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Chromoville

Joëlle WINTREBERT

Première parution : Paris, France, J'ai Lu, décembre 1983

Illustration de Philippe CAZA

J'AI LU (Paris, France), coll. Science-Fiction (1970 - 1984, 1ère série) n° 1576
Dépôt légal : décembre 1983, Achevé d'imprimer : 15 décembre 1983
Première édition
Roman, 224 pages, catégorie / prix : 3
ISBN : 2-277-21576-7
Format : 11,0 x 16,5 cm
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
Joëlle Wintrebert est née à Toulon.
Après des études de lettres et de cinéma, elle dirige la revue Horizons du Fantastique et collabore à de nombreuses revues littéraires et cinématographiques.
Chromoville est son quatrième roman.
 
Elle est le symbole spatial de la hiérarchie.
Tour de Babel, elle escalade le ciel, strate après strate, pyramide figée du pouvoir. C'est la Ville.
Belle "comme un rêve de pierre", elle conjugue l'Ordre avec la Couleur. Nul ne peut échapper à son esthétisme pervers qui régit un système de castes...
 
Mais il y a des résistances passives, comme celle de Sélèn, le danseur sacré qui commande à son corps et lui impose les plus étranges des métamorphoses, et des résistances actives, comme celle de Narcisse, l'hétaïre qui découvre qu'au delà de la simple autosatisfaction, son charme peut devenir une arme.
Critiques
     Quatrième roman publié de son auteur, mais, me semble-t-il, deuxième écrit, puis remanié pour la publication aux éditions J'ai Lu, Chromoville asseoit sans conteste la qualité persistante du travail de Joëlle Wintrebert.
     Les maîtres-feux était une incursion fantasmatique dans des univers (biologiques, géographiques, physiques, mentaux, hallucinatoires) dont la cohérence interne n'avait d'égale que leur étrangeté. Chromoville revêt une apparence plus « classique », moins « exotique ».
     Le cadre en est la Ville (Ville 1), presque unique, puisqu'elle n'entretient pas de relations avec ses semblables. A l'extérieur, autour de la ville, c'est le domaine des Sancous. La ville est hiérarchisée en une structure strictement verticale, dont la marque est la couleur de la vêture des citadins. Tout en bas, les Rouges, le prolétariat ; au-dessus, les Orangés et les Bruns, artistes et artisans ; puis viennent les Bleus, les marchands ; on en arrive ensuite aux Verts, les émargeurs, représentants l'Ordre ; les Violets, urbanistes, et les Jaunes, hétaïres, se partagent l'étage suivant ; les Multis, les responsables, les dominent ; ce sont les descendants des fondateurs de la société, mais ils sont dominés par ses chefs actuels, le Hiérarque, les prêtres et les chorèges : Blancs et Noirs. Cette séparation en castes ne s'efface qu'une fois par an, sous la neige tombée sur la Ville qui abolit la couleur pendant trois jours, les seuls que permettent les prêtres : ce sont les Niviales, la soupape de sûreté.
     Joëlle Wintrebert s'est attachée à brosser une galerie de personnages issus de tous les niveaux socioculturels. Sélèn, l'hydrocéphale, est devenu chorège (je ne détaille pas ; mais la religion conçue par Joëlle Wintrebert est précise et véridique) pour pallier à ses difformités et compenser les souffrances de son enfance. Le livre, d'ailleurs, s'ouvre sur des scènes de souvenir cruelles et impressionnantes. Narcisse, l'hétaïre, veut venger l'existence qu'on lui a imposée et retrouver sa pureté d'avant le viol quasi-rituel qui a marqué son initiation à sa fonction, sous les yeux de sa mère, comme elle prostituée. Tigre, le Multi, est le descendant de celui qui a conçu les saïs, nouvelle espèce d'humains, féline, étrange, et il s'expose par l'amour qu'il pratique avec eux au châtiment d'une société toujours prude. Sandyx, la Rouge, seize ans, insolente, inclassable, va être avec Narcisse le ferment principal de la révolution qui va ébranler ce monde figé, encroûté. Raudh, la petite fille, possède les dons d'un chorège (télékinésie, etc.) alors que seuls les hommes sont censés pouvoir les détenir. Argyre, le chef des prêtres, espionne et surveille en croyant pouvoir tout contrôler. Mais son œil est plus qu'ambigu...
     Le roman narre la prise de conscience multiple des principaux acteurs de l'aliénation qui leur est imposée par la société, leur lutte personnelle pour se conquérir et vaincre leur appréhension face à la perspective du changement, puis leur lutte commune. Malgré tout, une fois le bouleversement réalisé, le résultat sera imprévu. Il dépassera de loin par sa portée la seule dimension socio-politique de la lutte des classes pour atteindre au devenir de l'homme.
     Il court aussi dans ce roman une vision tranquille, sereine, de la place de la femme dans toute société, du rôle qu'elle peut jouer comme force motrice du changement (on peut rapprocher cela de la splendide novella de Michel Jeury, La fête du changement, in Utopies 75, Laffont, « Ailleurs et Demain », et in Le Livre d'Or Jeury, Presses Pocket). Cette description de comportements féminins actants dans un environnement mâle immobile impressionne plus que bien des discours féministes ouvertement militants.
     Ce livre est une ascension : à la montée de la tension dramatique, excellemment orchestrée, répond la montée (plus ou moins) symbolique des niveaux. Au début du roman, le vol désincarné de Sélèn, le chorège, est un indice du déroulement futur de l'Histoire.
     L'écriture est superbe, tantôt fluide et légère, tantôt sèche, difficultueuse, engendrant le malaise. Soumise aux idées, elle les reprend, les transcende, ajoute encore à la cohérence du roman.
     Sous une superbe couverture de Caza, voici une œuvre importante, qui réalise la synthèse ardue de l'art et du politique sous couvert de SF. Le sens du suspense propre à Joëlle Wintrebert dans ses autres livres ne se dément jamais ici. Et quelques-unes des scènes sont d'une virtuosité littéraire sans égale dans la SF française.
     Il sera injuste désormais de confiner Joëlle dans un rôle d'auteur prometteur. Elle tient toutes ses promesses à la perfection. Si elle était peintre, elle serait fauviste.

