DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 356 Dépôt légal : mars 1983 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-207-30356-X Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
« Barefoot tient ses séminaires sur sa péniche à Sausalito. Cela coûte cent dollars pour comprendre les raisons de notre présence sur cette terre. On vous offre aussi un sandwich, mais je n'avais pas faim ce jour-là. John Lennon venait de se faire tuer et je crois savoir pourquoi nous sommes sur cette terre. C'est pour découvrir que ce que vous aimez le plus vous sera enlevé, sans doute à cause d'une erreur en haut lieu plutôt qu'à titre délibéré. »
Ainsi parle Angel Archer, la narratrice de ce roman qui, un soir qu'elle lisait La Divine Comédie en se soûlant au bourbon pour cause de rage de dents, a traversé les apparences. Comme les a traversés Timothy Archer, évêque, le jour où il s'est demandé si Jésus-Christ n'était qu'un trafiquant de drogue. Comme les a traversées enfin Dick le camé, le paranoïaque, le schizo, le magicien du simulacre et du délire.
Critiques
Si ce n'était un roman de Philip K. Dick, ce serait un ouvrage philosophique, métaphysique et théologique. Peut-être même ennuyeux, voire simplet. Encore qu'il ne soit pas naïf à mes yeux de s'interroger sur la validité de notre représentation du monde — mieux : sur la validité de notre perception du monde (c'est mon côté Schopenhauer). Mais Timothy Archer est un roman de Dick. Un grand roman de Dick. Le dernier. Et il résonne en nos cœurs d'une telle façon qu'il nous est quasi impossible de l'analyser en termes de critique pure. Ce livre noue des émotions. On n'a pas envie de le réduire à ses structures en l'analysant cliniquement. On est déchiré que ce soit le dernier Dick et en même temps un livre tellement vrai. Dick, même lorsqu'il semblait pris d'un léger grain à nos yeux d'Européens agnostiques était devenu l'« ami californien » : celui dont chaque livre, par avance, allait provoquer sinon l'adhésion totale du moins une émotion — de cœur ou d'intellect. Du coup, sa disparition serait sans doute ressentie moins définitive si ce livre-ci avait été moins réussi. Car on voit au travers de Timothy Archer tout ce que Dick allait pouvoir dire, en possession d'un art poétique à nouveau parfaitement maîtrisé.
Il semblait s'écarter des us et coutumes d'un genre pour accéder à une vision plus large, plus libre, plus ambitieuse peut-être de la littérature. Il se rapprochait d'une écriture qu'il avait pratiquée jadis dans Confessions of a crap artist et, sans doute, dans tous ces romans mainstream qui sont demeurés inédits. (Mais je m'interroge sur la pertinence de cette approche : faut-il donner des armes à ceux qui verront précisément en Timothy Archer un roman « qui-n'est-pas-de-la-SF », connotant cette appréciation d'un caractère péjoratif ?)
La thématique traditionnelle de Dick est toujours présente, mais argumentée comme jamais : au-delà de la quincaillerie purement SF de toute son œuvre, il s'agit bien d'une réflexion philosophique dont l'idée de base demeure la difficulté de concevoir ou de percevoir une réalité : « Ce que vous voyez n'est pas le monde mais une représentation formulée par votre esprit. Tout ce que vous connaissez, vous le savez par la foi. Mais il se peut aussi que vous soyez en train de rêver » (p. 122). Point n'est besoin d'un texte qui s'énoncerait SF par son apparence pour avancer de telles idées. Timothy Archer est un grand livre émouvant. Point.
