L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. La Dentelle du Cygne Dépôt légal : mars 2010 Première édition Roman, 252 pages, catégorie / prix : 3 ISBN : 978-2-84172-499-4 Genre : Science-Fiction
Est-ce le ciel ou la forêt ? Un fourmillement frémit à la limite de son champ de conscience, sensation familière associée au danger. Il se redresse à demi et s’empare de son fusil. Ses oreilles bourdonnent. L’œil à la lunette, il fait défiler différents modes de vision. Au-delà de l’espace délimité par l’ouverture de l’abri s’étend la forêt. Et au milieu, bien droit sous la pluie, un robot solitaire. Il n’a pas d’arme et se contente de regarder Syn dans les yeux.
C’est l’histoire de Syn, un trappeur accompagné de son loup au pelage greffé de bandes synthétiques, dans un monde de ruines technologiques. La menace est partout, une guerre se déclare mais Syn ne veut plus tuer ses semblables...
Seule la science-fiction peut nous donner ce vertige d’être des archéologues du futur. Dans une langue raffinée, Vincent Gessler réussit son pari de nous envoûter par son récit âpre et exaltant de l’éternelle recherche des origines.
Critiques
On pourrait facilement qualifier Cygnis de roman synthétique, à tous les sens de l'adjectif. Les multiples références qui l'irriguent en font en effet une sorte d'artefact, de produit artificiel et composite, dont le charme réside précisément dans cette mosaïque de sous-cultures littéraires, voire cinématographiques, qui en détermine le sens et la dramaturgie.
Futur lointain : le monde a connu une dévastation de forte magnitude. Syn est un trappeur cheminant au milieu des ruines, dans un décor post-apocalyptique dominé par la présence écrasante de la nature. Il n'a pour seuls compagnons qu'un loup cybernétique et un fusil. Il réussit des prouesses quasiment surhumaines au combat, qui lui permettent d'abattre toutes sortes de machines hostiles au genre humain, de sauver des veuves éplorées, et bien sûr de survivre aux embuscades dressées par ses congénères. Syn est le modèle du bon sauvage, qui se tient dans la mesure du possible éloigné des lieux de civilisation, sauf quand il cherche un peu de réconfort. Le destin de ce parangon d'honnêteté foncière et de rectitude va basculer en deux temps : lorsqu'il est sommé, à la suite d'un rapt de femmes, de choisir entre deux communautés rivales ; lorsque, cherchant à fuir ce choix qu'il ne veut surtout pas prendre, il se retrouve à sauver la veuve éplorée de trop. Commence dès lors une quête existentielle qui l'amènera à découvrir une vérité inconcevable (enfin presque).
Le plaisir qu'on prend à la lecture de Cygnis ne tient pas vraiment aux personnages, réduits le plus souvent à une forme d'épure reposante mais un brin caricaturale. Outre le trappeur, trois ou quatre individus font l'objet d'une attention particulière, sans qu'on arrive à déterminer ce qui les distingue vraiment du tout venant des communautés tribales décrites par l'auteur. Mêmes désirs, mêmes besoins, mêmes rêves. Des silhouettes plus que des figures inoubliables, dont on suit les trajectoires parfois avec un peu trop de détachement. Voilà peut-être le côté le plus déstabilisant du travail de l'auteur, qui, tenté par une approche originale (raconter le quotidien et la vie intérieure de ses personnages sous l'angle le plus banal, le plus trivial), s'essaie à une sorte de naturalisme sans jamais y céder complètement — ou alors avec quelque maladresse.
En revanche, Vincent Gessler a mis dans son récit tout le poids d'un imaginaire qui puise autant dans les miniatures du Moyen-Age que dans les fresques apocalyptiques dignes de la saga de Mad Max, ou encore dans les westerns à tendance contemplative. On pense très fort à Jeremiah Johnson, aux films de Malick, par exemple. Le souvenir de toutes ces fictions vient sans cesse, mais fort heureusement, parasiter une trame assez squelettique.
Par ailleurs, l'empreinte stylistique rattrape avec brio les faiblesses qu'on a pu relever. L'histoire, racontée sur un tempo lent, fait la part belle aux longues descriptions d'une nature sublimée (Gessler n'est pas Suisse pour rien !) que viennent scander de loin en loin quelques séquences d'action ultrarapides ou des plages de méditation d'un lyrisme joliment sirupeux. Gessler possède une écriture immersive, qui flatte les sens du lecteur, et qui évoque, pour rester dans le domaine de la S-F, la façon d'un Orson Scott Card (sagas d' « Alvin le Faiseur » et de la « Terre des Origines », même éditeur).
Excellent patronage, ma foi, pour un auteur débutant (il signe ici son premier roman) mais qui promet déjà beaucoup.
Sam LERMITE Première parution : 1/7/2010 dans Bifrost 59 Mise en ligne le : 29/11/2012
Vincent Gessler est un jeune auteur suisse, qui avait publié jusqu’à présent une poignée de nouvelles ici et là, et qui prépare actuellement une anthologie de SF suisse romande pour Rivière Blanche. Cygnis marque son passage au roman, sous une couverture pour le moins énigmatique de Yoz.
Le mystère entoure du reste le début de Cygnis. Pas tant dans le décor, puisque nous sommes ici en plein post-apo classique : suite à une catastrophe quelconque, la planète a été réduite en ruines, et les habitants doivent faire face à la neige qui s’amoncelle en couches de plusieurs mètres d’épaisseur lors de la saison froide. Syn, un trappeur, évolue dans ce monde, accompagné de son loup Ack, mi-organique mi-artificiel. Il pourchasse les robots qui pullulent sur ce monde, hostiles à l’homme, et dont certains éléments se monnayent très cher. Car la société de Syn ne s’est pas totalement coupée de la technologie : Syn notamment utilise de nombreux gadgets technologiques. Commence alors le mystère de Cygnis : comment ces appareils évolués ont-ils pu atterrir dans une société aussi peu avancée ? Et, d’ailleurs, qu’est-ce que Cygnis ? Lorsqu’une guerre éclate, Syn ne sait pas encore qu’elle aura un très fort impact sur lui et sur son monde, et qu’elle lui permettra de répondre à ces questions...
On le voit, s’il a choisi un décor classique, Vincent Gessler a décidé de travailler autour de la révélation progressive de la nature de son monde, jouant sur l’attente et les suppositions de son lecteur. Et, pour mieux le faire patienter, il a choisi un rythme très lent, servi par un style très intéressant : un présent de narration très descriptif, jusque dans le plus anodin des gestes, mais qui sait se faire plus éthéré et poétique lorsque Syn s’interroge sur ses sentiments, ses motivations, son monde. En ressort une sensation assez envoûtante : même s’il ne se passe pas grand-chose dans la première moitié du roman, on continue la lecture, comme hypnotisé. Alors, si parfois le procédé trouve ses limites – le rythme, de très lent, devient trop lent et un peu ennuyeux – Gessler réussit néanmoins son pari et nous fait apprécier sa voix originale et attachante. De telle sorte qu’on parvient sans encombre à la fin de ce joli premier roman sur la quête des origines, qui ne dévoilera la plupart de ses clés que dans les dernières pages, et comporte quelques beaux passages ; des qualités qui font de Vincent Gessler un auteur prometteur.