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L'Homme de deux mondes

Brian HERBERT & Frank HERBERT

Titre original : Man of Two Worlds, 1986
Première parution : Gollancz, mai 1986
Traduction de Guy ABADIA

Robert LAFFONT (Paris, France), coll. Ailleurs et demain
Dépôt légal : septembre 1987, Achevé d'imprimer : août 1987
Première édition
Roman, 420 pages, catégorie / prix : 98 FF
ISBN : 2-221-05266-8
Format : 13,5 x 21,5 cm
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
Pour sa première sortie dans l'hyperespace, Lutt Hanson, fils de famille à peine supportable, entre en collision avec un vaisseau Dreen. A son bord, Ryll, un adolescent comme Lutt, en cavale de surcroît, mais d'une autre espèce. Et quelle espèce ! Les Dreen sont nos créateurs. Habitant une planète lointaine, ils rêvent d'autres mondes comme nous peignons des tableaux, les visitent et en ramènent de longs poèmes qui sont aussi leur façon de payer leurs impôts à Habiba, la première des Dreen.
La Terre pose aux Dreen un délicat problème. Parce que son créateur, un Dreen mal inspiré, a idmaginé jadis des bactéries dotées du libre arbitre, une espèce incontrôlable et agressive est née, l'humanité. Elle risque d'envahir et de détruire la pacifique civilisation Dreen. Bien que cela lui répugne, Habiba envisage d'effacer la Terre à titre préventif.
A la suite de l'accident, Ryll et Lutt vont devoir partager le même corps remodelé grâce aux pouvoirs du Dreen. Et puisqu'ils sont désormais solidaires, tenter de tirer la Terre du guêpier où elle s'est fourrée.
Pour son dernier livre, Frank Herbert a choisi d'écrire avec son fils Brian un roman sarcastique et insolent dans une veine humoristique qu'il ne manifestait que dans ses nouvelles. Mais il a su y introduire aussi les jeux subtils de pouvoir et les toiles de fond complexes qui ont fait la gloire de Dune, de Dosadi, de l'Effet Lazare et de ses autres chefs-d'œuvre.
Critiques
 
     Pour la rentrée Gérard Klein nous offre le dernier roman de Frank Herbert, écrit en collaboration avec son fils. Il semble d'ailleurs, au vu du résultat, qu'il s'agisse d'une véritable collaboration, et non pas d'un récit inachevé de Frank Herbert terminé tant bien que mal par Brian. De plus le sérieux de la célèbre collection argentée garantie la qualité de ce texte. Il faut aussi ajouter que Brian a publié en solo un roman de SF comique, ce qui, a ici, son importance.
     En effet, cet énorme ouvrage (plus de 400 pages) contient une dose d'humour non négligeable. Qu'on en juge plutôt.
     Comment tout d'abord ne pas songer à un « pastiche » de Dune en lisant ce livre ? Les chapitres sont annoncés par un texte court en caractères gras, dont le contenu, pour le moins éclectique, varie de la réflexion philosophico-politique à un résumé de l'action, en passant par l'histoire drôle d'un goût douteux ! Mais il existe d'autres rapports, en dehors de celui-ci, purement formel. On retrouve certains des principaux thèmes qui ont fait le succès de Dune. Les Drène sont des extra-terrestres créateurs (« imageurs ») d'univers, dont le nôtre. La religion, avec de faux prophètes, et la politique sont omniprésentes dans ce livre. La drogue joue elle aussi un rôle important, le basilic (une épice...) faisant des ravages sur Drénor, la planète-mère. D'autres points communs existent mais il me faudrait, pour les citer, dévoiler certains rebondissements de l'histoire, ce qui gêne toujours le lecteur potentiel.
     Quant à l'intrigue proprement dite, elle est particulièrement amusante. En effet, Lutt Hanson Junior, fils de milliardaire, inventeur méconnu, et surtout être humain parfaitement insupportable, fusionne au cours d'un accident de la circulation interstellaire avec Ryll, un jeune Drène, génie précoce et fugueur de son état. Rapatriés sur Terre, ces deux esprits dans un même corps vont devoir apprendre à cohabiter (sic), ce qui, compte tenu de leurs différences essentielles de mentalité, n'est pas sans poser quelques problèmes. D'autant plus que le pauvre Ryll, qui n'a bien évidemment aucune expérience de la vie terrienne, se voit dans l'obligation de vivre avec le clan des Hanson, une famille où chaque membre se haït ouvertement. Les magouilles politiciennes, le chantage, l'espionnage ou la corruption sont le lot quotidien de chaque Hanson. Car, visiblement, un Hanson ne peut-être heureux que si un autre Hanson a de graves ennuis. Afin d'ajouter aux tourments de Ryll, Lutt abuse honteusement de la faiblesse des Drène vis-à-vis du basilic...
     Mais il faut bien l'avouer, si les auteurs s'étaient contentés de nous distraire, nous aurions été en droit d'être un peu déçus. Fort heureusement ce n'est pas le cas.
     Non sans une certaine ironie, les Herbert dressent un véritable catalogue des maux affectant l'humanité. Tout y passe ou presque : la guerre, stupide et cruelle, les bien-pensants, qui ne font la charité que pour se donner bonne conscience, les faux prophètes, toujours prompts à manipuler autrui, les journalistes, avides de « sensationnel », prêts à tout pour connaître le moindre ragot concernant un personnage public, ou encore la « haute-société », artificielle au possible, dont le seul but est de s'enrichir encore davantage, au-delà d'une quelconque notion de besoin. Mais c'est principalement le monde politique qui est visé, les auteurs critiquent aussi bien l'immaturité américaine en matière de politique (« De toute l'histoire électorale des Etats-Unis, c'est toujours le candidat présidentiel le plus grand de taille qui l'a remporté », p 342) que la subversion qu'exerce le pouvoir sur ceux qui en font l'usage (« Je commence à m'apercevoir que la vérité est la forme de mensonge la plus efficace », p 325). Une vision plus qu'amère de la « civilisation moderne »...
     Nous en venons alors à la question fondamentale posée par ce roman. Comment un système politique, aussi utopique que celui de Drénor, peut-il résister à la confrontation avec la mentalité terrienne, belliqueuse à souhait ? D'une manière plus générale, comment répondre à une agression sans utiliser !a violence ? Les Drène essaieront d'abord la ruse, mais cette dernière n'offre qu'une solution temporaire. Quant à la dissuasion, elle nécessite déjà l'acceptation de la violence comme moyen de défense. Habiba, en quelque sorte la reine de Drénor, ne s'en rendra compte que bien trop tard. Dans l'état actuel des choses, l'utopie n'est pas humainement accessible. Elle est si ennuyeuse, pour nombre d'entre nous... Mais ce texte soulève bien d'autres problèmes. Par exemple, les rapports entre le créateur et « sa » créature. Lui appartient-elle, une fois douée de vie ? En la détruisant, ne meurt-il pas lui-même partiellement ? La réponse est donnée par un père et son fils, à la fois si différents et si semblables...
     Comme on le voit, analyser en profondeur un roman si dense dans le cadre d'une simple critique relève de... l'utopie ! Chaque mot a son importance, comme si les auteurs avaient écrit une nouvelle de plus de 400 pages. Aussi ne puis-je que vous conseiller fortement de lire cet excellent récit. Sans doute l'un des livres de l'année.

