Henry Rider HAGGARD Titre original : She, a History of Adventure, 1886 Première parution : The Graphic, en 15 livraisons du 2 octobre au 25 décembre 1886 / Harper's Weekly, d'octobre 1886 à janvier 1887 Cycle : Elle vol. 1
Cambridge, années 1880. Ayant hérité, presque par hasard, d’un tesson de poterie couvert d’inscriptions remontant à l’Antiquité, Horace Holly, un distingué linguiste britannique,
se lance sur les traces d’un prêtre du culte d’Isis, Kallicratès, assassiné deux mille ans auparavant. Sa quête le conduit dans l’actuelle Tanzanie, dans le royaume de « Celle-qui-doit-être-obéie », une mystérieuse reine à la beauté légendaire qui vit au cœur des ruines d’une civilisation perdue, par-delà d’infranchissables marais…
Triomphe littéraire de la période victorienne, « Elle » (« She ») attira quelques décennies plus tard l’attention de Freud, qui en recommandait la lecture à ses patients, mais aussi de Jung qui comparait sa puissance d’imagination à celle de « L’Enfer » de Dante et de « L’Anneau du Nibelung » de Wagner.
Écrit dans la foulée de l’immense succès des « Mines du
Roi Salomon » (1886), « Elle-qui-doit-être-obéie » — dont la première édition paraît en 1887 — inaugure une longue série de romans d’aventures fantastiques de l’écrivain britannique Sir Henry Rider Haggard (1856-1925), qui verra même, en 1921, la reine Aycha (« She ») et Allan Quatermain (« Les Mines du roi Salomon ») partager une même aventure.
Un roman complexe mêlant réincarnation, vengeance, amour et destin, qui continue, aujourd’hui encore, d’enchanter de nombreux lecteurs.
Le roman fameux de H. Rider Haggard avait sa place toute trouvée dans la collection que L'étonnant voyage de Hareton Ironcastle a inaugurée chez Pauvert. Il est l'objet, ici, d'une très bonne traduction nouvelle par Michel Bernard ; le volume comprend en outre une postface de Francis Lacassin qui constitue une remarquable étude de la genèse, de la substance et de l'influence du mythe de la femme immortelle.
She (le titre est le pronom personnel féminin singulier sujet : elle) parut à Londres en 1887. Il n'est pas superflu de s'en souvenir, lorsque l'auteur donne l'impression d'enfoncer des portes que le lecteur du XXe siècle n'a jamais connues autrement qu'ouvertes. En fait, en racontant cette histoire à la fois simple et fantastique, H. Rider Haggard a établi un schéma et jeté des idées que d'innombrables successeurs allaient rendre familiers.
Simple et fantastique, l'histoire peut être résumée en quelques lignes. Elle est racontée par le philologue de Cambridge L. Horace Holly, laid de visage (on le surnomme « Babouin » dans le cours du récit), mais loyal de cœur et positif d'esprit. Holly raconte donc comment son pupille, Léo Vincey (dont les traits sont aussi beaux que ceux de Holly sont simiesques) hérite de son père une série de reliques et de documents qui le lancent à l'aventure dans une région de l'Afrique centrale, au nord de l'embouchure du Zambèze. Holly et un domestique effacé l'accompagnent, et finissent par la découvrir, elle. Elle règne sur un peuple primitif, mais qui habite les restes d'une civilisation jadis florissante, disparue sans laisser de traces dans l'histoire. Elle vit là, depuis plusieurs milliers d'années. Elle attend le retour ou la résurrection de l'homme qu'elle aima, Kallikratès, prêtre d'Isis. Vincey, qui en descend en ligne directe, en a les traits. Elle s'en fait aimer, et lui propose de plonger avec elle dans la flamme d'immortalité qui lui a conservé la vie durant tous ces siècles. Comme il hésite, elle se jette dans la flamme la première – mais elle est détruite. Vincey et Holly parviennent à revenir ensuite en Angleterre.
Ainsi résumée, l'intrigue a une allure de déjà-vu qui n'incite guère à la lecture. De l'Antinéa que Pierre Benoît mit en scène dans L'Atlantide à la prêtresse La, de la cité d'Opar, qu'Edgar Rice Burroughs plaça plusieurs fois sur le chemin de Tarzan, She, ou Elle, ou Ayesha, a inspiré plusieurs héritières dans la littérature fantastique. Cette influence a d'ailleurs valu à Haggard toute une littérature d'exégèse douteuse, dans laquelle on faisait de lui un détenteur de « connaissance interdite », un poète ayant des visions de problématiques civilisations matriarcales d'antan (Francis Lacassin retrace d'ailleurs le portrait réel de Haggard dans son étude, et cela devrait calmer au moins temporairement les fanatiques de Savoir Caché). En fait, l'inspiration du roman peut être expliquée de façon beaucoup plus simple, si l'on considère que Haggard a combiné adroitement quelques thèmes classiques avec une figure archétypale.
