A L'ECOLE DE LA SF
Et lorsque l'enseignant, lassé d'un long voyage dans l'ennui des programmes et des exercices scolaires, tente d'utiliser des gadgets afin d'établir un contact, que croyez-vous qu'il se passe ? Rien. Ces ruses prévisibles, les élèves les démasquent vite : si vous croyez qu'en baptisant d'un « SF » des exercices, des approches, des thèmes traditionnels le miracle aura lieu, vous vous trompez. La SF n'est pas une potion magique. Ce livre le montre.
Pourtant, cet ouvrage insiste sur l'aspect PEDAGOGIQUE. Alors, un manuel de plus qui veut récupérer l'émerveillement des lecteurs ? Ce serait plutôt le contraire. Il met en garde contre les facilités apparentes, et il propose des expériences, axées sur l'idée de CREATION. Il faut dire que P. Ferran est bien entouré, dans son projet : Monique Battestini, J. Bonnefoy, René Durand, P. Ziegelmayer, Gérald Flot — tous des enseignants et des praticiens de la SF, de l'animation, de la pluridisciplinarité réelle. Alors cela donne « un livre clos sur un projet ouvert ». De la maternelle à l'Université, avec un humour certain, pour lier la sauce. Qu'y trouve-t-on ? Des enquêtes, d'abord, à propos de la SF dans les esprits enseignants : mieux vaut savoir à quoi l'on s'expose — ce n'est pas l'enthousiasme...
Ensuite, des expériences, racontées — pas de modèles : des exemples, et rien n'oblige à s'en tenir là. Mais, de les connaître, ça peut aider. A l'école élémentaire : ce qui attire l'enfant, où il nourrit son imaginaire — et ses connaissances (BD, TV films) et comment en tirer des jeux, des situations : la SF comme terrain de stimulation. A articuler, bien sûr, avec des échanges — sur le modèle des correspondances Freinet. SF = échange, = pôle d'attraction.
Dans le premier cycle : insistance sur les situations/genres — et ce que la notion de genre implique, pour l'écriture, pour les thèmes. Comment on passe du merveilleux à l'utopie ; ou au fantastique ; ou aux diverses rêveries de SF. En liaison avec l'Histoire, la géo, le dessin, etc. : pour retrouver une unité, loin du « savoir mosaïque ». De plus, n'oublions pas les jeux de créativité langagière : la poésie de la SF, elle s'aborde aussi par Lewis Caroll, par Michaux, par Ricardou et les mânes de Vian qui animent encore l'OULIPO. Maîtriser le langage, jouer avec lui, le rendre apte à rêver le monde.
Dans le second cycle : expériences d'écriture, conduites en classe. Composer des scénarios, ensemble, les proposer à des auteurs connus (Douay, Jeury, etc.). Ou l'inverse : leur demander des synopsis, et écrire. Pour d'autres suggestions, se reporter aux pages de R. Durand, à ce sujet.
Pour terminer, quelques réflexions, une bibliographie, un index. On l'aura compris, c'est un ouvrage remarquable, le premier de cette sorte. Il offre aux enseignants — mais aux lecteurs passionnés de SF tout aussi bien — un ensemble de propositions qui constituent une base de réflexion très appréciable. Un ouvrage de travail, informatif, drôle, pratique, non dogmatique, productif. Que demander de plus ?
Roger BOZZETTO
Première parution : 1/11/1979 dans Fiction 305
Mise en ligne le : 1/2/2012