C'est un livre empreint de culture. Une culture affichée qui n'est jamais pédanterie, car elle se critique elle-même (voir les dialogues Angel/Kirsten). Il s'agit d'une véritable érudition : rien n'est laissé au hasard, et presque rien ne relève de l'imagination de l'auteur. Les Zadokites ont existé bel et bien, et sont souvent cités dans les recherches autour des manuscrits de Qumrân. (« Zadok » doit seulement être une graphie anglo-saxonne, car les ouvrages sur Qumrân en français parlent le plus souvent de « Sadoq » et de « sadocites »). Face à la culture, seule répond la mort : telle est la conclusion de Dick. On se suicide beaucoup dans Timothy Archer et le destin y est impitoyable. La mort, le destin, la folie, et tout Dick est présent. Au surplus, l'écriture très typée, proche du hard-boiled, fait de ce cette quête un récit passionnant à la lecture ; c'est au fond d'une enquête qu'il s'agit, texte glosant d'autres textes : ces manuscrits préchrétiens qui dévoilent une « vérité » bien dickienne. Si l'anokhi, la Présence divine, Hagia Sophia n'est qu'un champignon et Jésus un simple consommateur de cet hallucinogène, alors c'est le champignon qui est Dieu et c'est lui qu'il faut rechercher. Quitte à en mourir au cœur du désert de Judée. De la logique hindoue à l'exégèse biblique, ce parcours jalonné par Dante et Schiller nous ramène au néant. Il n'est pas sûr que ce livre soit le dernier d'une trilogie qui comprendrait Siva et L'invasion divine, si ce n'est par l'interrogation mystique. Timothy Archer est un univers à lui seul : il est comme un résumé de l'angoisse métaphysique dickienne. Peut-être, en fin de compte, Dick ne pouvait-il aller plus loin. Et peut-être également avait-il enfin triomphé d'une partie de ses obsessions. Il faut souligner que le roman est monologué et que le narrateur est une narratrice : la femme, dans ce cas, n'est plus la castratrice et la dominatrice de l'univers dickien traditionnel. Angel Archer est un personnage doué d'une grande empathie, et il n'est pas neutre qu'elle demeure la seule survivante à la fin du récit.
Pour moi, il s'agit également d'un ouvrage empreint de nostalgie par ses références (essentiellement le fait d'une époque musicale : la Californie des années soixante et soixante-dix). Et comment un critique liégeois pourrait-il ne pas adhérer à un livre qui contient une phrase telle que celle-ci, dans la bouche de l'évêque Archer : « Le jour où un membre de ma congrégation se lèvera et se mettra à parler wallon, eh bien, ce jour-là je croirai à l'existence du Saint-Esprit. »
De quelque façon qu'on l'envisage, ce livre est une conclusion. Conclusion d'abord de la trilogie entamée avec SIVA,trilogie bizarre apparemment sous-tendue par un même propos (la théologie) mais dont les trois morceaux sont contradictoires. Conclusion ensuite de l'œuvre de Dick — au moins pour l'instantConclusion enfin des réflexions menées par le Berger Electrique depuis 1952...
La transmigration de Timothy Archerest aussi, et avant tout, un livre troublant. Le style en semble d'une extrême simplicité, quand il est peut-être l'aboutissement de tous les tâtonnements d'une vie d'écrivain : jeu de Fort/Da à l'échelle du roman, il voile et révèle du même mouvement, truque jusqu'au sens des mots, et se déploie comme un fascinant travail sur la fascination. La structure est sur ce point révélatrice : ellipses, raccourcis, retours en arrière se combinent pour extraire l'anecdotique, I'anéantir, et toucher à la nudité des faits. Il ne s'agit plus ici de « thèmes », mais bien de courants de pensée à l'œuvre, comme si la formidable sympathie de Dick pour l'humain l'avait poussé à incarner ses vivantes hésitations. Plus qu'un point de détail, ce mot de caritas qui traverse la trilogie en est le motif. Le moteur. Le suicide, la folie, la foi, le doute, la maladie, le malheur, l'amour — itinéraires différents pour une semblable détresse qu'il importe de comprendre jusqu'à en être brûlé. Et brûlé, Dick l'était, incontestablement. Ce livre sent le roussi. Et il a le don de consumer son lecteur...
