Robert LAFFONT
(Paris, France) Dépôt légal : 1er trimestre 1963, Achevé d'imprimer : 23 février 1963 Première édition Anthologie, 320 pages, catégorie / prix : 12,35 FF ISBN : néant Format : 14,0 x 20,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Jacques Bergier est ici crédité en tant qu'anthologiste alors qu'il s'est contenté de reprendre une anthologie publiée en URSS en 1961 (cf. https://www.isfdb.org/cgi-bin/pl.cgi?855866), dirigée par A. Varchavski.
Ce récent recueil de nouvelles de science-fiction soviétiques, présenté par Jacques Bergier, est incontestablement le plus intéressant et le mieux traduit qu'il nous ait été donné de lire ces dernières années dans ce domaine. Comme tel, il nous donne sans doute de l'anticipation soviétique une image plus fidèle que celle que nous tirions malaisément des traductions souvent laborieuses des Éditions Françaises de Moscou. Une dizaine de volumes ont été traduits à ce jour du russe en français. Tous, sauf les médiocres «Sur la planète orange » d'Onochko et « Griada » de Kolpakov, ont été publiés par les éditions susdites. Aucun, sauf peut-être « La nébuleuse d'Andromède » d'Efremov, qu'il faut souhaiter voir reparaître un jour dans une traduction convenable, n'emportait la conviction. Le reproche que l'on pouvait faire à la plupart, sinon à la totalité des écrivains soviétiques, était leur absence à peu près totale de métier littéraire qui entraînait une lenteur désespérante de l'action, une stéréotypie abusive des personnages, une propension à user sans vergogne des ficelles les plus usées du roman d'aventures, et ce qui était plus grave, à quelques exceptions près, une certaine absence de poésie, de souffle, de sens de l'épique. Pour une large part, les science-fictions s'en tenaient à la technique. Les derniers recueils parus autorisaient toutefois certains espoirs.
Les auteurs de la présente anthologie ne sont pas tous des inconnus pour le public français. On a déjà pu lire trois nouvelles des frères Strougatski (« Six allumettes », « Réflexe spontané », « Le chemin d'Amalthée »), ce qui permet de les tenir pour fortement influencés par les Américains, dont ils ont l'imagination, si l'habileté à manier des situations romanesques leur fait encore passablement défaut. La nouvelle de Saparine, « Le procès du Tantalus », avait déjà paru dans le recueil « Cor Serpentis » ; elle a subi ici une notable réécriture. V. Jouravleva, qui signe avec Gregori Altov « La ballade des étoiles », était déjà connue du public français par ses nouvelles « L'astronaute » et « Une pierre tombée du ciel » ; il semble qu'elle soit l'écrivain le plus authentique que nous ait révélé la science-fiction soviétique. Dnieprov, enfin, était déjà connu pour sa nouvelle « Les équations de Maxwell». Il semble en revanche être le plus médiocre du lot. Parmi les nouveaux arrivants, aucune surprise remarquable. Ni Grechnov, ni Dountau, ni Safronov, ne semblent avoir quelque chose de bien neuf à dire. Gregori Altov reste une énigme : le problème est en effet de savoir quelle part il a prise dans « La ballade des étoiles ». Au terme de cette revue des auteurs, la question se pose de savoir si le retour de leurs noms aux sommaires des anthologies signifie qu'ils représentent l'essentiel de la jeune garde, la vieille (Obroutchev, Alexis Tolstoï, et plus près de nous Kazantzev et Efremov) étant déjà connue. On regrettera que les dates de parution des nouvelles ne soient pas indiquées. Mais il est vraisemblable qu'aucune de ces histoires n'a plus de cinq ans.
« Le monde que j'avais quitté » de Dnieprov semble dénoter chez cette auteur d'une volonté d'imiter le style percutant des Américains. Mais il y a loin de cette satire grossière du système capitaliste aux nouvelles de Pohl et Kornbluth, par exemple, qui se révèlent autrement féroces pour la société américaine. Tout ce qu'on peut tirer de la nouvelle de Dnieprov, c'est un certain amusement en relevant les stéréotypes qui semblent caractériser pour lui l'Amérique. « Le lotus d'or» de Grechnov relève d'un exotisme assez facile et n'a guère sa place dans un recueil de science-fiction. On peut sauter allègrement la nouvelle brève de Dountau, «Victimes de la bioélectronique », qui appelle vainement un faible sourire. « Rien d'extraordinaire » de Safronov mérite son titre ; on y notera toutefois quelques descriptions intéressantes d'un superlaboratoire. Ces quatre nouvelles semblent résumer assez bien que la science-fiction soviétique réunit de moins attachant pour le lecteur occidental. Heureusement, il en est quatre autres.
Les deux histoires d'Arcadi et Boris Strougatski empruntent leurs thèmes à la cybernétique et décrivent des mécanismes capables de grandir et de créer, à peu près à la façon d'êtres vivants. Il leur manque un rien dans le ton qui les rendrait à la fois plus vraisemblables et plus passionnantes. Telles quelles, elles souffrent de défauts de construction qui empêchent leurs thèmes de donner leur vraie mesure. Les idées y sont juxtaposées plutôt que liées. Les personnages, quoique vivants, y sont un peu désespérément sympathiques. Toutefois, les frères Strougatski ont su habilement tirer parti de la leçon des Américains qu'ils ont lus, et leurs récits sont rapides et enlevés. Leur nouvelle « Réflexe spontané», parue dans le recueil « Le messager du cosmos », semblait inspirée de van Vogt. «Le grand Cid » ferait plutôt penser à du Sheckley, et « Le cône blanc de l'Alaïde » à du Clarke ou du Heinlein. Il convient d'espérer qu'on lira bientôt un recueil de ces écrivains plus que prometteurs.