Thierry BOSCH
Première parution : 1/12/1987 dans Fiction 392
Mise en ligne le : 11/1/2009

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition LIVRE DE POCHE, SF (2ème série, 1987-) (2000)

     Entre autres qualités sur lesquelles nous reviendrons plus tard, l'Homme de deux Mondes a ceci d'intéressant qu'il met en scène, sur le mode métaphorique, ses propres conditions d'écriture. Deux esprits pour une seule oeuvre, de même que Lutt et Ryll, les personnages du livre, ont deux esprits pour un seul corps. Et la métaphore, hélas, s'enrichit encore si l'on songe au fait que ce livre sera le dernier que Frank Herbert publiera de son vivant – communauté d'esprits éphémère, fragile, sans cesse menacée par les contingences de l'existence. Toutefois, contrairement à l'union de Ryll et de Lutt, celle de Frank et Brian Herbert n'est ni forcée, ni conflictuelle. Si d'autres livres écrits à deux mains peuvent parfois laisser transparaître des oppositions de style ou de ton, ce n'est absolument pas le cas de celui-ci, où l'influence respective des deux hommes peut difficilement être mesurée.
     Pour les familiers de Frank Herbert, nul doute que l'ironie sous-jacente à l'histoire rappellera davantage les nouvelles que les cycles, ou les romans mineurs comme Les Fabricants d'Eden que les oeuvres majeures comme Dune, Dosadi, ou l'Etoile et le Fouet. La trame narrative renoue d'ailleurs avec celle déjà tissée dans les Fabricants d'Eden : les drènes, comme les Chems avant eux, sont des extra-terrestres éternels, pacifiques, qui trompent leur ennui en bâtissant des mondes qui reflètent leurs fantasmes et constituent une source intarissable d'histoires insolites. Comme eux, ils ont mis en place une structure sociale très fortement hiérarchisée, dans laquelle s'exerce un contrôle très strict des pensées et des actes, personnalisé par les Investigateurs chems ou les Redresseurs drènes, chargés de veiller à ce que nul ne sème les germes d'une conscience susceptible de se retourner contre ses créateurs. Mais dans les deux cas, la tâche se révèle paradoxale. Quel intérêt aurait donc une histoire, si ses personnages ne pouvaient nous surprendre ? Si elle ne nous faisait pas ressentir le frisson de l'inconnu et de la peur ? Si elle ne remettait pas en question, au moins un instant, les certitudes dont nous sommes pétris ? Aussi les drènes comme les Chems sont-ils précisément fascinés par ce qu'ils redoutent le plus : le libre-arbitre, la violence, la sexualité, le temps – toutes choses qui se trouvent concentrées dans leur plus belle et leur pire création : la Terre. La sagesse commanderait de l'effacer au plus vite du réel et des mémoires. Mais l'effacer, ce serait perdre la source de tant d'histoires et de tant de plaisirs !... C'est ce dilemme que chacune des deux espèces tentera de résoudre à sa manière.
     Mais les similitudes s'arrêtent là. Les fabricants d'Eden, malgré sa saveur insolite, était une oeuvre courte, peu élaborée, où nombre de personnages restaient à l'état d'ébauche. On n'y suivait les chems qu'à travers un petit nombre d'individus, sans réelle perspective d'ensemble. L'Homme de deux Mondes, quant à lui, forme une histoire complexe, où sont traitées en parallèle l'intrusion des drènes dans les affaires (et les esprits) des hommes et l'intrusion des faiblesses humaines dans la mentalité (et les actes) des drènes. Même si ce parallélisme aurait pu être traité plus rigoureusement (en particulier pour ce qui est du découpage des chapitres), il permet cependant d'entrelacer tous les niveaux d'interdépendance existant entre les créateurs et leurs créatures et de suivre pas à pas l'altération de la culture drène par l'irruption soudaine du temps. Car le problème est là : les humains évoluent et ils évoluent vite ; ils risquent de découvrir un moyen de parvenir jusqu'à Drénor – déjà, ils retiennent quelques drènes prisonniers ; quelle que soit la décision à prendre, il faudra la prendre vite – un concept qui ne manque pas d'être perturbant pour une espèce qui a toujours eu l'éternité pour elle.
