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URSS

Jacqueline LAHANA

Le monde de la science-fiction, M.A. éditions, 1987

Déjà populaire en Russie avant la Révolution, la S-F a connu des hauts et des bas depuis 1917. En 1920, Eugène Zamiatine écrit Nous Autres (Gallimard), à mon avis le chef-d'oeuvre de la S-F soviétique, roman tellement clairvoyant qu'il est toujours interdit de publication en URSS. En sommeil pendant la période stalinienne (seul, Staline avait le droit de prédire l'avenir), la S-F connaît ensuite un véritable âge d'or qui s'étendra sur une douzaine d'années, 1957-1968. Outre Ivan Efremov célèbre et respecté, une pléiade d'auteurs — les frères Strougatski, G. Gourevitch, Olga Larionova, Ariadna Gromova, V. Bakhnov, G. Gor, I. Varshavski, S. Gansovski, V. Tendriakov — rajeunissent le genre, écrivent des oeuvres originales, intéressantes, drôles ou tragiques, souvent subversives ou dérangeantes. Utilisant les mêmes thèmes que ceux rencontrés dans les autres S-F — explorations spatiales et scientifiques, paradoxe temporel (G. Gor, A. Gromova), utopie (I. Efremov, les frères Strougatski) -, ils les adaptent à la sensibilité de leur pays, à leurs valeurs et s'en servent en même temps comme une arme pour dénoncer les tares ou les abus du régime. Ignorant le « réalisme socialiste » cher à la littérature officielle, ils préfèrent placer leurs héros, obligatoirement communistes, hors du temps et créer un monde parallèle où l'anti-utopie représente la réalité quotidienne et l'utopie le rêve impossible d'une société communiste idéale. Ils se livrent simultanément à une réflexion philosophique sur l'homme, la science et l'univers. S'ils n'osent pas employer un vocabulaire trop osé ou vulgaire (un héros communiste ne doit pas dire de gros mots), ils rejettent cependant le langage compassé de rigueur dans la littérature officielle. En perpétuel renouvellement, ils attirent un public de plus en plus nombreux de jeunes et de moins jeunes, multiplient les articles dans les journaux, les rencontres, publient des revues.
Et puis, petit à petit, la Censure et l'Union des Ecrivains, conscientes de l'impact de la S-F sur la jeunesse, décident de la récupérer et de la mettre au pas : la S-F sera avant tout éducative. S'ils veulent voir leurs oeuvres publiées, les écrivains sont donc fermement invités à s'assagir. C'est à peu près à ce moment-là qu'Alexandre Zinoviev choisit la S-F pour décrire la vie quotidienne soviétique dans Les hauteurs béantes, oeuvre publiée en Occident (L'Age d'Homme — 1977).
Depuis 1973, à part quelques romans de facture agréable (Le sommeil paradoxal de Z. Iourev, L'âme du monde de M. Emtsev et E. Parnov, tous deux traduits, au Fleuve Noir dans l'éphémère collection des Best-Sellers de la S-F soviétique), aucune oeuvre vraiment significative ne se détache d'une production très moyenne. Signalons quand même que les nouvelles sont, en général, de bien meilleure qualité. La lecture se fait souvent à deux niveaux, mais le lecteur soviétique est habitué à ce genre de gymnastique : ainsi, dans une nouvelle, le héros se retrouve seul et se réjouit sans cesse de sa solitude (on est loin des appartements communautaires et des slogans vantant la vie collective ... ) ; dans une autre, dès qu'il arrive quelque chose dans un tout petit village, les habitants prennent la BBC pour savoir ce qui se passe chez eux... Alors qu'il existe manifestement un public enthousiaste, des écrivains prolifiques et doués, des revues spécialisées, on peut se demander pourquoi le niveau reste médiocre. Se voulant réflexion critique sur la société ou ouverture sur l'avenir, la S-F se trouve forcément diminuée si elle ne peut ni critiquer ni proposer des solutions hardies de changement. Supportant difficilement les contraintes, elle en vient à se replier sur elle-même, à se répéter, bref à se scléroser.
Très différente par son style de la S-F occidentale, bloquée par les interdits (ni violence, ni sexe), elle ne rencontre qu'un succès très mitigé en France, malgré les tentatives très louables de certains éditeurs ou de petites revues.
Après une période féconde, la S-F a dû faire preuve de retenue, sans toutefois devenir servile (enfin, à quelques exceptions près), puisqu'elle ne pouvait plus présenter d'anti-utopies, elle a également cessé de proposer des utopies (qui n'auraient pu être que communistes), de vanter les mérites du régime. Simplement, elle a décidé de parler d'autre chose, de science, de philosophie, de psychologie. Cette aptitude à tourner les interdits, à vivre malgré tout, nous permet d'espérer qu'elle arrivera, très bientôt, à livrer le meilleur d'elle-même. Un léger vent de libération semble souffler actuellement sur l'URSS. Souhaitons que la S-F soit la première à en profiter et que quelques chefs-d'oeuvres « écrits pour le tiroir » puissent être publiés en URSS ou en Occident.

Lecture

De la science-fiction soviétique, essai de Leonid Heller (L'Age d'Homme, 1979). — Les mondes parallèles de la science-fiction soviétique, essai de Jacqueline Lahana (L'Age d'Homme, 1979).
Le Livre d'Or de la S-F soviétique, anthologie composée par L Heller (Presses Pocket — 1984).

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