Excellent numéro 3 de la revue téléchargeable
Angle Mort. Très bon édito, sincère et qui suscite de nombreuses réflexions, tout à fait en phase avec ce qu'on attend d'un éditorial. Les quatre nouvelles sont sans exception d'un très bon niveau et très variées. Comme d'habitude, chacune est suivie d'une petite interview de son auteur.
«
Le Jardin des silences » de Mélanie Fazi est en quelque sorte inspiré de l'affaire Florence Rey/Audry Maupin (le texte rend aussi hommage à Johnny Cash, « Folsom Prison Blues », avec une rare élégance). Une nouvelle fascinante où le côté surnaturel est apaisant alors que le côté naturaliste tend vers l'étouffant. Ecriture élégante, puissante évocation de ce que peut être un parcours de braqueur amateur, belles ambiances parisiennes et une plongée dans la psychologie et les différences de perception d'un même événement qui évoque évidemment l'œuvre de
Christopher Priest. Décidément, Mélanie Fazi n'écrit pas assez. L'interview de l'auteur, très touchante, très lumineuse, se distingue par son absence absolue de langue de bois.
«
Comme les femmes se battent » de Sara Genge (auteur hispano-américaine dont c'est la première traduction en français) est une nouvelle de S-F aux allures de
fantasy nordique, un texte assez troublant qu'on croirait écrit par
James Tiptree Jr (il comporte quelques points communs avec le texte d'
Yves Meynard publié dans le numéro
178 de
Solaris et critiqué plus loin). Dans un monde froid, dur, les hommes et les femmes se battent régulièrement pour posséder (comprendre : « glisser son esprit dans ») le corps féminin, enveloppe qui a visiblement à leurs yeux davantage de valeur que celle de l'homme. Le texte brasse divers thèmes, évidemment ceux de l'identité sexuelle et de la possession, mais il est aussi question de rapports parents/enfants, de transmission, de vie en communauté et de violence domestique. Peut-être trop de thèmes différents pour un texte si court. On lui reprochera aussi un style un peu falot. C'est le texte le plus faible des quatre (encore un peu brouillon), mais d'un niveau plus que correct. Une assez belle surprise.
«
Œuvre vécu d'Athanase Stedelijk, une monographie » de Léo Henry est un texte impossible ou presque à raconter, le « vécu » au masculin du titre n'est qu'une des énigmes de cette nouvelle où il est question d'un homme ordinaire fasciné par une galerie d'art extraordinaire (un homme qui appelle ses deux enfants « fille un » et « fille deux », sans majuscules). Dans l'interview qui suit la nouvelle, Léo Henry donne quelques clés (oniriques pour la plupart — cet auteur est fou, même quand il rêve). Au final, nul ne restera indifférent face à ce labyrinthe, équivalent littéraire d'un moyen-métrage de
David Lynch. Un texte bien écrit, parfois stylistiquement sublime, des éclairs qui font du bien aux yeux.
Le numéro se finit en toute
beauté brutalité avec
« Mêlée » de Kij Johnson, sorte de nouvelle pornographique où une terrienne et un extraterrestre informe, prisonniers d'une minuscule capsule de survie, passent littéralement leur temps à baiser, n'ayant trouvé aucun autre moyen de communication. Un texte audacieux qui aurait pu tomber complètement à plat et qui frappe, pour le moins. Une dangereuse vision à une époque où il y en a de moins en moins à se mettre sous la dent.
Continuez les gars, vous êtes sur la bonne voie !