La Congrégation regroupe des millions d'habitats en orbite autour de Vieux Sol. Pendant des dizaines de milliers d'années, des humains et des extra-terrestres y ont vécu, ont construit des empires, puis ont sombré dans l'oubli et ont été remplacés par de nouvelles civilisations, de nouvelles vagues d'occupation. L'histoire de Vengeresse se déroule durant la Treizième Occupation.
Les sciences et les techniques ont subi un tel recul que les artéfacts des Occupations antérieures prennent des allures d'objets magiques, conformément à la troisième loi de Clarke. Ils excitent la convoitise d'aventuriers intrépides, des pirates de l'espace qui, à l'aide de leurs vaisseaux mus par des voiles photoniques, vont piller les plus anciens habitats après en avoir forcé les écrins, ces champs de force qui les protègent.
L'histoire est racontée à la première personne par Fursa Finn. Elle vient de s'engager sur le vaisseau du Capitaine Rackamore. À travers son récit, on suit la transformation d'une jeune fille timorée et naïve en une redoutable flibustière prête à braver tous les dangers et, surtout, à affronter la terrible pirate Bosa et son équipage du Voilier-noir.
« Les vents photoniques nous avaient entraînés vingt mille lieues au-delà de la Congrégation quand nous baissâmes les voiles. »
L'idée brillante d'Alastair Reynolds est de reprendre un à un les codes et les clichés du roman d'aventures marines pour les transposer dans un roman de space opera, et de les justifier à chaque fois par des arguments de hard-science fiction (même si ce roman ne peut pas être classé dans la hard-SF, ou alors sur un mode mineur, loin des principales œuvres de Reynolds).
Si les vaisseaux spatiaux disposent d'immenses voiles solaires, l'auteur prend soin d'expliquer qu'elles ne fonctionnent pas comme celles des vieux gréements, mais qu'elles permettent avant tout de réaliser des transferts d'orbite, conformément aux lois de la mécanique spatiale ; si chaque vaisseau est équipé d'un crâne, ce n'est pas sous forme d'un Jolly Roger : il s'agit d'un crâne d'extra-terrestre qui permet la communication supra-luminique entre les engins spatiaux ; chaque écrin que les pirates vont piller est une sorte d'île aux trésors, et les notes permettant de savoir quand ils vont s'ouvrir et comment en percer les défenses jouent le même rôle qu'une carte dans un roman de Stevenson ; jusqu'à l'héroïne qui, au cours de sa quête, se fera trancher une main et devra la remplacer par un membre artificiel, parachevant sa transformation en une incarnation futuriste du Capitaine Crochet.
Reynolds s'amuse également avec le vocabulaire, dissimulant sous des noms archaïques ou imagés des notions relevant de la science et de la SF. Les « avaleurs » cachent des mini trous noirs qui fournissent la gravité sur les habitats, les flux de neutrinos sont rebaptisés « vent sombre », etc.
L'univers est riche et l'auteur fait sentir à chaque page un hors-champs qui renforce la crédibilité du monde qu'il a créé. On entrevoit d'autres mystères à résoudre, d'autres écrins à explorer, d'autres aventures à vivre (deux autres romans ont été publiés dans cet univers, mais pas encore traduits en français à ce jour).
Vengeresse cumule les qualités de deux genres de littérature populaire : au roman d'aventures marines, il emprunte les intrigues rocambolesques, le suspens, les vengeances et les personnages hauts en couleur ; du space opera façon Reynolds, on retrouve, sur un mode plus léger, et beaucoup plus accessible, ce qui a fait le succès du Cycle des Inhibiteurs : sense of wonder, inventivité dans les technologies, spéculations sur les extra-terrestres, virtuosité à manier des concepts scientifiques sans jamais leur sacrifier ni le divertissement ni le panache.
Jean-François SEIGNOL (lui écrire)
Première parution : 15/4/2021 nooSFere