Conclusion ? Eh bien non, pas tout à fait. Pour plusieurs raisons. Dick s'est toujours acharné à dissoudre les certitudes en les poussant au bout. Ubik, Le maître du haut-château. Le dieu venu du Centaure, SIVA, et maintenant La transmigration de Timothy Archer (pour ne citer que les plus « évidents ») : démarche ininterrompue de fusion de la vérité. Quoi qu'on en dise. Aussi l'œuvre de Dick est-elle nécessairement interminable, ouverte. Aporétique, auraient dit les anciens Grecs. D'ailleurs, tout se passe comme si la trilogie avait été écrite à l'envers, de la conclusion vers les prémisses. Lisez Dick dans tous les sens !
Et donc l'œuvre est impossible à conclure, les thèmes ( ?) impossibles à ligoter définitivement. Et on ne peut même pas dire qu'il s'agit la d'une conclusion de fait.D'autres livres restent inédits. Ceux de la bibliothèque de Fullerton, Et The cosmic puppets, bientôt réédité aux U.S.A. Et Lies, Inc.,version intégrale de The unteleported man, bientôt publié chez Berkley. Et The owl in daytight,annoncé chez Simon & Schuster. Tous inédits en France.
On n'en finira pas comme ça avec Dick, et c'est tant mieux.
Ce livre de Philip K. Dick, le dernier qu'il ait écrit et sans doute le plus achevé, regroupe toutes les préoccupations de l'auteur et récapitule toute son œuvre passée. Tragique destin que celui de Dick. Alors qu'avec ce nouveau roman il se tourne vers la recherche mystique, voilà qu'à la manière de Timothy Archer — son héros auquel il s'identifie, n'en doutons pas — le voilà parti de « l'autre côté », vers une autre réalité qui prend la coloration du Royaume de Dieu. Ce testament (spirituel) s'inscrit dans l'œuvre de Dick comme l'aboutissement d'une démarche commencée au début de sa carrière d'écrivain et qui s'est élaborée à travers ses écrits dans le but d'élucider la question du sens de la vie, à travers la perception du réel que nous dévoilent nos sens et notre raison. Dick a voulu aller toujours plus loin dans la connaissance du réel et il est donc tout à fait normal qu'il se soit posé le problème de l'existence ontologique de Dieu.
Ce livre apparaît donc comme une œuvre de théologie-fiction où s'entremêlent différents systèmes religieux et philosophiques. Pour résumer rapidement l'histoire, l'auteur nous conte les aventures de Timothy Archer, évêque du diocèse de Californie, qui remet en cause sa foi à la suite d'une découverte archéologique qui indique que le Christ a puisé ses logia — c'est — à-dire ses paroles contenues dans les évangiles — à une source antérieure à lui de deux siècles. Le Christ serait donc un usurpateur qui s'est inspiré du clergé sadoqite, descendant du grand-prêtre Sadoq. Mais, par ailleurs, il semblerait que la communion sous les deux espèces ait été inspirée de l'anokhi, un repas rituel sadoqite. Or, il s'avère que l'anokhi est un champignon vénéneux qui provoque des effets hallucinogènes comparables à ceux produits par certaines drogues. De là à déduire que Jésus serait un trafiquant de drogue, il n'y a qu'un pas.
Comme on peut le constater, drogue et religion sont les deux principaux thèmes de ce livre. Si la drogue permet de s'affranchir de la réalité présente, elle n'en constitue pas moins un faux-fuyant, une réalité illusoire ; dès lors, il est normal que Dick ait cherché dans le mysticisme une solution plus radicale à ses angoisses. Pour lui se pose alors le problème de l'existence de Dieu qu'il ne nie pas et celui de la réalité de Jésus, Verbe de Dieu qui, en revanche, lui crée des difficultés. Tout le livre tourne autour de cette question. Jésus était-il vraiment le Fils de Dieu, l'Oint de YaHWeH, le Messiah (Messie) hébreu ou ce qui revient au même le Christos (Christ) grec, celui qui est venu pour accomplir les prophéties de l'Ancien Testament, ou n'était-il qu'un usurpateur inspiré des pratiques et du savoir du clergé sadoqite ?
