Mézières fait son cinéma, ou Valérian au musée Jean-Luc VOTQUENNE C'est l'événement hors salon, l'expo longue durée qui s'est ouver te dès le 10 novembre et restera accessible, au musée Jules Destrée, jusqu'au 15 janvier 1996. Elle est consacrée à un grand dessinateur français qui a travaillé aussi pour le cinéma : Jean-Claude Mézières, le créateur de Valérian et de la char mante Laureline.
On l'a dit, on s'en est parfois étonné : Mézières est l'homme d'une seule série. Depuis la création de Valérian en 1967, dans les pages de l'hebdomadaire « Pilote », il a produit seulement seize albums, d'une qualité exceptionnelle.
« J'ai tous les avantages de la série sans en subir les inconvénients », nous confiait l'auteur lors du vernissage de son exposition. « Les avantages, ce sont des personnages familiers, que le dessinateur comme le lecteur retrouvent avec plaisir, des caractères bien typés et qui évoluent. En revanche, à l'in verse de confrères qui finissent par s'ennuyer à force de reproduire des enquêtes policières, je jouis d'une liberté totale dans le scénario : grâce à la dimension spatio-temporel le de la science fiction, je peux casser tous les moules et raconter des histoires vraiment très différentes. »
La SF, au cinéma aussi
En dépit de cette fidélité à un couple de héros, Jean-Claude Mézières est loin de se focaliser sur la série qui a fait sa gloire. Un superbe album paru aux éditions Dargaud vient de le rappeler de façon éloquente. En quatre-vingts pages
bourrées d'illustrations, « Les extras de Mézières » constitue un inventaire impressionnant de créations graphiques qui vont de l'affiche
: publicitaire au timbre-poste, en passant par la sérigraphie et le cinéma. Les contributions de Mézières au cinéma sont importantes, de même que les influences réciproques entre ses planches de BD et quelques classiques américains du grand écran.
« Je suis un passionné de science fiction, nous racontait-il, preuves à l'appui, devant les planches exposées au musée Destrée. J'adorais les excellents films de SF des années cinquante : La planète interdite, ou Le jour où la terre s'arrêta. Puis, il y eut une césure, jusqu'à la sortie de l'extraordinaire 2001, Odyssée de l'espace, de Kubrick, qui coïncida avec mes premières planches de Valérian. Par la suite, si j'ai quelquefois rendu hommage à un film ou adressé un clin d'oeil au lecteur cinéphile, j'ai aussi été copié. Certaines planches de l'expo, juxtaposées avec des photos extraites de films, en témoignent. Et les dates indiquent sans appel qui, le premier, a eu l'idée de la scène ! » Mézières a également travaillé sur trois projets cinématographiques. D'abord, les décors et les costumes d'une adaptation américaine de La nuit des temps, de René Barjavel, qui n'a finalement jamais été tournée. Ensuite, le même type de travail pour Un dieu rebelle, une coproduction germano-franco-soviétique qui n'est sortie qu'une semaine à Paris, en août 1991. Le troisième projet semble prometteur mais reste mystérieux : échaudé à deux reprises, Jean-Claude Mézières observe à son propos un mutisme de conspirateur...
Un fervent lecteur de « Spirou »
En tout cas, l'exposition du musée Destrée vaut le détour. Elle présente d'une manière très attrayante et spectaculaire le parcours du dessinateur, depuis les croquis des marges de ses cahiers jusqu'au prochain album — à paraître — des aventures de Valérian, en passant par les illustrations, les sérigraphies et les travaux réalisés pour le cinéma. Mézières a d'ailleurs rendu hommage à son « metteur en scène », Christian
Jasmes, de l'ASBL Image.
« Tous ces documents, ces dessins originaux, ces crayonnés se trouvaient chez moi, dans des malles ou des car tons. Je les connaissais donc forcé ment. Mais à les voir ainsi mis en scène et en lumière, dans ce merveilleux musée aménagé dans les combles de l'hôtel de ville, me fait réellement un choc. Et un choc très agréable. »
Jean-Claude Mézières, qui venait pour la première fois à Charleroi, était aussi fort impressionné par « ce lieu magique, tout imprégné du talent de grands dessinateurs ». Fer vent lecteur de « Spirou » avec son camarade de classe Jean Giraud — le futur Moebius — il échangeait ave lui illustrés et commentaires enthousiastes.
« Des gens comme Jijé, que j'ai mais beaucoup, mais aussi Franquin, Morris ou Will, étaient nos modèles. Même s'il a fallu des années avant que nous les rencontrions dans des festivals de bande dessinée, ces grands auteurs ont été nos guides. »
Mais le respect que leur voue Mézières n'empêche pas la bouta de. Un jour, rencontrant Morris, ne lui a-t-il pas lancé « Qu'est-ce que je t'ai filé comme pognon quand j'étais petit, en achetant tous tes bouquins ! »
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