Simon, 25 ans, arrive en Colombie sur les traces de ses ancêtres.
Quatre cents ans plus tôt, Gonzalo Jiménez de Quesada pose, pour sa part, le pied sur l’Altiplano, la terre ancestrale des Indiens muiscas. Ils ne se connaissent pas et pourtant, leurs destins sont liés...
Récit intime dans la Colombie d’aujourd’hui et d’hier, D’or et d’émeraude pose un regard décalé sur le monde, entre uchronie et utopie. Un livre d’une beauté rare, qui a reçu le prix Bob Morane à sa sortie.
« Éric Holstein nous livre avec D’or et d’émeraude une belle et dense réflexion sur la façon dont le temps efface les petites histoires des hommes, pour en faire l’Histoire avec sa majuscule. » Culturopoing
Éric Holstein, après avoir publié plusieurs nouvelles dans des supports divers, s'était révélé avec son premier roman aux éditions Mnémos, Petits arrangements avec l'éternité, aventures rocambolesques de vampires gouailleurs dans le Paris des vendeurs de fleurs pakistanais. Un ouvrage très plaisant, avec des personnages attachants, et un style argotique particulièrement bien travaillé, mais qui souffrait d'une intrigue peu originale. Bref, un livre prometteur, et on attendait donc avec impatience le second roman de l'auteur.
Changement complet dans D'Or et d'Émeraude : le propos est beaucoup plus ambitieux (une uchronie colombienne), le ton plus sérieux (l'humour se fait très discret). On cherche longtemps le point commun de cet opus avec son prédécesseur. Il en existe pourtant un, qui n'apparaîtra pas nécessairement comme tel au lecteur qui ne connaîtrait pas Éric Holstein, mais qui donne toute leur force aux deux histoires : le point de départ autobiographique. Dans Petits arrangements, c'était Paris, célébrée au rang de personnage du roman, que l'auteur connaît comme sa poche et aime profondément. Dans D'Or et d'Émeraude, Simon, fils adopté en Colombie par des parents français, est une projection dans le futur des propres enfants de Holstein. Cet aspect autobiographique, qui sert à chaque fois à lancer le roman, permet de donner du cœur et de l'assise à celui-ci, avant que l'intrigue à proprement parler ne prenne le relais.
Simon se rend ainsi en Colombie, dans le pays qui l'a vu naître, en quête de son héritage sud-américain, qu'il a longtemps ignoré. Sur place, à Bogota, il est immédiatement happé par le rythme local, et la vie qui imprègne tous ceux qu'il croise, des responsables de l'orphelinat qui l'a jadis hébergé, à la flamboyante Catalina, en passant par le très secret et redoutable Benino, ancien commandant des FARC. En outre, la rencontre avec son père biologique agira comme un coup de fouet rappelant à Simon combien ses racines sont finalement assez proches de ce qu'il est devenu. Dès lors, ses rêves récurrents sur le mythe de l'Eldorado trouveront leur sens : oui, il a quelque chose à voir avec ce passé qui, au fil du temps, et depuis la venue du conquistador Quesada, a façonné la Colombie moderne.
En dire plus long risque fort de gâcher le plaisir de lecture de ce roman ; comme l'on a déjà parlé d'uchronie, on ne trahira pas grand-chose en disant que le lecteur fera escale au XVIe siècle, en suivant les traces de Quesada sur la terre des indiens muiscas. Mais comme la construction du livre est sans aucun doute l'un de ses points forts, on ne pourra la passer sous silence : merveille d'équilibre, elle repose sur trois parties qui se répondent intelligemment, dont le mystère se dévoile peu à peu, et qui trouvent leur dénouement dans un final riche de sens sur l'Amérique du sud, son rapport à la politique, à la religion et aux mythes, à l'identité. Un roman véritablement foisonnant, donc, porté par un grand souffle de liberté, et un vrai talent de l'auteur pour nous faire partager les doutes et les souffrances de ses protagonistes. Chaque partie a ainsi son personnage principal : à Simon qui symbolise le rapport du passé au présent répond inévitablement le trajet inverse du Benino de la dernière partie, qui porte en lui toute l'histoire des siècles écoulés. Entre les deux, Quesada fait office de point focal, où vont se concentrer toutes les forces mises en jeu dans la douloureuse construction de ce pays. Ces trois hommes vont donc se relayer auprès du lecteur pour lui faire sentir au plus près l'âme de la Colombie ; le talent de l'auteur pour brosser des personnages convaincants et forts est indéniable, d'autant plus qu'il s'appuie sur une mise en situation particulièrement crédible, qu'on devine facilitée par un très gros travail documentaire initial (ce qu'accrédite la bibliographie en fin de volume) qui transparaît sans étouffer le lecteur.
Bref, cadre original et dépaysant, propos intelligent brassant une thématique riche, à la fois classique et contemporaine, personnages très travaillés : Éric Holstein, avec D'Or et d'Émeraude, franchit assurément un palier important dans sa pourtant récente carrière de romancier. Un livre à ne manquer sous aucun prétexte.
