Encore des questions d’étudiant, une étudiante cette fois, dont je ne semble pas avoir conservé le nom, vilaine moi ! et encore pour un travail scolaire — ce qui est plutôt réconfortant : l’institution accepte qu’on travaille sur la SF et la fantasy, youpee. En relisant ce questionnaire, et même s’il date de 1993, je me suis rendu compte qu’il servirait assez bien de Foire aux Questions, pour l’instant. On peut compléter en allant pêcher dans les autres textes et entrevues. Et je ferai encore travailler les curieux : reconstituez les questions !
1. Je suis née en France en 1947, ma mère était pharmacienne, mon père colonel du Génie à la retraite. J’ai grandi dans la campagne profonde (à Sergines, un village de l'Yonne, sept cents habitants), puis fait mes études secondaires dans une petite ville, Sens (Latin-Grec-Philosophie). Je suis ensuite allée me perdre à Dijon, capitale de la Bourgogne, pour mes études supérieures que j’ai terminées en 1972 avec une agrégation de lettres modernes. Après avoir enseigné un an à temps plein dans le secondaire, j’ai émigré au Québec avec mon alors-mari. Tombée en amour avec l’hiver et les paysages du Saguenay (nous sommes allés là directement), je suis restée. J’en ai profité pour passer un doctorat en création littéraire (Ph.D.) à l'Université Laval,en 1987. J’ai été chargée de cours à l’UQAC pendant une douzaine d’années, ainsi qu’à Rimouski. Je n’enseigne plus que de façon extrêmement sporadique (cours en création littéraire, tous les quatre ou cinq ans...) depuis 1989 et suis désormais écrivaine à plein temps (j’insiste sur “écrivaine”, terme parfaitement légitime en français : châtelain, châtelaine, souveraine, souveraine, parrain, marraine ; le terme a d'ailleurs fini par être accepté même en France !), c’est-à-dire pigiste.
J’ai commencé à écrire de la poésie, vers sept-huit ans et j'ai continué jusqu’à quinze-seize ans — et encore maintenant, puisque j'ai publié deux recueils. Mais j’ai aussi commencé à écrire de la fiction vers cet âge, et j’ai alors rencontré la science-fiction, qui a été l’étincelle. Je n’ai écrit que cela depuis, sauf quelques petites incursions dans le fantastique et le merveilleux — uniquement pour jeunes, le merveilleux, quoique mon quatrième roman pour jeunes s’annonce comment voulant être une sorte de SF.
Je n’écrivais ni pour adultes ni pour jeunes, alors — mais seulement pour moi. C’est encore pas mal le cas : il se trouve qu’il y a encore en moi une petite Élisabeth qui aime les histoires “pour jeunes”, et c’est à elle que je raconte ces histoires...
2. Je n’ai pas vraiment “subitement décidé”. André Vanasse, lui, alors directeur littéraire de Québec/Amérique, a décidé de sortir une nouvelle de mon recueil Ailleurs et au Japon, et de la publier dans sa collection pour jeunes ; c’était “Histoire de la Princesse et du Dragon”, un pastiche aimant des conte de fées. Le livre ayant reçu de très bonnes critiques et ayant été apprécié par les enfants et par leurs parents, je me suis dit “pourquoi pas ? ”, d’autant que je savais par mes collègues écrivains pour jeunes que c’est un marché plus intéressant que celui pour adultes. J’ai donc écrit, avec une bourse du Ministère de la Culture, deux romans pour jeunes (lLes Contes de la Chatte Rouge, épuisé depuis, et Contes et Légendes de Tyranaël, encore un peu disponible, également publiés par Q/A), et je compte continuer s’il me vient d’autres histoires dans ces registres-là, un de ces jours.
3. Non, pas pour moi. Je trouve infiniment plus difficile d’écrire “pour adultes”. Écrire pour les enfants, d’après mon expérience jusqu’ici, ça coule de source.
4. Je n’ai pas “choisi” d’écrire de la fiction. C’est arrivé. Je lisais essentiellement de la fiction, j’ai écrit dans la foulée de ce que je lisais. J’ai aussi écrit pas mal d’essais théoriques. Maintenant, si vous vouliez dire “pourquoi la SCIENCE-fiction ? ”, c’est une autre question. Mais comme je ne suis pas sûre que vous me la posez, je n’y répondrai pas pour le moment.
5. Le goût d’écrire, comme je le disais plus haut, m’est venu sans doute de mon goût de lire. Et puis, les circonstances habituelles : on écrit assez bien, les profs vous félicitent, les parents aussi, satisfactions narcissiques, on en redemande, on continue, on s’améliore. Combiné avec les circonstances personnelles habituelles aussi (enfance solitaire, forte imagination, goût des histoires), c’est un mélange qui ne pardonne pas. Et avec l’habitude d’écrire, c’est devenu comme un second respir, un besoin naturel de dire, de se dire, de mettre les choses en place par l’écriture...
