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(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 7243 Date de parution : 12 septembre 2019 Dépôt légal : septembre 2019, Achevé d'imprimer : août 2019 Réédition Roman, 336 pages, catégorie / prix : 8 ISBN : 978-2-266-28151-5 Format : 10,8 x 17,7 cm Genre : Science-Fiction
Une immense et sombre ville-État, dirigée par un duc auprès duquel les sociétés rivales des Mécaniciens et des Alchimistes se livrent une lutte d’influence acharnée, a été construite par les gargouilles, des êtres minéraux menacés d’extinction par un étrange mal. Dans la cité où la révolte gronde, leur unique chance de salut semble venir de Mattie, une automate douée de conscience établie comme Alchimiste, émancipée, mais contrôlée par son ancien maître qui détient la clé lui permettant d’être remontée.
« Roman subtil et d’une belle inventivité, steampunk féministe qui traite tout autant des fondements de la société que de l’avenir de celle-ci. Un très beau livre. » Bifrost
La ville-état d’Ayona, construite par des gargouilles, dirigé par un duc et partagé entre deux guildes, les alchimistes et les mécaniciens, est touchée par un attentat : le palais ducal est détruit.
Mattie est une automate douée de conscience. Fabriqué par Loharri, un des meilleurs mécanicien de la ville, elle vit comme alchimiste mais dépend de lui car il possède la clef permettant de la remonter. Alors qu’une révolte menée par les mineurs aidés de quelques notables gronde, les gargouilles, qui se cachent de la population, sont en voie d’extinction. Le sort de Mattie et sa quête de l’indépendance ne pourront que se joindre aux évènements qui secouent la ville.
Derrière un décor steampunk/fantasy urbaine réussi se cache une intrigue à plusieurs niveaux : comment Mattie va pouvoir devenir vraiment indépendante, qui a fait sauter le palais, quel est le rôle des gargouilles ? Tout cela est en plus accompagné de parallèles avec l’actualité ou l’Histoire : l’explosion du palais ressemble au 11 septembre, la révolte des mineurs a un déroulement classique de révolution ouvrière, le combat de Mattie pour l’indépendance est semblable aux luttes féministes, le traitement des immigrés orientaux est tristement d’actualité. Pour autant, le roman ne se transforme pas en pamphlet politique aride : c’est avant tout un récit riche en action, mené à bon rythme et dont l’aspect steampunk est habilement utilisé pour créer un personnage principal complexe et attachant. L’Alchimie de la pierre n’est pas parfait : la superposition des intrigues nuit à la cohésion globale du récit qui perd en clarté par moment et certains aspects auraient mérité d’être plus développés. Mais ne boudons pas notre plaisir : ce roman intelligent et original, teinté d’une gravité inhabituelle dans le steampunk, ravira ses lecteurs et le personnage de Mattie restera longtemps dans leur mémoire, grâce au talent d’Ekaterina Sedia pour peindre un personnage mêlant l’intime à l’extime.
Ekaterina Sedia est une auteure russe émigrée de longue date aux États-Unis. Si L’Alchimie de la pierre, publié en 2008 outre-Atlantique, est son troisième roman, il s’agit là de son premier titre à paraître en France.
Mattie est une automate. Son créateur, Loharri, un Mécanicien renommé, s’est surpassé en la fabriquant : il l’a dotée de nombreuses caractéristiques remarquables, à l’image de ses yeux, capables de s’extruder pour améliorer sa vision, ou de son visage interchangeable quand la porcelaine se fêle ou se casse. Mais, surtout, il lui a fait un cadeau prodigieux : une conscience, oui, rien que cela, qui lui permet de réfléchir à sa destinée, voire même de ressentir quelques embryons d’émotions. Mattie a mis à profit ses facultés de raisonnement pour devenir Alchimiste, domaine où elle ne tarde pas à exceller, ce qui lui vaut de décrocher bon nombre de contrats. Jusqu’à se trouver sollicitée par les gargouilles, ces créatures mystérieuses ayant fondé la cité, mais qui se transforment peu à peu en pierre et souhaitent voir leur condition évoluer. Pour répondre à leurs attentes, Mattie se lancera dans une quête de connaissances vite contrariée par les circonstances. En effet, dans la cité, la domination séculaire des Alchimistes et des Mécaniciens est progressivement mise à mal par des anonymes qui souhaitent voir abolis les privilèges sociaux des plus nantis. Une révolution qui pourrait bien annoncer des flots de sangs…
Le roman démarre comme une fantaisie steampunk mâtinée d’humanisme, alors qu’une créature créée de toutes pièces essaye de trouver sa place dans la société tout en s’interrogeant sur les motivations réelles de son créateur. Est-elle un simple jouet ? Une démonstration de la virtuosité de Loharri ? Voire une expérience sur ce qui définit l’être humain ? Sans doute un peu tout cela, mais il ne faut pas compter sur Loharri pour lui donner des indices ; ce dernier se contente de garder sa création sous son joug par le biais de la clé permettant de remonter régulièrement ses mécanismes. Aussi Mattie tente-t-elle de trouver seule les réponses aux questions qui la minent, tout en nourrissant des sentiments ambivalents vis-à-vis du Mécanicien. La dévotion de Mattie envers son « père », mais aussi sa haine de le voir la brider en permanence, sont admirablement décrits, tout en empathie, et font de Mattie un personnage attachant qu’on n’oubliera pas de sitôt. Il en va de même pour certains des personnages secondaires, comme le Fumeur d’âmes, dont la destinée est tout autant bouleversante.
Progressivement, le propos du roman se déplace, ou plutôt s’enrichit d’une nouvelle thématique : la lutte sociale. On l’a dit, la révolution est en marche, et elle ne s’arrêtera pas : après un terrible attentat, la révolte ne cesse d’enfler, laissant bientôt place aux émeutes, au chaos dans toute la cité. Mattie, qui assiste en spectatrice au début des événements, sait qu’elle ne pourra en rester là. Après tout, son double statut d’automate alchimiste lui permet d’accéder à certaines informations relatives aux deux castes, et elle comprendra que cette lutte pour l’égalité est tout sauf usurpée. Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous, et pas uniquement réservé à certains clans favorisés ; le conflit n’est au fond qu’une transposition de son propre combat pour l’émancipation. Mattie évolue ainsi favorablement vers les aspirations des insurgés, mais, si la révolution se produit et fait tomber Mécaniciens et Alchimistes, cette issue ne risque-t-elle pas de lui être fatale, à elle qui est le point de convergence des deux statuts ? À cette douloureuse question, Mattie devra, une nouvelle fois, trouver des réponses sans espérer l’aide de quiconque.
Roman subtil et d’une belle inventivité, steampunk féministe qui traite tout autant des fondements de la société que de l’avenir de celle-ci, L’Alchimie de la pierre est un très beau livre. Et son auteure, Ekaterina Sedia, une nouvelle voix envoûtante qu’on souhaite réentendre au plus vite.
Bruno PARA (lui écrire) Première parution : 1/4/2017 Bifrost 86 Mise en ligne le : 9/12/2022