L'histoire d'Ayesha et de Kallikratès-Vincey n'est autre que celle de Tristan et Yseut, les amants promis l'un à l'autre à travers les temps et les espaces. L'originalité de Haggard consiste à avoir fait de son Yseut une créature qui a temporairement triomphé de la mort, et qui annonce assez clairement les femmes fatales de Pierre Benoît, initiale du prénom (Ayesha) comprise. Séductrice ou redoutable, tyrannique ou soumise, Ayesha personnifie l'éternel féminin – sans jeu de mots sur cet adjectif d'éternel. Haggard a en outre utilisé sa propre expérience africaine pour la création de son décor, et s'est probablement inspiré de Zimbabwe pour dépeindre son impressionnante cité morte de Kôr, à laquelle il a naturellement attribué une ancienneté autrement plus grande. Tout cela a été combiné avec une indéniable adresse, et écrit en un style qui a étonnamment bien supporté le passage des années.
La narration de Molly possède en effet une couleur réelle. L'impression de réalité est donnée par le recours fréquent à des détails visuels, et aussi par l'introduction très adroite d'un élément de doute, d'hésitation, en certains passages. Ainsi, Holly ne s'explique pas pourquoi Ayesha, qui avait jadis gagné la jeunesse éternelle en plongeant dans la flamme, est cette fois atrocement détruite par cette même flamme. Il énonce diverses hypothèses : modification de la nature du feu vivifiant, dégagement occasionnel d'une émanation fatale, effets contraires de deux immersions successives ; mais il ne tranche pas (en fait, Haggard a probablement recouru à la dualité du feu, protecteur et destructeur, pour amener une conclusion élégante à un récit qui risquait sans cela de déboucher sur une éternité conventionnelle). Mais Holly reste, d'un bout à l'autre, le témoin qui raconte avec précision ce qu'il a vu, ce qu'il a éprouvé aussi, puisque le charme d'Ayesha s'est passagèrement exercé sur lui. Et Haggard a su garder constamment ce ton, de même qu'il est parvenu à multiplier les notations tendant à créer l'impression d'authenticité.
Parmi celles-ci, la description des reliques qui lancent Vincey à la recherche d'Ayesha est faite avec un luxe de détails rarement égalé par ceux qui ont repris ultérieurement le procédé. En particulier, Haggard a traduit – ou fait traduire – en latin, grec et vieil anglais un certain nombre de textes qu'il donne in extenso dans ces diverses langues – avec, d'ailleurs, au moins une incorrection : dans le passage en langue grecque, il utilise le mot enfant à la place de fils. Tout cela a été repris maintes fois par la suite ; cela n'a même pas été inventé par Haggard, bien entendu ; mais celui-ci se montre un artisan si minutieux qu'il emporte la conviction du lecteur, tout comme le langage souvent fleuri des personnages ne devient jamais ridicule de grandiloquence.
Dans sa postface, Francis Lacassin analyse avec une remarquable pertinence – malgré une assez surprenante allusion à « Ulysse, conquérant de la toison d'or » – les raisons pour lesquelles She atteint la sensibilité du lecteur contemporain, même si celui-ci est blasé d'exotisme. Il y a, dans les pages de She une poésie qui unit la spontanéité apparente à la rigoureuse minutie de construction, et dont le résultat répond aux aspirations d'aventure et de dépaysement qui restent – éternellement… – au fond de la nature humaine.
Demètre IOAKIMIDIS Première parution : 1/6/1966 Fiction 151 Mise en ligne le : 18/1/2023
Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)La Colonne de feu
, 1899, Georges Mélies She
, 1908, Edwin S. Porter She
, 1911, George Nichols She
, 1916, William G.B. Barker & Horace Lisle Lucoque Hidden Valley (The)
, 1916, Ernest C. Warde She
, 1917, Kenean Buel She
, 1925, Leander De Cordova & G.B. Samuelson La Source de feu
, 1935, Lansing C. Holden & Irving Pichel La Déesse de feu
, 1965, Robert Day She
, 1985, Avi Nesher She
, 2001, Timothy Bond