Ouvrir un livre constitue toujours une nouvelle expérience, une véritable aventure en territoire inconnu. Même si l'on connait l'auteur, on ne peut jamais vraiment être certain de ce que l'on va découvrir. Au mieux, on baigne dans une atmosphère familière, n'annulant en rien l'exotisme des décors ou le charme du récit. Parfois on est déçu, parfois ravi... et en d'autres occasions, on découvre une perle. Le phénomène ayant tendance à se raréfier, la découverte d'une œuvre majeure n'en prend que plus de valeur.
Dan Simmons est l'un de ces nouveaux auteurs, dont les talents laissent augurer de futurs maîtres de la science-fiction. Il faut espérer que son oeuvre saura influencer ses successeurs (voire même ses contemporains, et certains « anciens ») et donner un nouveau souffle à un « genre » littéraire qui en a le plus grand besoin.
On ne peut parler d'Hypérion sans mentionner Dune. Comme dans le roman de Frank Herbert, il y est question d'Empire Galactique, de cercles religieux et de troubles cosmiques ; les psychologies des personnages y sont tout aussi travaillées. Pourtant, si les deux romans sont proches par leur inspiration, Hypérion parvient néanmoins à se démarquer.
Le roman de Simmons est un amalgame de thèmes entrecroisés, se superposant les uns aux autres dans une joyeuse frénésie qui rappelle parfois davantage Fondation que Dune. Outre les thèmes déjà évoqués, Dan Simmons nous parle aussi de temps, d'amour, de vengeance et de puissance.
Hypérion est un roman-fleuve qui, en raison de sa taille, a dû être divisé en deux volumes : Hypérion et La chute d'Hypérion. Dans le premier tome, le lecteur est mis en présence des personnages : sept pèlerins qui — à l'instar de ceux des Contes de Canterbury de Chaucer — se rendent sur le monde nommé Hypérion afin d'y confronter leur destin, mais peut-être aussi celui de toute l'humanité. Car les Extros ne sont pas loin. Cette race extraterrestre — ennemie de l'Hégémonie (immense Empire Galactique) — va s'attaquer à Hypérion, essentiellement à cause des mystérieux Tombeaux du Temps. Ce lieu constitue justement le but du pèlerinage. C'est aussi là que se tapit le terrifiant gritche, prêt à emporter ses victimes sur ses lames effilées, pour ensuite les planter sur l'Arbre aux Epines, où elles resteront vivantes et subiront leur empalement pour l'éternité... Jusqu'à ce jour, le gritche se contentait de rester dans la vallée des Tombeaux. Mais à présent, ceux-ci s'apprêtent à s'ouvrir, et l'on a pu constater la présence du Seigneur de la Douleur en de nombreux points de la planète.
Simmons ouvre son roman de manière forte et originale. Qui a déjà entendu parler d'un Seigneur de la Douleur embrochant ses victimes sur les épines d'un arbre gigantesque ? Sans parler des fameux Tombeaux, construits dans un lointain avenir, puis expédiés dans le temps pour aller s'ouvrir dans le passé, à une époque où la guerre ferait rage. Ces faits ont, bien entendu, donné naissance à toute une mythologie. L'Eglise de l'Expiation Finale proclame haut et fort que l'ouverture des Tombeaux du Temps coïncidera avec la chute de l'Hégémonie et... la fin de l'univers ! Le roman prend dès lors une dimension apocalyptique — toujours là, en filigrane, derrière chaque mot, chaque action — qui ne quittera plus l'esprit du lecteur.
Toutes ces choses sont divulguées avec délicatesse et parcimonie, par la bouche même des pèlerins, alors qu'ils nous content les raisons personnelles qui les poussent à entreprendre ce voyage vers Hypérion, cet ultime pèlerinage gritchtèque. Peut-être pourront-ils ainsi sauver l'humanité de son triste sort ?
Au fil des pages, les personnages sont étoffés et prennent davantage de consistance, au point que le lecteur commence presque à les croire réels. Il va vite apprendre à les aimer — ou à les haïr — à mesure que leurs caractères et motivations seront dévoilés ; il imagine parfaitement leurs problèmes, leurs soucis et leurs peines. En d'autres termes, il s'attache à eux.
Mais là où d'autres auteurs se seraient contentés de ces déjà nombreux éléments, Simmons, lui, en rajoute.
Il y a par exemple l'infosphère, lieu où vivent les I.A. et auquel chaque citoyen de l'Hégémonie est relié en quasi permanence via son persoc. Un côté cyberpunk, donc, mais suffisamment discret pour ne pas rebuter les allergiques au genre. En fait, l'infosphère transpire de tout l'ouvrage ; pourtant, on en parle à peine, et c'est ce silence même qui confère au roman toute sa puissance, une puissance renforcée et même décuplée à la lecture du second volume, où certaines révélations étourdissantes viendront gifler le lecteur de plein fouet. Car voilà bien à quoi doit s'attendre le lecteur : Hypérion est une succession de chocs, tant ce roman innove et foisonne de détails impressionnants et de retournements de situation littéralement renversants.
Il y a aussi John Keats, un cybride mi-homme, mi-I.A. doté de la personnalité « récupérée » du fameux poète « dont le nom était écrit dans l'eau » et dont la poésie hante de bout en bout l'ouvrage de Simmons.
Il y a encore les Templiers et leurs formidables vaisseaux-arbres ; les planètes labyrinthiennes ; le TechnoCentre, que dirigent les plus puissantes I.A. de l'infosphère ; toutes ces descriptions si réalistes des mondes appartenant à l'Hégémonie, avec sa technologie et ses défauts ; les dialogues à la fois hilarants et effrayants avec Ummon — une I.A. fort étrange ; les questions théologiques ; les mystérieux cruciformes ; et puis, et puis, et puis...
Et puis bien d'autres choses encore, qui ne font qu'affirmer et confirmer la richesse de l'ouvrage et son originalité à tous points de vue.
Il y a enfin le style de Dan Simmons. Car ce monsieur, non content de nous proposer un roman au sujet et au traitement des plus étonnants, nous fait aussi l'agréable surprise d'écrire dans un style magnifique et... caméléon. Caméléon, car il évolue selon les passages. Du moins est-ce l'impression qu'il donne, car en réalité le style constitue une histoire en lui-même, dans le sens où le lecteur — au fil des pages — s'aperçoit que tous ces différents choix stylistiques ne sont pas imputables au hasard, mais suivent bel et bien une trame logique. A ce titre, le premier volume lui-même — pourtant écrit et conçu de manière plus sobre — s'inscrit parfaitement dans la continuité. Il faut bien sûr aussi saluer le fantastique travail de Guy Abadia, dont la traduction retranscrit parfaitement toute cette richesse.
Pour conclure, disons qu'Hypérion / La chute d'Hypérion est et restera sans doute un monumental édifice à la gloire de l'imaginaire — ainsi qu'un chef-d'œuvre de la littérature en général.
A lire absolument.
Alexandre Stéphane GARCIA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/4/1995 Scen'ART (version remaniée pour nooSFere)
Mise en ligne le : 25/9/2001