se termine par un spectacle pyrotechnique trop peu compatible de ce qui a précédé, et qui nuit à l'équilibre global du roman ; même s'il était prévisible que le livre se termine ainsi, il y avait sans doute la place pour autre chose que de l'action ininterrompue sur plusieurs dizaines de pages.
Un autre des talents de l'auteur tient dans son art de distiller ses coups de théâtre. À ce niveau-là, Sanderson fait montre d'une subtilité rare, de telle sorte que ces révélations ne tombent jamais comme un cheveu sur la soupe, sont parfaitement amenées, et maintiennent ainsi le rythme sans que le lecteur « sorte » du roman du fait de couleuvres difficiles à avaler.
Elantris se révèle au final un bon roman, une très bonne surprise pour un premier livre, qui pêche par quelques points (un certain déséquilibre, les 600 pages bien tassées qui auraient sans doute pu être allégées) mais qui confirme que Brandon Sanderson est bien un auteur à suivre, et une bonne pioche pour inaugurer le label Orbit.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 25/10/2009 nooSFere