6. Non, et je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’écrivain(e)s qui vivent uniquement de ce métier. (D’ailleurs, est-ce un “métier”, une “occupation”, un “artisanat”, un “art” ? ) Je vis, comme beaucoup de mes collègues, d’activités reliées de près ou de loin à l’écriture : traductions, critiques, préfaces, animation d’ateliers d’écriture, lectures, conférences, animation autour de mes livres dans les écoles...
7. Je crois que je m’“inspire” essentiellement de ce qui me préoccupe moi, comme être humain de sexe féminin, de classe d’âge ceci, et de classe sociale cela, vivant dans un monde en pleine métamorphose à la fin du XXe siècle. Il passe dans mes histoires des gens, des lieux, des situations que je connais ou ai connus, et d’autres (la majorité) que j’ai imaginés à partir de mélanges de gens, de lieux, de situations que je connais ou ai connus, bis. Il est très rare que je m’ “inspire” (vous avez deviné que je n’aime pas ce mot) d’éléments directement autobiographiques... sauf que c’est ce que je fais semblant de faire dans mon dernier roman (Les Voyageurs malgré eux, qui paraîtra au début de 1994 chez Q/A). Sans doute parce que je l’ai écrit au même moment, c’est aussi ce qui arrive dans Les Contes de la Chatte Rouge, au plan de certains éléments secondaires du récit. Et dans le 4e livre pour les jeunes, Le Chat qui voyageait dans le temps, le chat en question ressemblera beaucoup à mon avant-dernier chat. De toute façon, la question de la part d’autobiographie dans une fiction est toujours une fausse question, à mon avis : tout le monde autobiographise peu ou prou, et de toute façon, comment les lecteurs peuvent-ils le savoir ? Tout est fiction, pour les lecteurs... et pour les écrivains aussi, quelquefois. C’est en partie le sujet de la dernière partie d'un prochain roman (inédit, et pour adultes), Le Début du cercle.
8. Oui, j’ai déjà tout en tête, et plus précisément sur papier, car j’écris des tonnes de notes. Pour une nouvelle (30 pages environ) je peux me permettre d’avoir tout “en tête”, mais je le fais rarement, je préfère avoir déjà bien tout remué dans des notes, ça évite de perdre beaucoup de temps — et alors, avec un roman (300 pages minimum, pour moi ! ), vous pensez ! D’ailleurs, je ne connais personne qui se lance dans un gros roman à l’aveuglette, bien que plusieurs auteurs aiment à le prétendre — ça fait bien, ça nourrit le mythe de l’écrivain (que je réprouve ! )
9. Je ne lis plus énormément de littérature pour enfants, mais j’aurais tendance (après en avoir feuilleté beaucoup), à trouver que oui, elle est un peu beaucoup platement réaliste. Le souci de pertinence directe (sociale, morale, environnementale, est-ce que je sais) me paraît alourdir beaucoup de textes, où les intentions pédagogiques sont un peu trop voyantes. Mais c’est mon biais : même enfant, je préférais les histoires abracadabrantes, tordues, folles, qui me permettaient de rêver. Je crois que le rêve, enfin, l’imaginaire, est un bien meilleur moyen d’apprentissage...
10. Oui, j’étais donc une lectrice extrêmement acharnée, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, et non, je ne peux pas vraiment citer des titres précis (quoique j’aie été très marquée vers 13-14 ans par Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell, d’une part, et toute la série d’Angélique Marquise des Anges, d’autre part ! Je veux dire, en dehors de toute la littérature classique, depuis les Grecs jusqu’au XXe siècle, qu’on nous faisait connaître au lycée). Je lisais des contes, des mythes et légendes de tous les pays et de tous les temps, des policiers, de l’espionnage, de l’histoire romancée, de la Grande Littérature (comme on dit), des machins pour jeunes (bibliothèque rose, verte, rouge et or, et dieu sait quoi encore), des bandes dessinées (mais en revues plus qu’en albums, à part Tintin). Bref, j’ai été une lectrice abominablement éclectique. Plus maintenant. La fiction “normale” m’ennuie considérablement. L’Histoire continue à me passionner, et en général les essais (de la physique à la philosophie en passant par tout le reste). La fiction que je lis encore se situe presque toute en dehors de la fiction réaliste habituelle : beaucoup de science-fiction, du fantastique, du merveilleux, du réalisme magique... Je ne peux pas dire que j’aie des auteurs favoris aujourd’hui, mais j’ai été plus spécialement marquée par Dostoïevski, Hugo, Camus, les surréalistes, Proust, Joyce, Garcia-Marquès, Borgès, et Calvino... et les auteurs inconnus des mythes et des légendes !
