BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France), coll. Une Heure-Lumière n° 26 Date de parution : 27 août 2020 Dépôt légal : août 2020, Achevé d'imprimer : juin 2020 Première édition Novella, 176 pages, catégorie / prix : 10,90 € ISBN : 978-2-84344-971-0 Format : 12,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Le dépôt légal est indiqué "à parution" (27 août 2020). Existe aussi en numérique (ISBN : 978-2-38163-009-0) au prix de 5,99 €.
Trois tireurs armés jusqu’aux dents lâchés dans un « environnement » public aléatoire délimité. Un but : abattre le plus de personnes possible. Une promesse : un énorme paquet de fric pour celui qui quitte les lieux indemne. Si l’une des « cibles » met hors d’état de nuire l’un des tireurs et survit, une part du pactole lui échoit. Des règles simplissimes, et des dizaines de drones qui filment le tout pour le plus grand bonheur de millions de spectateurs hystérisés, d’annonceurs aux anges et de John McDean, producteur et chef d’orchestre de Vigilance, le show TV qui a résolu le problème des tueries de masses aux États-Unis…
« Si l’Amérique ne fabrique plus grand-chose, elle produit à coup sûr quantité d’enfants morts : abattus à l’école, chez eux, sur les terrains de jeux ; abattus par des flics, par eux-mêmes, par leurs parents, par d’autres enfants… Des tas et des tas de petits corps angéliques, tous perforés par des balles, tous immobiles, froids, parfaits. »
Un récit effarant, corrosif et brutal. L’autopsie littéraire d’une american way of life aussi éculée que mortifère.
« Lucide et débordant d’une colère sauvage, voici un livre que vous n’oublierez pas de sitôt. »
NPR
Critiques
La tuerie de masse en trending topic. Les fusillades de Virginia Tech et de Columbine adaptées en téléréalité. Telle est la promesse de Vigilance, l'émission-vedette de la chaine ONT. À une heure de grande écoute, on lâche dans un centre commercial bondé, une gare ou un centre ville un trio de pauvres types qu'on a équipés d'armes de guerre et le massacre est retransmis en direct par des dizaines de drones, tandis que, sur les réseaux, les téléspectateurs se demandent quel citoyen respectueux du deuxième amendement sera assez malin, assez chanceux, assez vigilant pour abattre l'un des tueurs et empocher la prime. Vigilance, c'est Intervilles où les vachettes ont été remplacées par des tueurs psychopathes surarmés ; c'est Le prix du danger à l'époque des réseaux sociaux, des algorithmes de deep learning et de QAnon.
Une grande partie de la novella de Bennett se focalise sur les heures qui précèdent le lancement d'une nouvelle Vigilance : la production se prépare, sélectionne le lieu, organise la fuite de rumeurs sur les réseaux sociaux, vend les espaces de pub, choisit les candidats et retravaille leur biographie...
Le chef d'orchestre de tout cela, le producteur John McDean, est omniprésent, et c'est sans doute le principal défaut du texte : ce personnage cynique, vulgaire, misogyne, brutal, lâche et un peu benêt est le cousin beauf de Patrick Bateman, une version sans panache du héro d'American Psycho qui aurait arrêté ses études au CAP "force de vente". Trop caricatural, trop monolithiquement mauvais, il n'inspire aucune sympathie et échoue à faire naître la répulsion fascinée qui est l'apanage des véritables méchants.
Heureusement, un contrepoint beaucoup plus intéressant est offert par Delyna, la serveuse d'un bar où se rassemblent les fans du show télé. À travers ses yeux, on assiste à l'excitation croissante des téléspectateurs, chauffés à blanc par le teasing de la chaîne ONT. D'abord spectatrice effarée, elle deviendra, au cours d'une grande scène de bravoure, l'incarnation des derniers débris de la conscience de l'Amérique.
L'écriture de Bennett est musclée et efficace. Ça sent la poudre et la bière, ça sent la testostérone et la sueur de redneck, ça sent la crème à bronzer de Donald Trump. On ne s'encombre pas de subtilité, la caricature est brossée à gros traits rouge sang, mais ça fonctionne. C'est tout à la fois glaçant, féroce et drôle. L'auteur dézingue avec une jubilation évidente les jeux de téléréalité, les réseaux sociaux et les chaines d'infos en continue. L'action est commentée de manière comique par un quarteron d'experts d'ONT qui ne dépareilleraient pas sur un plateau de BFM TV ou lors d'une retransmission de match de foot. Et on s'amuse, et on rigole !
Alors, certes, après Le prix du danger de Scheckley et son adaptation par Boisset, après Bowling for Columbine et tant d'autres, il n'y a pas grand mérite à dénoncer la passion mortifère pour les armes des États-Uniens, à fustiger la télévision-poubelle et ses millions de téléspectateurs-voyeurs, à peindre les réseaux sociaux comme une vaste foire où chacun est à la fois le produit et la cible d'un marketing cynique. Mais Robert Jackson Bennett parsème ce joyeux jeu de massacre de quelques fulgurances qui font tout le sel de son roman, comme l'analyse de la peur en tant que moteur fondamental de la société nord-américaine. On est emporté par le ryhtme de la narration, on rit beaucoup, même si c'est un rire jaune, et si la carricature est grossière, elle n'en est pas moins efficace.