     En outre, la représentation de l'humanité a profondément changé depuis les Fabricants d'Eden. Les hommes ont évolué sur le plan technique et cognitif. Ils ont colonisé Vénus, se sont entourés de robots et certains d'entre eux commencent même à manier maladroitement des aptitudes très proches de l'idmagination drène. La menace qu'ils représentent est donc beaucoup plus directe qu'elle ne l'était pour les chems. Les drènes ne risquent pas seulement d'être pervertis par le spectacle de nos vices, mais bien d'être découverts, à plus ou moins brève échéance. D'ailleurs, depuis qu'ils voyagent dans l'espace, les humains ont appris l'existence de leurs créateurs, et même du risque d'effacement. Bref, alors que l'humanité était tragique dans les Fabricants d'Eden, qui nous la dépeignait manipulée, torturée, inconsciente des forces qui agissaient sur elle, désireuse de s'améliorer moralement, mais empêchée de le faire par des extra-terrestres voyeurs et vicieux, l'Homme de deux Mondes la présente sous son jour le plus retors. Les hommes (et les femmes) y sont rusés, sournois, prêts à tous pour la richesse et le pouvoir – et parfaitement désireux de le rester. Nul besoin, cette fois, de les manipuler depuis une historia-nef pour qu'ils volent, mentent, complotent, tuent ou se vautrent dans la luxure. Ils le font volontiers d'eux-mêmes. Et en plus, ils sont contagieux...
     Le traitement du lien psychique entre Lutt et Ryll est particulièrement intéressant. Les dialogues intérieurs, en particulier, parviennent à manifester tout à la fois la séparation psychique progressive des deux personnages (Lutt acceptant peu à peu l'existence de Ryll comme un être séparé et non comme un pur produit de sa conscience) et leur rapprochement spirituel (Ryll intériorisant peu à peu, les ressorts du comportement humain et perdant du même coup sa juvénile innocence). Leur lutte pour le contrôle de leur corps commun, à grands coups de basilic, de sexe et de glaces à la fraise, a visiblement permis aux deux auteurs de se faire plaisir – donnant à l'ensemble un ton ironique et ludique qui forme un contrepoint intéressant avec les thèmes relativement sérieux abordés tout au long de l'ouvrage. Les réactions de Ryll face à la drogue, ou l'évolution de son regard sur la sexualité humaine, sont aussi pour le moins savoureux.
     Un livre à part, donc, dans l'oeuvre de Frank Herbert, qui nous a davantage habitués, dans ses romans, à des personnages sérieux ou tragiques qu'à des coureurs de jupons accros au basilic. Notons également, pour le public français, quelques savoureuses petites piques contre notre bureaucratie et le rôle non négligeable joué par la Légion étrangère et son célèbre Lupanar volant... Evidemment, pour ceux qui aiment précisément d'Herbert l'aspect tragique et épique, ce roman pourra sembler léger, voire superficiel. Les auteurs, en effet, ne s'y embarrassent guère de nuances : les méchants sont de vrais méchants, et les gentils un rien bêtas. Mais cette caricature est délibérée et souvent très drôle. En conclusion, donc, même si les thèmes principaux (la Terre comme création d'extra-terrestres, la menace d'effacement, la présence de deux esprits dans un seul corps) ne sont pas d'une folle originalité, même si le ton peut surprendre un familier de Frank Herbert, ce roman mérite toutefois le détour. Ne serait-ce que pour se réjouir qu'un auteur ait conclu sa carrière littéraire par un roman aussi férocement lucide sur les petits travers de son espèce...

Nathalie LABROUSSE (lui écrire)
Première parution : 25/5/2000
nooSFere

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