11. “Influencée”, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Pour l’influence spirituelle et intellectuelle, c’est plus facile, voir plus haut. Mais y en a-t-il qui ont modelé mon style... j’essaie toujours de me débarrasser des phrases ronflantes à la Hugo, et de l’adjectivite romantique, qui ressurgissent toujours, zut ! Mais le reste... je crois que j’ai trouvé depuis trop longtemps ma propre voix, mon propre style, pour être consciente de ceux qui ont éventuellement contribué à le former. Il faudrait demander ça à mes lecteurs-critiques littéraires.
12. J’écris directement à l’ordinateur depuis 1986. Alors, c’est ça : je m’assieds à mon clavier, et je tape, des heures durant (ça peut aller jusqu’à 15 heures par jour, quand je suis vraiment bien partie). J’ai réfléchi “à haute voix”, si on peut dire, en écrivant des kilomètres de notes, et j’ai donc une idée assez claire de ce que je fais — je dois savoir entre 70 et 80% de ce que ça va être, sinon je ne peux pas commencer, pour ce qui est d’un roman, je veux dire. J’écris par bourrées, c’est-à-dire environ 4 mois par an en tout — deux mois pour un roman de 500 pages, entre 2 et 3 semaines pour une nouvelle de 30 à 40 pages, environ 1 mois pour un roman pour jeunes ; mais évidemment, il y a la réflexion (les rêvasseries, plutôt) en aval, qui peuvent aller de trois mois à 15 ans (!), et la réécriture en amont. Pour moi, cependant, ça se fait ordinairement plus au plan de la phrase que de la structure générale, dans la mesure justement où j’ai beaucoup réfléchi à ce que j’allais faire et comment j’allais le faire. Mais ça peut prendre 4 ou 5 réécritures au plan de la phrase... surtout parce qu’il faut que je fasse des coupures dans mes textes, toujours trop longs ; certains écrivains procèdent du moins au plus, moi c’est le contraire : j’écris beaucoup, et ensuite je coupe...
12. Contrairement à ce qu’on croirait pour quelqu’un qui écrit essentiellement de la science-fiction, non, je ne fais pas beaucoup de recherches. Quand il y a des éléments scientifiques qui me manquent ou dont je ne suis pas sûre, je consulte un ou deux bouquins de type encyclopédie spécialisée... et je fais lire mes textes par des amis qui sont des scientifiques, capables de me dire où je me suis trompée et comment m’en sortir. Mais l’élément scientifique pur et dur n’est pas si prédominant dans mes histoires pour adultes (à part la réflexion philosophique, sociologique, linguistique et biologique) : il s’agit davantage de gens placés dans des situations particulières à cause de tel ou tel élément scientifique (au sens large : ça peut être, comme dans mon roman Chroniques du Pays des Mères, une société future où il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes). Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire lorsque vous parlez d’”imaginaire”... ou plutôt je soupçonne que je le comprends : vous opposez la “réalité” et la “fiction”. Mais je ne crois pas beaucoup, quant à moi, à cette division, de plus en plus caduque dans le monde où nous vivons. Et par ailleurs même les grands auteurs “réalistes” français (Balzac, Zola, Flaubert), étaient avant tout des visionnaires : ils partaient d’un “réel”, mais ils le transformaient par la puissance de leur vision, et tout simplement par le fait qu’ils l’inscrivaient dans des fictions.
14. Je suppose qu’il y a une sorte d’auto-censure qui joue sans qu’on en ait trop conscience quand on écrit pour des jeunes, mais je crois que le devoir de l’écrivain(e), c’est d’être le plus conscient possible de ce qu’il ou elle fait. Et donc, si je me rends compte que je censure ceci ou cela, je vais sûrement essayer de transcender cette censure (j’ai l’esprit contrariant). Je crois qu’on peut tout écrire — raconter tout — même pour des jeunes, mais que tout est dans la manière. Que ce soit à propos du sexe de la mort ou de la violence (les grands tabous de la littérature pour jeunes, je crois). Tout, ou beaucoup, est dans la manière. N’oublions pas qu’il y a des directeurs littéraires, de toute façon, qui ont tout particulièrement leur mot à dire quand il s’agit de littérature pour jeunes... Mais pour l’instant, je n’ai rien écrit de particulièrement sujet à controverse (quoique l’un des arguments de l’intrigue de Les Contes de la Chatte Rouge, si on y regarde bien, est quelque peu ambigu... mais personne ne semble s’en être rendu compte, ou n’en a encore été choqué).
