Demain, la France... Le peuple ronronne devant sa ration de pâtée sportive. Plus rien ne compte que le spectacle que l'on ingurgite, quotidiennement.
Toutes les déviances, toutes les dissidences, sont corrigées par des spécialistes. Le pouvoir médical est total.
Dans les usines biologiques, on manipule la génétique à tours de bras. On fabrique les nouveaux héros de l'Olympe sportive.
Pour échapper à sa condition, Sphyrène passe par cette fabrique de champions.
Et puis il y a Maël, née par clonage, essayant désespérément d'imposer sa propre personnalité, de faire oublier la morte dont elle est la réplique parfaite...
Deux filles très jeunes. Deux itinéraires parallèles. Deux prises de conscience. Un lourd bilan. Sans désespoir.
Critiques
Joëlle Wintrebert, jusqu'à présent, faisait dans la nouvelle. Faisait plutôt bien, d'ailleurs (je me souviens d'un Nirvana des accalmeurs dans l'anthologie Des métiers d'avenir, aux Editions Ponte Mirone, qui m'avait ravi).
Et puis là, d'un seul coup, du court-métrage nous passons à la superproduction, en vision tout ce qu'il y a de pana, je vous le dis.
Ce roman n'est pas à proprement parler un bouquin sur les J.O., non, mais sur le sport en général, de compétition en particulier, le sport-institution, le sport-prestige, nationaliste, de combat, etc. Et ses coulisses. Ses manigances, magouilles, tripatouillages, manipulations, génétiques et diverses, tout ce qui fait que le sport à un certain moment devient autre chose que la saine gymnastique ordinaire d'un assemblage de muscles qui s'appelle le corps humain. Sport de combat, parfaitement, avec non plus ses athlètes, mais ses guerriers, mercenaires, gladiateurs. Panoramiques et zoom sur l'arène, ainsi que dans les vestiaires, avec quelques séquences au dehors pour aérer... si l'on peut dire, car le monde du dehors que nous montre Wintrebert n'est pas spécialement respirable, qu'il appartienne au commun des mortels ou à l'un ou à l'autre de ses personnages-conducteurs. Pas de temps morts : le décor ne s'éclairera pas ni l'action ne faiblira.
J'aime pas les trois dernières phrases. A cause de mon humeur du moment ? Va savoir. Mais cet optimisme, sans blague, c'est vraiment au-dessus de mes forces, au-dessus de mon imagination... surtout après avoir subi les jeuzomlypiquedemoscou et les chapelets de commentaires qui ont accompagné l'événement, ces monologues gluants de connerie récités par les babas-clowns de tout bord, médailles d'or des Jacasseries Obscènes.
Bon. A part ces sacrées trois dernières phrases, à mon avis. Les Olympiades truquées, c'est 266 bonnes pages.
Dans un futur proche, la génétique a permis aux parents de choisir le sexe de leur enfant, ce qui fait qu’il y a deux fois plus d’hommes que de femmes. Le pouvoir des secondes s’en trouve renforcé, et les crimes sexuels sont punis de manière expéditive. Le clonage est devenu une pratique réglementée mais courante, ce qui permet par exemple à un généticien renommé d’obtenir un clone de sa femme décédée, qu’il peut élever comme sa fille. Le sport est toujours une institution extrêmement populaire et hautement lucrative. Des clones sont donc conçus et élevés dans la religion du sport.
Le récit retrace le destin de deux jeunes femmes : celui de Maël, clone d’une célèbre femme compositeur et celui de Sphyrène, jeune championne de natation qui rêve de gagner aux jeux olympiques de Téhéran. Les parcours des deux jeunes filles, Maël et Sphyrêne, se déroulent en parallèle, entrecoupés de courts chapitres mettant en lumière certaines pratiques peu reluisantes d’une société dont les valeurs dominantes semblent être le profit et la manipulation. Ainsi, les sportifs sont devenus des cobayes à leur insu, gavés de drogue visant à optimiser leurs performances sportives. Les nageuses sont véritablement emprisonnées dans leur centre d’entraînement, où des micros cachés les espionnent et où une fugue d’un soir est qualifiée d’évasion !
