China MIÉVILLE Titre original : Embassytown, 2011 Première parution : Londres, Royaume-Uni : Macmillan, mai 2011 Traduction de Nathalie MÈGE
FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions
(Paris, France) Dépôt légal : octobre 2015, Achevé d'imprimer : septembre 2015 Première édition Roman, 496 pages, catégorie / prix : 21,90 € ISBN : 978-2-265-09761-2 Format : 14,0 x 22,5 cm Genre : Science-Fiction
Sur Ariéka, planète à l’air irrespirable aux confins du monde connu, Légationville est un comptoir commercial et une enclave humaine alimentée en oxygène. Ici, les Ariékans, appelés les Hôtes, et les Humains cohabitent en paix.
Pourtant, la communication entre eux est délicate : les Ariékans, bien que parlant par deux bouches, ne connaissent qu’un niveau de langage ; le mensonge leur est inconcevable et toute forme de métaphore, inintelligible.
Seuls les Légats, paire de clones humains élevés et appareillés en symbiose, peuvent échanger avec les Hôtes. Et un Légat improbable vient d’arriver en ville, chargé d’imposer les nouveaux plans du Brémen.
Par tous les moyens.
China Miéville est né à Londres en 1972. Dès la parution de son premier roman, Le Roi des rats, il fait figure de nouveau prodige des littératures de l’imaginaire. Perdido Street Station obtient le Prix Arthur C. Clarke, le British Science Fiction Award et le Grand Prix de l’Imaginaire (meilleur roman et meilleure traduction) en 2004. Les Scarifiés et Le Concile de Fer (Prix Arthur C. Clarke) confirment son succès et son originalité. Avec The City&The City, un polar teinté de fantastique, il rafle les plus grands prix : Hugo, British SF, Arthur C. Clarke, World Fantasy, Locus, Elbakin et le Grand Prix de l’Imaginaire.
Légationville a obtenu le Prix Locus 2012.
Critiques
Légationville est un de ces livres compliqués, à l’instar de L’Œcumène d’or de John C. Wright ou L’Abîme de John Crowley. C’est aussi, à l’image de ces deux références, un planet opera et un livre-univers. China Miéville nous y propose un improbable croisement entre Jean-Claude Dunyach pour les animaux-villes, le Frank Herbert de Dosadi pour l’environnement toxique de la cité, Babel 17 de Delany pour les problématiques de langage liées aux personnages d’EzRa et EzCal, et Cité de vérité de James Morrow pour l’impossibilité du mensonge. Sans pour autant que tout cela rende compte du livre qu’est vraiment Légationville…
Légationville est une enclave humaine sise sur Ariéka, un monde à l’atmosphère toxique habité par des êtres appelés Hôtes ou Ariékans. C’est la colonie du bout du monde du Brémen (un État interstellaire), une manière d’île de Pâques, si on veut. Dans le premier tiers du livre, on découvre Légationville avec le personnage principal, Avice Benner Cho, au travers de chapitres alternés : « Ensuite » et « Auparavant », qui suivent l’« Entrée en matière ». « Auparavant » et « Ensuite » se rapprochent chronologiquement pour fusionner lorsque le roman prend son essor. On y voit Avice, gamine, s’amuser dans l’enclave, puis devenir pilote d’astronef, quitter Ariéka, se marier, y revenir avec un mari qui aura son rôle à jouer.
Les Hôtes parlent simultanément par deux bouches un langage qui exclut tout mensonge. Les Humains comprennent cette langue mais sont incapables de se faire comprendre des natifs à l’exception de Légats, qui tiennent le haut du pavé de la communauté humaine d’Ariéka, étant indispensables aux échanges. Ce sont des paires de clones symbiotiques, élevés et formés pour ne faire qu’un unique individu s’exprimant par deux bouches. China Miéville perturbe l’accord en nombre pour rendre compte de cette situation inédite comme d’autres, Ayerdhal par exemple, ont altéré l’accord en genre pour mettre en scène des personnages bigenrés. L’auteur a aussi revu le lexique traditionnel de la SF pour amplifier l’originalité de sa création.
Quand arrive EzRa à Légationville, un Légat différent, élaboré par le Brémen qui entend bien conserver dans son giron sa colonie traversée par des velléités d’indépendance, le fragile équilibre prévalant sur Ariéka se voit rompu par le déclenchement d’une sorte de guerre de l’opium impromptue dont Avice sera l’observatrice privilégiée.
La dimension spéculative de ce roman très moderne est enfouie sous d’épaisses strates de complexité, mais il est néanmoins difficile de réduire Légationville à un simple divertissement, à moins de le voir comme une partie de bridge. Un roman qui prend la tête et procure par là même son plaisir en une sorte de défi. Si les motifs profonds sont bien connus – la colonie rêvant d’indépendance, la relation avec les natifs, etc. –, l’ensemble est nappé de la thématique du langage et de ses implications dans le contexte créé par l’auteur. Dépaysement garanti. Mais encore faut-il le vouloir…