Pierre-Paul DURASTANTI (lui écrire)
Première parution : 1/4/1984 dans Fiction 350
Mise en ligne le : 1/11/2005


     Le décor du roman est une ville-tour de Babel où les langues ont été remplacées par les couleurs (Chromatique). Chacune des couleurs est l'attribut d'une fonction sociale. C'est dire combien la société de Chromoville est hiérarchisée, pyramidale.
     Son thème est celui du complot. Complot contre le Hiérarque qui est à la tête de la cité et soutenu par les ordres des noirs et des blancs. Complot contrôlé par le biais d'écrans et des micros épars dans les appartements et les rues de la ville. Complot mené par les insatisfaits, ceux qui sont mécontents de leur position sociale et mal à l'aise dans leur sexe.
     Son « héros » est un jeune garçon, Sélèn, ayant échappé à la mauvaise condition que lui réservait sa couleur Rouge, qui a le pouvoir de se téléporter, de se muer en personnages spectaculaires, et, communiquant avec la ville, de s'en faire le porte-parole.
     L'auteur Wintrebert maîtrise toujours aussi parfaitement la langue. Elle en use avec le perfectionnisme d'un orfèvre amoureux. La femme Joëlle reprend ici ce qui faisait la trame des Olympiades truquées : son désir de faire prendre conscience au lecteur de la réalité de l'existence de la femme comme individu à part entière. Dans Chromoville, sa démonstration ( !) est moins didactique, plus intégrée au récit. Elle réussit cette intégration en utilisant le thème de la quête d'identité poursuivie par les principaux personnages. Homosexualité masculine et féminine, autisme, amour dévoreur, jalousie sont les signes de cette quête.
     Si le dernier Joëlle Wintrebert n'était que tout cela ( !), il ne serait qu'un roman classique bien écrit, mais l'auteur pervertit cette image rassurante par l'intrusion d'une race incolore avec laquelle tout rapport autre que celui de domination est interdit : celle des esclaves des maîtres. Des individus créés de toutes pièces par un des derniers chercheurs — fonction depuis longtemps oubliée dans la cité — ayant eu un pouvoir. Un mélange d'humain et d'animal qui, en s'interposant entre les lumpen déchaînés et les « nobles » survivants, propose au lecteur un final surprenant.
     Joëlle Wintrebert livre un roman complexe par le nombre important de personnages riches, par le nœud des intrigues qui trament le complot, par la résolution de l'histoire, par les pensées généreuses qu'elle glisse au fil des pages — maximes savoureuses pour lecteur attentif, par son désir de présenter une image non banale, non avilissante de la femme. Un roman qui laisse le lecteur perplexe comme au sortir d'un éblouissement, assouvi et rassasié par la certitude que sa surprise est la bonne...
     A la différence des Maîtres-feux où elle jouait à déjouer les attentes du lecteur, Joëlle Wintrebert procède ici par ellipses qu'elle efface d'un chapitre à l'autre. Le lecteur suit l'aventure, le déroulement du récit par recoupements successifs, en ayant l'impression qu'il s'insère comme voyeur dans des moments divers de la vie des personnages. Joëlle donne à lire autant qu'elle raconte. Si Les Maîtres-feux était littérairement ambitieux, Chromoville est « politiquement » et littérairement très ambitieux.
     Le lecteur participant de l'action ne peut que prendre progressivement à son compte les phrases, les formules dans lesquelles il lui est permis de trouver matière à réflexion. Ainsi, sous son aspect « gentil » et passionnant de roman classique, Chromoville parvient pleinement à ce qui semble être son but.
     Saluons un auteur qui ne se contente pas de bien écrire ou d'imaginer des histoires originales et qui nous éloigne d'un certain ronronnement d'autosatisfaction.