Les parcours de Maël et de Sphyrène sont un peu à l’opposé l’un de l’autre. Tandis que Maël s’échappe et coupe les ponts avec sa ‘famille’ en trouvant refuge auprès d’un groupe d’opposants, Sphyrène s’enferme dans le système sportif, se laissant aveugler par son envie de remporter la victoire à tout prix.
Les Olympiades truquées est un grand roman, brassant un grand nombre d’idées de manière extrêmement claire. Et surtout, malgré le fait qu’il a été écrit il y a vingt ans (bien que le texte ait été revu pour la présente réédition), il reste d’une stupéfiante modernité si l’on regarde l’évolution actuelle de la société. Les thèmes abordés (le clonage, le dopage, la démission des états devant les lois du marché...) sont bien tous d’actualité. Un roman passionnant qui allie le destin de deux personnages à la description rigoureuse d’une société où le sort de l’individu importe peu, où seuls comptent le profit et la performance. Dans ce contexte, les olympiades ne sont qu’une mascarade grotesque masquant la faillite d’une société qui devient inhumaine.
Pour conclure une année dont la chronique judiciaire fut d'abondance défrayée par le sport avec l'affaire Festina sur le Tour de France 98, le scandale de la corruption au Comité International Olympique, où des athlètes tels que Virenque ou Zidane tinrent salon chez les juges d'instruction, s'imposait la réédition de ce chef-d'œuvre de la Nouvelle Science-Fiction Politique Française qu'est Les Olympiades truquées. Ce roman, à l'heure où Marie-George Buffet initie le tout-répressif en matière de dopage, reste de la plus brûlante actualité puisque, ce faisant, la ministre s'engage dans la voie prédite par Joëlle Wintrebert pour noyer le poisson. Une fois n'est pas coutume en S-F la réalité semble emboîter le pas aux spéculations de l'auteur et il n'y a pas lieu de s'en réjouir. Pas du tout.
Cette nouvelle édition renoue avec la version d'origine en un volume publiée au printemps 1980 chez Kesselring, l'éditeur emblématique de la NSFPF bien que certains passages aient été entièrement réécrits. L'édition en deux tomes au Fleuve Noir qui dissociait les vies de Sphyrène, la sportive (T.l, prix Rosny-Aîné 1988) et Maël, le clone (T. 2, Bébé miroir) perdait une bonne part de sa force. L'entrelacs des trajectoires de Maël et Sphyrène contribue à lier les diverses problématiques entre elles, or le panorama offert par Les Olympiades truquées est d'une exceptionnelle richesse. Joëlle Wintrebert y aborde le sport, le clonage, le contrôle social et la condition féminine en un tout remarquablement cohérent. Elle brosse plusieurs aspects de son tableau social, sans se contenter d'un collage approximatif ni se focaliser sur un unique problème. Elle s'attache à révéler les synergies à l'œuvre.
Au bout de vingt ans, la réédition d'une S-F du futur proche nécessite quelques mises à jour de manière à ce que les spéculations d'alors se conforment à ce qui est entre-temps devenu la réalité historique. L'Europe est bien plus effective qu'elle ne l'était à l'époque, les situations politiques ont évolué en Iran et surtout en Afrique du Sud où le régime d'apartheid est tombé. Un athlète sud-africain noir n'est plus l'image idéologiquement forte qu'elle était en 1980. Des détails subsistent qui datent le roman ; ainsi une allusion au CNEXO, devenu depuis l'IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploration de la Mer) ; une expression telle que « bath » n'a plus cours aujourd'hui et il n'y a guère que les quadras pour se souvenir qu'elle était peu ou prou l'équivalent de « fun », etc.