Second roman d'Eric Holstein, D'oret d'émeraude confirme tout le bien qu'on pensait de l'auteur (cf. la critique de son premier titre in Bifrost n°57). Avec cette uchronie bien fichue et totalement assumée, on sent que la machine est désormais lancée. Eric Holstein déroule son histoire sans trembler et s'offre le luxe de modifier totalement la perception qu'on avait de ses précédents travaux. Exit les vampires du premier roman, exit le style dont on avait remarqué les partis-pris, exit à peu près tout, place à quelque chose de différent. Preuve que l'auteur sait se renouveler et emmener ses lecteurs dans des directions inattendues. Malgré ses trois parties distinctes qui fleurent parfois l'artifice, D'or et d'émeraude donne dans le vrai. Eric Holstein s'y livre sans doute un peu plus qu'ailleurs et réinvente l'histoire colombienne avec un talent manifeste. En France, on sait bien peu de choses sur ce pays sud-américain, hormis les éternels clichés concernant la drogue, la violence et les Farc. A ce titre, la première partie du roman nous offre une vision bien plus réaliste que la lecture d'un quelconque article de journal. On y suit l'arrivée de Simon dans son pays natal, dont il ignore tout. Colombien adopté encore nourrisson par un couple de français, il a grandi en région parisienne, ne parle pas espagnol et ne s'intéresse pas particulièrement à ses origines. C'est d'ailleurs presque à reculons qu'il se décide enfin à franchir l'Atlantique, pour faire plaisir à ses parents, en quelque sorte. Et voilà ce post-ado qui débarque à « La Casa », l'orphelinat par lequel il est passé. De là, on suit son itinéraire à Bogota, ses rencontres, ses histoires d'amour, ses beuveries, jusqu'à ce que l'étrange Benino le contacte pour lui présenter son père. Son vrai père. Surpris, réticent, mais finalement curieux, Simon accepte et découvre enfin ce géniteur envers lequel il n'éprouve rien. Le courant passe, pourtant, et Simon finit par participer à une cérémonie indigène censée lui en apprendre un peu plus sur son statut d'indien. La magie opère, et le voilà propulsé... ailleurs. Fin de la première partie.
La suite délaisse la modernité et s'intéresse à la figure de Quesada, sans doute le moins célèbre des conquistadors, en pleine conquête de ce qui n'est pas encore la Colombie. Eric Holstein donne la pleine mesure de son talent dans cette centaine de pages impeccablement racontée. On avance difficilement dans la jungle aux côtés des explorateurs fatigués, sales, hirsutes et malades, on découvre les indigènes et les tueries subséquentes, bref, on participe à l'aventure. Une aventure assez ambiguë, d'ailleurs, dans la mesure où le manichéisme n'est pas de mise. Pourriture affirmée ou humaniste raté, Quesada s'impose comme un homme attachant, certes pétri de doutes et d'obsessions glauques, mais étonnamment vivant et humain. On sait ce qu'il advint de sa première expédition, et c'est là où Eric Holstein fait dévier l'histoire, la grande comme la petite. Car ici, la conquista est un désastre. Les indigènes savent se battre, menés par un chef aussi étrange que charismatique dont on devine assez vite la véritable nature. Pour les conquistadors, c'est la fin. Mais encore une fois, rien n'est simple. Et plutôt que d'exterminer les envahisseurs et de se lancer dans une guerre forcément longue et destructrice avec l'Espagne, les futurs « Colombiens » organisent une sorte de coexistence pacifique avec le royaume. Un accord à la fois réalisable et lucratif pour tout le monde. De quoi ouvrir la voie vers un monde radicalement différent.
Ne reste plus qu'à lire la troisième partie du roman, qui nous replonge en 2010, dans une Colombie souveraine, un continent jamais morcelé et un monde finalement prospère dont les enjeux géopolitiques n'ont rien à voir avec le nôtre. On y retrouve le personnage de Benino, une version différente, en quelque sorte. Et on devine assez vite ce qui s'est passé.
On l'a dit, la construction du roman en trois parties distinctes peut agacer par son didactisme. Mais il serait malhonnête de s'arrêter sur ce détail, tant Eric Holstein nous embarque dans son histoire sans jamais cesser de convaincre. Un peu à l'image de Petitsarrangementsavecl'éternité, qui fonctionnait sans accroc, D'or et d'émeraude s'orchestre comme une partition millimétrée ouvrant parfois des perspectives vertigineuses. Le tout sans avoir l'air d'y toucher, avec une modestie manifeste. On s'en doutait, en voici désormais la preuve, Eric Holstein fait désormais partie des plumes de la SF française. Une SF qui va devoir compter avec lui. Et quelque chose nous dit qu'elle ne s'en portera pas plus mal.