« Le procès du Tantalus » de Saparine souffre des mêmes défauts que les précédentes nouvelles, mais se fonde comme elles sur un merveilleux sujet. L'idée de l'île où les hommes de l'avenir emprisonnent quelques exemplaires de toutes les espèces de microbes ou de virus que la science a su vaincre, afin que les savants puissent, au fur et à mesure de leurs besoins et de leurs progrès, les étudier et les utiliser, est l'une des plus puissamment originales de la science-fiction, en ce qu'elle trahit en somme, comme le note Jacques Bergier dans son introduction, l'apparition de nouveaux systèmes de valeur fondés sur la science : les hommes de l'avenir ne se reconnaissent pas, rationnellement, le droit d'exterminer une espèce, leur fût-elle nuisible.
La seconde moitié du livre environ est occupée par le court roman d'Altov et Jouravleva, « La ballade des étoiles », qui est à mon sens le meilleur texte que nous ait donné la science-fiction soviétique, et peut-être le seul qui ait une véritable dimension littéraire. Je reprocherai cependant à ses auteurs une certaine propension à la rhétorique et une tendance un peu appuyée à citer Marx et Lénine pour leur faire endosser la science-fiction. Est-ce souci diplomatique ? La sincérité des auteurs ne semble pas, en tout cas, contestable. « La ballade des étoiles» est un poème vibrant, tout entier dédié aux astronautes et à l'avenir. Ses naïvetés ajoutent peut-être même à l'émotion qu'il suscite. L'histoire, somme toute très simple, de la rencontre d'un homme avec d'autres êtres intelligents, avec une civilisation de l'autre côté des abysses, ce croisement soudain et voulu entre deux défis différents jetés au temps et à l'inconscience frigide des choses, renoue avec la tradition du meilleur Wells, celle du visionnaire qui s'émerveille lui-même des images du futur qu'il arrache à ses rêves.
« L'art doit précéder les hommes sur le chemin des étoiles, » disent Altov et Jouravleva. Ils sont de ceux qui rendent l'exploit possible.
Au total, plus de la moitié de ce recueil est composé de textes originaux et intéressants. On notera la grande similitude, sur le fond, des idées des écrivains soviétiques et de leurs confrères américains, à cela près que l'optimisme semble de rigueur chez les premiers, l'optimisme, c'est-à-dire une foi en l'homme dont les seconds d'ailleurs se départissent moins aisément qu'on ne le dit quelquefois, comme en témoignent Bradbury, van Vogt, Heinlein, Simak, etc.
Deux faits pourtant m'ont frappé dans ces nouvelles soviétiques. Le premier, c'est, à une exception près ou deux, l'ignorance dans laquelle leurs auteurs semblent se trouver des rouages d'une vaste entreprise collective. Leurs héros sont de purs individualistes. Les projets qu'ils poursuivent, et dont l'importance semble souvent cosmique, paraissent toujours hâtivement préparés. Dans « Le cône blanc de l'Alaïde », par exemple, il paraît impensable que trois hommes seulement aient la responsabilité d'une expérience coûteuse et délicate qu'ils mènent dans de stupéfiantes conditions d'impréparation, conditions qui entraînent leur échec. « La ballade des étoiles » rend mieux le sentiment de l'effort collectif, mais laisse encore trop de place au génie improvisateur du savant omnipotent, dans la meilleure tradition du roman d'aventures de l'entre-deux-guerres.
Le second, c'est, jusqu'à un certain point, le sentiment de la rareté, de la nécessité de répartir minutieusement les biens, de choisir entre la frugalité et le luxe si l'on veut conquérir l'espace. Je l'avais déjà noté à propos de « La nébuleuse d'Andromède ». Chacun, ici, semble vivre de façon monacale. L'avenir n'apparaît guère sous les traits de la civilisation de l'abondance. Et il est singulier de trouver un si faible souci de l'économique chez des Soviétiques. Sans doute chaque société se peint-elle plus profondément qu'elle ne le pense dans l'expression de ses rêves, fussent-ils rationnels.
Malgré ce qu'affirment couverture et page de titre, Jacques Bergier n'est pour rien dans l'élaboration de ce recueil, déjà publié il y a plusieurs années chez Robert Laffont sous la même étiquette mensongère. Il s'agissait alors, dans l'esprit de cet éditeur, de profiter au maximum de la notoriété de Bergier (encore considéré à l'époque comme le prestigieux coauteur du Matin des magiciens). En réalité le recueil avait comme source une anthologie réalisée aux Etats-Unis et textuellement reproduite en français d'après la version américaine. Mais ce n'est là qu'une des multiples fausses vérités mineures dont s'affuble à plaisir le personnage de notre ami Bergier et qui composent les facettes de sa déroutante personnalité... A noter que, pour cette réédition, Bergier a signé une nouvelle préface où, aussi ineffable qu'à l'accoutumée, il nous apprend entre autres qu'en 1972 les Russes ont réalisé « l'élaboration de l'antimatière » et « la synthèse des aliments à partir de l'air ». Cher Bergier, toujours aussi poète ! Quant à l'anthologie, soyez rassurés si vous ne l'avez pas lue : elle ne vaut presque pas un clou.