Dick admet l'hypothèse de la survie de l'âme après la mort mais il émet quelque réticence quant au rôle du Christ dans l'économie du Salut. En somme, il est plus facile de croire en Dieu qu'au Christ. De la sorte, Dick apparaît plutôt comme un théiste ou un déiste selon le sens que donnent les orthodoxes à ce mot, plutôt que comme un véritable chrétien. On peut toutefois regretter que sa mort mette un terme à une réflexion sur Dieu à peine amorcée. Dick avait certainement encore beaucoup d'autres choses intéressantes à dire sur la question. Personnellement, je reste un peu sur ma faim. Mais quoi qu'il en soit, ce livre est riche en enseignements et apparaît comme on sommet du haut duquel l'auteur récapitule toute son œuvre pour la transcender dans sa quête éternelle de la Vérité. Bien qu'il nous ait quittés, Dick est toujours présent parmi nous — par son œuvre d'une part, mais peut-être aussi à la manière de Timothy Archer, son dernier héros. Voilà qui devrait en tout cas inciter à lire ce roman dans lequel Dick se livre intégralement.
[Chronique portant sur la réédition de La Trilogie divine en Folio SF]
La divinité omnisciente et omniprésente est un concept récurrent chez Dick. Dans L'Œil dans le Ciel déjà, le personnage de [Tétragrammaton] contrôle le premier des mondes truqués où sont plongés les héros. Dans Le Dieu venu du Centaure, l'entité qui s'est emparée de Palmer Eldritch est le démiurge responsable des illusions qui,tôt ou tard, se substituent aux réalités ; la capacité du lecteur à distinguer les unes des autres s'estompe avec celle des protagonistes dans une atmosphère romanesque profondément gnostique. Dans Ubik, enfin, le personnage à qui l'on doit les distorsions de temps et d'espace ne se révèle que dans les entêtes de chapitres : Ubik, celui qui est tout, qui est celui qui est ; la réalité existe-t-elle ou tout n'est-il qu'affaire de semi-vies ? La question reste en suspens.
Toutefois, dans ces trois romans comme dans les autres écrits avant 1974, Dick nous laisse un appui fondamental : une réalité dont la nature ne fait pas objet de débat est supposée existante. Dans L'Œil dans le Ciel, c'est le monde des premières pages, avant l'explosion du bévatron ; dans Le Dieu venu du Centaure, le K-Priss en témoigne, puisqu'il est la porte d'entrée dans l'univers de Palmer Eldritch ; jusqu'à la dernière page de Ubik, les souvenirs de Joe Chip ou de Glen Runciter l'attestent. Le lecteur a donc le loisir de garder ses distances avec les interrogations que nous propose Dick. Ce sont des romans de science-fiction, qu'on peut lire comme de plaisantes réflexions philosophiques ayant certes un fort intérêt intellectuel, mais qu'on peut bien vite oublier lorsqu'il s'agit de prendre le métro ou de régler son tiers provisionnel.
Mais le monde de la Trilogie Divine, c'est le nôtre. En écartant l'idée de la réalité truquée, Dick accomplit ce que l'ensemble de son œuvre promettait en nous mettant face à sa question la plus critique, sans aucune échappatoire : allez-vous être capables de croire en ce que je dis ? Et là, problème. Plus question de disserter savamment de l'œuvre de Dick avec les autres membres du G.Q.I.P.E.D.A. (D.F.L.) — Groupuscule des Quelques Initiés Parmi les Étudiants de Deuxième Année (De la Fac de Lettres) — en buvant une bière et en écoutant Sweet Smoke ou Current 93 (selon âge, goûts et époque). On pouvait débattre sans complexe de la portée de romans où l'existence d'une divinité est un concept central puisque la simple idée d'y croire ne nous traversait même pas l'esprit. On se contentait d'en parler. Mais avec ses trois derniers romans, il va falloir faire un peu plus d'efforts et, pour cette raison, il convient de prévenir qu'il vaut mieux ne pas aborder Dick par SIVA. Une bonne connaissance de son œuvre passée et de sa vie aide sans aucun doute à appréhender une trilogie à forte connotation autobiographique...
