La chose était bien plus immense qu'une baleine. Elle pensait de théorèmes. De vraies perles qu'il fallait aller chercher. Dans les profondeurs de sa chair...
Le navire interstellaire étai tombé en panne. Il ne pouvait plus arrêter ses moteurs. Il accélérait sans cesse. Jusqu'à atteindre la vitesse de la lumière, voyager dans le temps et rejoindre la fin des temps...
Une Intelligence Artificielle oscille au bord de la conscience. Y chuter, serait-ce son péché originel ?
Gregory Benford fait remarquer que plus de la moitié des nouvelles publiées en langue anglaise relèvent aujourd'hui de la science-fiction.
En voici quatorze, d'un des écrivains les plus brillants du genre, qui démontrent à quel point la forme ramassée de la nouvelle convient à ce genre littéraire, dans l'alliance de la poésie et de la science.
1 - Du sang sur le verre (Blood on Glass, 1986), pages 9 à 10, poésie, trad. Dominique DEFERT 2 - En chair étrangère (In Alien Flesh, 1978), pages 11 à 50, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 3 - Fragments de temps (Time Shards, 1979), pages 54 à 67, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 4 - Le Rédempteur (Redeemer, 1979), pages 69 à 86, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 5 - En dérobant Robby (Snatching the Bot, 1977), pages 90 à 104, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 6 - Effets relativistes (Relativistic Effects, 1982), pages 107 à 139, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 7 - Le Jour se lève (Nooncoming, 1978), pages 143 à 153, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 8 - Vers le golfe des tempêtes (To the Storming Gulf, 1985), pages 158 à 233, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 9 - Blanches créatures (White Creatures, 1975), pages 241 à 264, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 10 - Moi / Jours (Me/Days, 1984), pages 268 à 283, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 11 - De l'espace / temps et du fleuve (Of Space / Time and the River, 1985), pages 287 à 333, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 12 - Clichés (Exposures, 1981), pages 338 à 360, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 13 - La Patine du temps (Time's Rub, 1984), pages 364 à 383, nouvelle, trad. Dominique DEFERT 14 - Faire Lennon (Doing Lennon, 1975), pages 387 à 407, nouvelle, trad. Dominique DEFERT
Le lecteur français amateur de SF a, ou croit avoir une image à peu près satisfaisante de Greg Benford : une image moyenne, qui correspond à sa place médiane dans la « jeune » SF américaine (les guillemets car Benford est né en 1941 et il a publié son premier roman en 1970). Evidemment pas « cyberpunk », pas tout à fait hard-scienceux comme Sheffield ou Forward (bien que la science occupe une place primordiale dans ses récits), mais pas non plus pur humaniste (à tendances fantastiques) comme Shepard ou Robinson. Disons entre les deux. Ce même lecteur a pu se faire cette image à la lecture d'épais romans, tel l'assez méprisé Shiva le destructeur (CLA, en collaboration avec Rotsler), le trop méconnu Au coeur de la comète (avec David Brin), ou l'enfin unanimement célébré Paysage du temps...
Est-ce que En chair étrangère contredit en quoi que ce soit cette image ? Certainement pas. Mais, à travers ces 14 nouvelles (pratiquement toutes inédites), l'écrivain la peaufine pour nous, la précise, la creuse, l'humanise jusque dans ses recoins les plus scientifiques, en somme la rend vivante. Pas tant par les textes eux-mêmes, de qualité bien évidemment variable, mais de thèmes classiques (épopée post-atomique : Vers le golfe des tempêtes ; rencontre avec une entité étrange sur un autre monde : En chair étrangère, nouvelle assez farmerienne ; présence d'E.T. sur laTerre : De l'espace/temps et du fleuve, etc)... A ce sujet, on pourra noter en manière de parenthèse que la seule véritable pierre d'achoppement de l'auteur est sa difficulté à inventer un langage autre pour faire parler les « autres » (Ordinateur dans Moi/Jours ou lointains descendants de l'homme dans La patine du temps). Mais on peut considérer aussi que c'est celle de tous les auteurs de SF en même temps que leur tentation théorique permanente (dont l'exemple insurpassé et inégalé reste Surface de la planète de Daniel Drode). Benford n'y débouche que sur l'ennui, alors que pour un autre texte intériorisé, un monologue fantasmé, il réussit magnifiquement (Blanches créatures, pour moi la meilleure nouvelle du recueil). Mais c'est parce qu'il fait parler tout simplement un homme dans la position la plus tragique qui soit (littérairement comme humainement) : sa propre mort...
Pas tant par les textes eux-mêmes, ai-je écrit. Mais par les postfaces qui les accompagnent, une manie certes poussée à l'extrême par Asimov, mais qui ici est bien autre chose que l'amusant exercice auquel nous a habitué le vieux maître. C'est que dans ses courtes postfaces, l'auteur ne parle pas des chèques qu'il a reçus, mais véritablement de lui, et de ce qui est le plus important pour un écrivain parce que c'est cela qui le pétrit, de ses sources. Sa jeunesse dans le Deep South, par exemple (Vers le golfe des tempêtes), où il ose nous rappeler un fait sans doute bien oublié des Européens : « On a beaucoup parlé de la guerre du Vietnam, la première que »nous« ayons perdue, mais personne ne semble se souvenir que la moitié du pays a déjà perdu une guerre, et perdu de façon désastreuse, cent vingt ans auparavant ». Il veut bien évidemment parler de la guerre de Sécession, et la coupure qu'elle a introduite dans le pays. Bendford se veut un écrivain terrien, en ce sens qu'il veut avoir les deux pieds non seulement sur terre, mais dans la terre, dans ses origines.
Mais avoir les pieds sur terre est aussi une façon d'être, une raison d'être face à la science — et à la science-fiction, et à sa manière d'aborder l'une et l'autre, l'une nourrissant l'autre : « Un écrivain de SF doit — ou devrait — se limiter à ce qui existe — ou pourrait exister », écrit-il d'un ton quelque peu péremptoire, ce qui ne l'empêche pas d'évoquer quelques lignes plus loin « le mystère mouvement et impitoyable du réel ». Encore les pieds sur terre ? Mais la poésie se nourrit de réel et de boue aux pieds. L'oeuvre entière de Greg Benford peut-être jugée et jaugée à cette aune, à cette eau. Lui, chantre des espaces galactiques, ne cesse de revenir sur cette formidable contradiction entre l'immensité de ces espaces et la cruelle brièveté d'une vie d'homme, entre ce désir d'exploration et la quasi-certitude que la vitesse de la lumière est indépassable.
Et, parlant du « contraste absolu entre cette poche d'air où nous vivons et l'immensité de l'univers », (cf. Blanches créatures), il se pose la question : « Comment la plupart des astronomes s'en accommodent ? ». Pour conclure : « Mais je sais bien qu'ils ne s'enfoncent pas tous sereinement dans cette douce nuit ». De ce conflit naît la poésie qui sourd de l'oeuvre de l'auteur, et qui donne la mesure de l'homme.