(critique de Révolte sur Titan, par Alan E. Nourse ; de Le secret de Saturne, par D.A. Wollheim ; de Gil dans le cosmos, par Adrien Martel ; et de S.O.S. envoyez fusée, par D.H. Halacy)
Une nouvelle série est née avant les vacances dans le domaine de la science-fiction : celle qu'a lancée, en « poche » et parallèlement à trois autres séries (policiers, espionnage, aventures), la librairie Hatier, qui veut ainsi toucher. avec des ouvrages peu chers, la masse potentielle des lecteurs de 10 à 15 ans... Cent soixante pages, une couverture en couleur ornée d'un dessin naïf : ainsi se présentent ces « Jeunesse Poche » dont seule la série Anticipation nous préoccupera, mais où l'on peut remarquer la participation de Boileau-Narcejac dans la série Policier.
Il est toujours difficile de porter un jugement serein sur un ouvrage destiné à des enfants ou des adolescents : la réaction d'un public neuf peut n'être pas la même que celle du critique adulte, qui a beaucoup lu, beaucoup vu, beaucoup bu... et risque fort d'être quelque peu blasé. Cependant, ce qui frappe à la lecture des Anticipation de chez Hatier, c'est une égale grisaille, un total manque d'imagination. de souffle, de sens épique. Croire qu'on va accrocher de jeunes garçons ou filles avec un pareil matériau me semble une erreur. Faire simple ne veut pas obligatoirement dire faire terne. Et c'est pourtant un même manque de relief qui lie les quatre ouvrages, pourtant d'origines bien différentes... Wollheim et Nourse. s'ils ne sont guère connus en France que par quelques nouvelles dans Fiction ou Galaxie, sont des écrivains appréciés aux Etats-Unis. (Mais notons que les deux ouvrages présentés datent respectivement de 54 et de 59.) Quant à D. H. Halacy et à Adrien Martel (le seul Français du lot), ce sont pour moi deux inconnus. Et le plus bizarre est que les quatre romans auraient très bien pu être signés par le même auteur ! Il s'agit en fait de quatre « pâtés » issus d'un même moule. et que seuls quelques détails superficiels permettent de différencier. On s'en rendra compte au résumé des scénarios, qui peuvent chacun tenir en une seule phrase...
Révolte sur Titan rapporte comment un colonel de la Commission de sécurité terrienne. accompagné de son fils, mate, grâce à l'appui de quelques mineurs « loyaux », la révolte qui couvait sur Titan, ancienne colonie pénitentiaire aujourd'hui émancipée.
Le secret de Saturne raconte comment un grand savant, Emmanuel Rhodes, va chercher. en compagnie de son fils, la preuve que les anneaux de Saturne sont les restes d'une ancienne planète détruite. pour stopper à temps de nouvelles méthodes d'extraction lunaire qui risquent à leur tour de détruire notre satellite.
Gil dans le cosmos nous permet de suivre Gil et sa famille qui, capturés lors d'une croisière touristique par une mystérieuse étoile verte, prennent contact avec les extraterrestres qui l'habitent et veulent tenter sur eux de dangereuses expériences, avant de pouvoir s'enfuir avec un être cosmique qui a trahi les siens.
S.O.S. envoyez fusée est le récit d'un classique sauvetage sidéral, qui met en scène deux jumeaux, nouveaux Cadets de l'Espace, et leur père, général de l'Astronautique...
Comme on le voit. les recettes sont immuables. les situations factices, les héros stéréotypés. Pour faciliter l'identification. on prend un jeune homme (quinze à vingt ans), qui fait ses premiers pas dans l'aventure spatiale (très généralement revêtu de l'uniforme), et on lui donne comme père (modèle et guide) un grand savant ou un valeureux officier. Cela passerait peut-être sans mal si les récits proposés étaient animés du moindre souffle de vie. Hélas, ce ne sont que des figures à deux dimensions que nous voyons évoluer devant nous, dans des décors de carton-pâte qui sentent le plus triste et le plus abandonné des magasins aux accessoires de la SF...
Paradoxalement, c'est chez l'écrivain que l'on pouvait supposer être le meilleur, Wollheim, pour son Secret de Saturne, que l'on se sent le plus à l'étroit, que l'espace est le plus étriqué. Comment croire un seul instant à ce premier voyage vers Saturne à bord d'un vaisseau prototype ?... La dimension temps est totalement absente, la course se résout à quelques pages peu glorieuses qui font penser à un voyage en métro.