Noé GAILLARD
Première parution : 1/4/1984 dans Fiction 350
Mise en ligne le : 1/11/2005


     L'ordre symbolique a partie liée avec le sacré, et il n'est dès lors pas étonnant de voir autant de prêtres occuper le pouvoir dans les œuvres qui explorent un type de société où cet ordre est fondateur (voir Kingsbury, en plus nuancé).
     La Ville est ici organisée rationnellement et hiérarchiquement : comme partout, semble-t-il, les castes progressent en pouvoir vers le haut (il faudra un jour décrire le contraire !) et le Pouvoir ultime est au sommet de la pyramide. Il y aurait bien là comme une inévitable réminiscence silverbergienne (ouf) : dans le monde des Monades urbaines également, qui grimpe de niveau grimpe de caste. A ceci près que, chez Wintrebert, nul ne grimpe : les castes sont figées, immuables, et la Couleur donnée à l'adolescent marque sa vie entière. L'exception sera fournie par les Chorèges, auxquels leur art (un mimétisme, ou plutôt un pouvoir de métamorphose inimaginable) permet de quitter le cloaque des étages inférieurs pour accéder au septième niveau, celui des Blancs et des Noirs : les prêtres.
     Car cette hiérarchie urbaine est tangible, symboliquement ; chaque niveau est marqué de sa couleur, et ses habitants la revêtent en signe de leur appartenance, inscrite dans leur pigmentation. Seule la neige gomme les différences et nivelé les strates : c'est la fête de l'égalité, soupape comparable à notre carnaval. Si tout n'est pas original dans cette version du motif dystopique de la ville close et répressive, l'agencement de la structure et du fonctionnement de cette cité, du moins, témoigne de l'imagination et de la rigueur de l'auteur. Tout se tient.
     La ville comme modèle socio-politique fascine. Nombre d'utopies ou de dystopies n'existent que par la charpente de la « cité parfaite ». On n'a rien inventé depuis Platon. Chromoville n'échappe pas à la règle : monde clos, structure glacée qui fonctionne par le jeu du cloisonnement et de la répression (la danse de justice où le bourreau aux ongles d'acier déchire le corps de sa victime). On ne sort pas, ou guère, de la Ville. Mais on peut en être exclus : les Sanscous (sans-couleurs) déchus peuplent ses abords immédiats.
     Les préoccupations particulières de Joëlle Wintrebert investissent évidemment le motif choisi et lui confère un sens caractéristique : un sens qui va vers l'acceptation des différences et la dénonciation de l'intolérance. Dans ce monde d'enfermement, les femmes figurent en tête des exploités, par leur production en termes économiques, mais surtout en termes de perpétuation de l'espèce ! Comme chez Silverberg, on se reproduit le plus possible et l'avortement est sévèrement châtié par les prêtres. Dans ce roman, qui raconte la montée d'une révolte, les femmes seront en première ligne, entrant en lutte collectivement et quasiment sans aide masculine. Les personnages mâles sont du reste plutôt pâlots, et celui d'entre eux dont l'analyse est un peu fouillée (Tigre le Multi) se voit dépeint comme un être peureux, agi plutôt qu'acteur. Pourtant Wintrebert évite le manichéisme, et nous rappelle que l'héroïsme n'est souvent qu'aveuglement ou folie. Face à son destin, Narcisse l'hétaïre sera aussi folle de peur. Aveuglement également des auteurs de la révolte, dépassés par les forces qu'ils ont contribué à mettre en branle. En bout de course, la fin des privilèges viendra d'une insurrection aveugle et meurtrière, mais surtout de la fureur homicide du Chorège Sélèn, le danseur Bland qui vit hors des castes. Et la nouvelle race, les Saï, espoir de l'humanité peut-être, sont hermaphrodites...
     Chromoville, récit inscrit dans un courant fort pratiqué, est plus complexe qu'il n'y paraît. Les questions soulevées au cœur d'un livre par ailleurs efficacement construit sont de grandes et universelles questions. Le lecteur lucide devra reconnaître que, hormis la Ville-univers et l'Ordre des Couleurs, le monde mis en scène fonctionne sur des bases guère très éloignées des nôtres. Nos « castes » sont plus perméables, mais quel est le statut réel de la femme, ici ? La logique de Chromoville est celle de tout système hiérarchisé. Nos Sancous vivent en banlieue et sont un peu basans, voilà toute la différence. Et il demeure fallacieux de remplacer une hiérarchie par une autre : ni Dieu ni Maître !


Dominique WARFA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/4/1984 dans Fiction 350
Mise en ligne le : 1/11/2005

Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Albin Michel : La Bibliothèque idéale de SF (liste parue en 1988)
Association Infini : Infini (3 - liste francophone) (liste parue en 1998)
Francis Valéry : Passeport pour les étoiles (liste parue en 2000)

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