Je dois ajouter (en relisant votre question), que j’ai sinon une censure du moins une exigence au plan de la langue : je refuse absolument d’écrire bébé, facile, familier ou vulgaire, ou alors, uniquement à des endroits stratégiques, où l’histoire (personnages, situations...) le demande. Je crois que les enfants sont sensibles à la beauté, dans les mots comme ailleurs : rythme, sonorités... Et je veux qu’ils aient ce plaisir en lisant — un plaisir auquel j’ai toujours été sensible moi-même lorsque j’étais enfant, ou adolescente.
15. Je préfère être tranquille chez moi, mais il m’est arrivé d’écrire dans des cafés, des trains, des restaurants d’aéroport. La musique, en général, me dérangerait plutôt quand j’écris (mais pas quand je réécris). Et avoir cinq ou six enfants qui courent et crient en jouant dans mes jambes quand j’écris, c’est certainement un challenge ! (ça m’est arrivé dans mon ex-belle-famille ; je n’ai pas d’enfants moi-même). Mais j’ai une forte capacité de concentration...
16. Ce que je n’aime pas du “métier” (voir plus haut) d’écrivaine, c’est tout ce qui n’est pas vraiment le métier d’écrivaine : non pas tant tout ce qu’il faut faire pour survivre matériellement (ça s’appelle gagner sa vie, n’est-ce pas, ça fait partie du “métier” d’être humain), mais tout ce qui arrive une fois qu’on a envoyé le livre à un éditeur, la perte totale de pouvoir, et l’attente. Et ensuite, quand le livre est publié, toute la retape[1] de la promotion (sauf les entrevues, qui sont parfois intéressantes, ou amusantes à faire : on rencontre des gens, avec un peu de chance ils ont même lu votre livre...) ; heureusement, j’écris de la SF, et dans le milieu de la SF, on rencontre beaucoup de ses lecteurs, avec qui on peut avoir de vraies conversations, souvent, et longtemps, ce qui n’est pas le cas dans la littérature dite “générale”, où on ne rencontre quelques-uns de ses lecteurs qu’à l’occasion de salons du livre, le temps d’une signature...
Mais j’aime... écrire. J’adore écrire. C’est un tel plaisir d’écrire que je me sens presque coupable, au début d’un nouveau livre, et que ça me prend un bon mois pour me décider à m’y mettre, avec toujours l’idée insidieuse — et puritaine — que “je devais avoir quelque chose d’autre à faire” que de me faire plaisir ainsi... surtout avec les histoires pour jeunes.
17. Je commence, en fait — deux livres ! — et je n’ai pas encore beaucoup discuté avec mes jeunes lecteurs ; ils semblent aimer le mélange de délire et de logique dans mes histoires, et la poésie, le rêve (ils ne le disent pas toujous en ces termes ! ) Il me semble avoir compris aussi qu’ils aimaient que ça ne soit pas trop facile... Mais en fait, il faudra que je les interroge sérieusement !
18. Je ne me l’explique pas trop, ce succès (et puis, entendons-nous bien, “succès” est un terme relatif ! ) C’est toujours une sorte de bonus inattendu quand quelqu’un me dit avoir aimé telle ou telle histoire. J’écris d’abord pour moi, pour mettre ma vie, mes pensées, mes émotions au clair pour moi — aussi bien les histoires pour adultes que celles pour jeunes : la différence en est une de registre, pas de nature ; je le fais par l’intermédiaire d’histoires bien peu “réelles”, me direz-vous — SF, merveilleux... — mais ça marche pour moi. Que ça marche pour d’autres, même compte tenu des malentendus possibles et probables... c’est toujours une heureuse surprise, qui me remplit toujours de gratitude.
19. Les prix littéraires... ça dépend des conditions dans lesquelles les prix sont décernés : qui les décerne, selon quels critères ? Mais en général, un prix c’est comme un cadeau, et un “je vous aime bien” : ça fait toujours plaisir. (Sauf une fois, où j’estimais que quelqu’un d’autre que moi méritait davantage de gagner, et là, je n’étais vraiment pas contente ! )
20. Je vous ai décrit quelques-uns de mes projets futurs : un autre roman pour jeunes, un roman pour adultes... en fait j’ai trois romans pour adultes en chantier — à différents stades de “chantier” : un presque terminé, un autre en voie d’être, comme je dis, “remue-méningé” : (rédaction de nombreuses note), et un troisième qui tourne encore principalement dans ma tête plus que sous formes de notes. Je compte aussi essayer de faire publier un peu de ma poésie dans des revues ad hoc au Québec. Et j’ai plusieurs projets de recueils de nouvelles pour adultes, au moins trois, mêlant inédits et textes anciens, voire introuvables.
[1] Je ne sais si on connaît ce mot au Québec ; il s’applique au comportement des prostitué(e)s dans la rue...