Les rares bonnes idées éparses dans l'un ou l'autre roman (minéraux mouvants dans Révolte sur Titan, formes ovoïdes obscures apparaissant dans le ciel de Gil dans le cosmos) sont balayées en quelques lignes, comme si les auteurs n'étaient préoccupés que de suivre avec rigidité leur scénario sans s'écarter d'un doigt de la plus plate réalité, de la plus prosaïque vraisemblance. Cependant, par un curieux retour des choses, c'est le récit le plus technique, le plus documentaire, celui qui ne s'embarrasse ni de méchants ni d'extraterrestres (S.O.S. envoyez fusée), qui est, sinon le meilleur, du moins le moins mauvais. Malgré quelques détails « scientifiques » pour le moins curieux (un prototype fonctionnant à l'antimatière et que les ondes radio risquent de faire exploser... ), ce roman arrive à imposer l'image de la vie encasernée d'une base de fusées très proche de nous dans le futur, et à nous faire participer aux péripéties peu originales d'un sauvetage au large de la Lune...
Avant de terminer, il serait bon aussi de rendre compte de l'esprit qui baigne les quatre romans — c'est-à-dire de leur morale. On ne peut naturellement s'attendre à beaucoup d'audace de la part d'une collection destinée aux adolescents ; cependant, le conformisme qui corsète aussi bien les ouvrages américains que l'unique ouvrage français a de quoi surprendre, sinon inquiéter ! Que le goût pour l'autorité (paternelle, ou d'un supérieur hiérarchique) soit monté en épingle, cela n'a rien que de très normal... On remarquera toutefois, à l'inverse, une sorte de racisme « anti-vieux » dans Gil dans le cosmos, qui n'obéit vraisemblablement qu'à des buts démagogiques des plus désagréables.
Le courage, l'abnégation, sont aussi des hautes vertus qu'on souligne avec complaisance. Dans S.O.S. envoyez fusée, un vieux général fait le sacrifice suprême en se lançant dans le Soleil à bord du prototype à antimatière qui risquait de détruire la Terre. « Combien d'hommes auront eu la chance de pouvoir accomplir un acte pareil ? (dit un officier). Vous l'auriez voulue, cette chance. Moi aussi. Mais j'estime qu'il avait le droit de passer le premier. » On appréciera ce fair-play à sa juste valeur...
Révolte sur Titan pose un problème beaucoup plus grave. Car la révolte des mineurs (qui endurent d'effroyables conditions d'existence) est matée grâce à l'action conjuguée du colonel et de quelques « jaunes ». Le tout, naturellement, pour le plus grand profit de la Terre. On pourrait lire cette sombre aventure au second degré ; malheureusement, c'est bien au premier qu'elle a été écrite, au premier aussi que les jeunes lecteurs en prendront acte. Veut-on leur faire une apologie de la délation et de l'oppression ? On pourrait le croire... Quant à l'inénarrable Gil d'Adrien Martel, il ne cesse de répéter, au fil des chapitres, que les PAL (techniciens de 7e catégorie, prisonniers avec la famille à l'intérieur de l'Etoile Verte) sont des sous-hommes, incapables de comprendre quoi que ce sait et juste bons à obéir. D'ailleurs, pour avoir une petite chance de regagner la Terre, on donnera joyeusement ces esclaves en pâture aux extraterrestres...
« Ce qui veut dire que nous devons prendre le risque (sic !) de sacrifier le second acolyte de Bill ?
— Et même, s'il le faut, Bill lui-même !« . Tel est le credo de Gil...
Cela sans le moindre humour, naturellement, et avec la meilleure bonne conscience du monde... En somme, Adrien Martel veut faire bien comprendre à ses jeunes lecteurs que l'humanité est divisée en classes, en castes, qui comprennent les honnêtes gens éduqués et les autres, les manoeuvres, qui sont tout juste bon à servir de chair à Martiens.
Je trouve tous ces points de vue bien tristes ; naturellement, les auteurs concernés en sont les premiers responsables, mais l'éditeur, par son choix simultané de quatre titres au contenu convergent, opère par accumulation. Et cela semble alors une action très concertée. On ne m'enlèvera pas de l'idée qu'il y a peut-être d'autres « valeurs » à inculquer aux adolescents que de sordides nations d'ordre, de hiérarchie, de gloire Militaire, de mépris pour les travailleurs manuels, tout cela étant antihumaniste au possible.
Et que l'on ne me dise pas que cela est dilué dans le cours d'un roman d'aventures : on est toujours imprégné, influencé par ses lectures, quelles qu'elles soient, et fût-ce inconsciemment. C'est dire que je ne donnerai pas mon satisfecit à la nouvelle collection Jeunesse Poche — Anticipation. Mais la parole reste aux lecteurs concernés : aux jeunes de 10 à 15 ans, qui pourront ou non se faire les dents de la contestation sur ce nouveau produit.
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/12/1971 dans Fiction 216
Mise en ligne le : 15/2/2002