Pourtant, on ne peut pas dire que Dick ne nous ait pas emmenés par la main : SIVA résume ses doutes et ses recherches pour trouver une explication intellectuellement satisfaisante à son expérience mystique de mars 74. Le dédoublement du narrateur exprime bien la distance qu'il s'efforce de garder entre sa foi en l'intuition de Horselover Fat (alter ego faisant écho au Nicholas Brady de Radio Libre Albemuth) et le scepticisme critique avec lequel il s'emploie à la contrebalancer. Mais la rigueur de son analyse l'entraîne dans des considérations que nombre de lecteurs ont eu, ont et auront des difficultés à assimiler. Notre éducation athée militante sous couvert de laïcité s'est chargée dès notre plus jeune âge de nous laisser dans l'ignorance des concepts religieux, afin de saborder notre communication avec son ennemi de toujours : l'Église, ce Grand Satan. Après tout, c'est bien normal : tout organisme de pouvoir cherche à inculquer au peuple des confusions conceptuelles qui peuvent servir sa cause. « L'outil fondamental pour la manipulation de la réalité est la manipulation des mots. Quand on peut contrôler le sens des mots, on peut contrôler les gens qui sont obligés d'utiliser les mots. George Orwell l'a mis en évidence dans son roman 1984 ». On peut donc comprendre que la relecture des Évangiles par le zoroastrisme proposé par Dick puisse laisser froid le lecteur qui ne distingue pas clairement Dieu et foi, foi et religion, religion et obscurantisme, obscurantisme et fanatisme, fanatisme et terrorisme (donc Dieu est un terroriste). Elle peut même, dans le pire des cas, le laisser croire bien à tort qu'il assiste à un prêche.
Si L'Invasion Divine peut paraître plus simple car plus romanesque, elle présuppose tellement d'informations que sa lecture ne risque pas d'éclairer la lanterne de celui qui n'aura pas été convaincu par SIVA. De plus, disons-le, le roman est décevant : les réponses aux interrogations laissées en suspens par le premier volet de la Trilogie restent très peu concluantes.
Il est intéressant, toutefois, de relever l'expression même de Trilogie Divine, qui paraît contestable. Si Trilogie il y a, elle commence avec Radio Libre Albemuth (dont le titre originel était Valisystem A), se poursuit avec SIVA (Valis) et se termine avec L'Invasion Divine (Valis regained). La parenté de ces trois romans est claire mais leur lien avec La Transmigration de Timothy Archer est bien moins évident. Certes, La Transmigration nous plonge à nouveau dans des considérations religieuses. Mais cela confirme simplement la direction personnelle et introspective dans laquelle l'auteur avait engagé son écriture. À nombre d'égards, La Transmigration est très différente des deux autres et ne leur est associée que parce qu'elle est le dernier roman de Dick. C'est ici la quête elle-même d'une vérité qui fait l'objet de réflexions et un vrai virage semble avoir été pris. Il y a des signes qui ne trompent pas : les personnages féminins chez Dick sont traditionnellement des manipulatrices, des caractères de chien ou de dangereuses cinglées. Mais le narrateur de La Transmigration est une narratrice et il s'agit sans doute du personnage le plus positif de l'œuvre de Dick. C est aussi, de son propre aveu, « le plus réel » 1. L'ensemble du roman révèle une compassion et une souffrance assumée totalement inattendues de la part du raisonneur qui avait commis Le Maître du Haut Château, Ubik et SIVA. C'est un roman écrit par un auteur réconcilié avec lui-même qui ajoute à l'acquis intellectuel de tous ses précédents romans la dimension affective qui leur faisait défaut. À ce titre, on peut prétendre qu'il s'agit du chef-d'œuvre de Dick. Il venait manifestement de trouver une réponse à ses doutes. Laquelle ? Le thème de La Transmigration, interprétation personnelle de la vie de l'évêque Pike, ne permet pas de le déterminer. Mais la rupture de ton de ce dernier roman préfigure un Dick ébloui comme un hibou en plein jour... J'aimerais vivre dans un monde où Philip K. Dick ne serait pas mort en 1982 et aurait pu continuer son œuvre car il avait encore des choses à nous dire. Son œuvre n'a pas cessé d'être intéressante en 1974. Au contraire. Tout ne faisait que commencer.