Plus difficile était de coller à l'évolution politico-économique et une allusion à la mainmise des grands groupes sur les états (p. 178) n'empêche nullement Les Olympiades truquées de reposer sur la dénonciation de valeurs encore solides en 1980 mais aujourd'hui des plus discréditées : l'état et la nation. Le sport reste l'un des ultimes bastions du nationalisme ainsi que l'on a pu le voir les 12 et 13 juillet 98 face, non à l'Internationale
Socialiste, mais à la mondialisation libérale.
En l'occurrence, Wintrebert tire sur des ambulances, voire des corbillards. Si l'état était l'agent du capital, il était aussi l'institution démocratique ; désormais, ces institutions moribondes ne subsistent plus que sous perfusion du Marché, en étant des « prestataires de légitimité » cautionnant la répression et le contrôle social, restreignant les libertés individuelles au gré des instances financières mondiales. Le mouvement anti-étatique dont participait ce roman a, en discréditant l'état dans l'opinion, contribué à le circonscrire dans les fonctions même qu'il entendait dénoncer. Le contrôle social ne cherche désormais plus à contenir la contestation mais à conformer les masses aux objectifs du marché. Toutefois, pour se demander si avec l'état, on n'avait pas jeté le bébé avec l'eau du bain, c'est un autre livre qu'il eût fallu écrire...
Métaphore de la guerre — on pourra lire La Guerre olympique, de Pierre Pelot (Denoël « PdF »), qui date de la même époque — , le sport est un bien utile opium du peuple pour canaliser la violence. Malgré des discours lénifiant, l'idéologie sportive moderne ne brille ni par son humanisme m par son respect de l'autre. Ainsi, si Maël inspire la sympathie, Sphyrène est une petite conne prête à tous les sacrifices pour un peu de gloire et du fric et ne répugnera même pas à un meurtre pour exorciser ses frustrations de championne déchue. Elle fait pitié. Si elle est victime du système, elle n'en joue pas moins le jeu à fond. Le dopage est inhérent au sport, concomitant au culte de la performance, et Wintrebert conclut son livre sur une note pessimiste envisageant une moralisation du sport, précisément ce que nous concocte Mme Buffet. Rien ne concernant le fond du problème, l'idéologie sous-jacente...
L'autrice se fait également l'avocate des libertés individuelles. Elle calque sur l'ex-RDA le mode de vie imposé à ses championnes. Si le marché semble avoir été mis entre les mains de Nadja suite à un manquement à la discipline de fer du centre, les trois autres paraissent avoir été dopées aux hystérines à leur insu. Le centre apparaît comme un univers carcéral où régnent le chantage et l'humiliation, où elles ne jouissent d'aucune liberté (évasion, parloir), où leur intimité est bafouée par des micros.
Enfin, dans l'univers proposé par Joëlle Wintrebert, les femmes sont devenues rares... et donc chères. Les violeurs sont castrés au Ceres — institution psycho-carcérale destinée à détruire la personnalité des délinquants ou opposants et à les reprogrammer en conformité avec l'ordre social. De fait, tous les hommes du roman font l'objet d'une approche négative, exception faite du second frère de Sil, qui est un transsexuel. Nous sommes en présence d'un roman féministe plutôt que gauchiste, fondé sur la victimisation de la femme, bien que Wintrebert se démarque du courant général du féminisme en défendant les libertés individuelles qui sont d'ordinaire combattues en tant que moyens d'oppression masculins. Elle n'en prône pas moins, dans la conversation entre Maël et Khandjar, la guerre des sexes plutôt que la lutte des classes.
Les Olympiades truquées est l'un des chefs-d'œuvre de la S-F française qui méritait amplement sa troisième réédition afin que la nouvelle génération de lecteurs puisse le découvrir. Roman-phare de la S-F politique des années 75/85, où l'on retrouve toute la technophobie de la mouvance, il s'emploi à illustrer l'aphorisme dischien qui veut que tout progrès contribue à faire du monde un meilleur piège à rats. Malheureusement plus que jamais d'actualité.