Cyrano ! Après que j'ai vu deux cents fois la pièce d'Edmond Rostand, je mourais d'envie de connaître le lieu où était née cette figure emblématique du théâtre du dix-neuvième siècle. Mais quantité de questions me hantaient : Cyrano avait-il existé ? N'était-il pas, à l'instar de Matamore, Pantalon ou Arlequin, l'un de ces fantômes qu'avaient récupérés tant de dramaturges ?
Les congés approchaient. Notre maison exiguë et la chaleur qui y régnait nous soumettaient à si rude épreuve que ma femme et moi partîmes pour Bergerac le premier août, dans la fraîcheur de l'aube.
Nous en avons parcouru, des kilomètres, nous en avons traversé, des bourgades, avant de parvenir dans cette ville du Sud-Ouest que notre héros a rendue célèbre, voire mythique ! Située au sud-ouest du Périgord, cette sympathique sous-préfecture compte, au dernier recensement, vingt-sept mille huit cent quatre-vingt-six âmes et près de huit cents commerces.
A peine arrivé, j'avisai un quidam qui bayait aux corneilles face à une gabarre amarrée au bord de la Dordogne, et je lui demandai où se trouvait la maison natale de Cyrano. Après réflexion, le flâneur me rétorqua :
— Posez donc la question du côté de l'Hôtel de ville.
Si l'accueil fut là-bas chaleureux et débonnaire, les réponses des responsables et des auxiliaires restèrent ambiguës. Cyrano, nous affirma-t-on sous le sceau du secret, n'était pas né ici.
***
Nous sortîmes, décontenancés et fort marris, pour errer près du cloître des Récollets où, grâce à une fleuriste accorte, nous nous sommes enivrés des effluves embaumés de ses dahlias, cattleyas, ficaires et mélampyres.
— Ne vous fiez pas à tous ces on-dit, nous conseilla cette commère avec une exubérance quasi amphigourique, et renseignez-vous plutôt dans les églises. Cyrano est sûrement passé sur les fonts baptismaux de l'une d'elles.
En bon néophyte, j'obéis. Hélas, nos incessants va-et-vient furent sans résultat. Ma question récurrente et ma curiosité insatiable nous renvoyaient sans cesse d'un lieu à l'autre. Nous nous sommes demandé quand nous verrions l'issue de notre quête opiniâtre. Enfin, nous découvrîmes sur une place une statue qui ne peut guère compter parmi les authentiques chefs-d'œuvre. En nous apercevant, miracle, elle s'anima, caressa son appendice brisé, et nous héla en ces termes :
— Moi qui fus un bretteur entêté, un athée militant et le coreligionnaire de Molière, j'ai bel et bien existé. Né et mort à Paris au dix-septième siècle, j'ai certes été immortalisé par Edmond Rostand. Mais si je suis aujourd'hui l'emblème, le héros et le héraut de cette cité, ce n'est pas parce que j'y suis né, mais parce qu'elle m'a adopté.
Sur ces mots convaincants, la statue se figea, nous laissant comme deux ronds de flan, c'est-à-dire cois.
Christian Grenier
janvier 2004
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