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Une collection sang pour sang horreur : GORE

Daniel RICHE

Ténèbres n°1, janvier 1998

     Philosophe, journaliste et scénariste (Ma vie est un enfer de Josianne Balasko), Daniel Riche après avoir été rédacteur en chef de la revue Fiction, écrit en collaboration avec Joël Houssin son premier scénario intitulé Haute Sécurité, diffusé sur France 3. Créateur et directeur de la mythique collection GORE, Daniel Riche dirige aujourd'hui, les collections SF Métal et SF Mystères pour le compte des éditions Fleuve Noir. Il prépare dans le plus grand secret des projets de films pour le cinéma et la télévision.
     Membre de notre comité de rédaction, Daniel Riche inaugure cette série d'articles consacrée aux collections qui ont marqué l'histoire du fantastique français.



*



     Gore est née d'un voyage et de deux rencontres. Le voyage, c'est celui que j'ai effectué en 1982 au Canada pour assister à un congrès de science-fiction qui se tenait à Chicoutimi. Quant aux rencontres, ce sont celles de Philippe Manœuvre et de Patrick Siry, dont les routes ont croisé la mienne aux alentours de 1983.
     Au Canada, avant de me rendre à Chicoutimi, j'ai fait une courte escale à Montréal où j'ai été hébergé par un Québéquois d'adoption d'origine française du nom de Norbert Spehner qui s'occupait, entre autre, du magazine Solaris. Norbert avait une bibliothèque très fournie comptant non seulement de nombreux ouvrages en français mais aussi une quantité impressionnante de romans américains en V.O. dont beaucoup étaient des romans d'horreur. Grâce à lui, j'ai pris conscience de l'existence d'une littérature fantastico-horrifique abondante et diversifiée dont nous ne connaissions pratiquement rien en France. J'ai aussitôt pensé à proposer à un éditeur français la création d'une collection pouvant accueillir des traductions de ces livres... sans très bien savoir, en fait, à qui m'adresser. En effet, aucun des éditeurs que je connaissais et avec qui il m'était alors arrivé de travailler ne me paraissait susceptible de mener à bien un tel projet. Mais je n'en ai pas moins commencé à creuser l'idée et à jeter les bases d'un dossier. Quant au destinataire... on verrait plus tard.
     Peu de temps après, Philippe Manœuvre, que j'avais déjà côtoyé dans les couloirs des Humanoïdes Associés, est venu me trouver pour me demander si je voulais intervenir comme chroniqueur de science-fiction dans l'émission Intersidéral qu'il animait chaque soir sur France Inter. J'ai accepté et ça a été le début d'une aventure qui a duré à peu près un an.
     Au cours de cette année, nous avons monté plusieurs « opérations » autour de cette émission, parmi lesquelles un jeu de S.F. interactif (sans doute le premier du genre sur une chaîne de radio nationale !), une « semaine Philippe K. Dick » et... un tour d'horizon des collections de science-fiction en France avec interviews des directeurs de collections et concours permettant aux auditeurs de gagner des livres.
     Ces directeurs (et directrices... car il y avait aussi Marianne Lecomte et Elisabeth Gille) de collection(s), je les connaissais à peu près tous et la plupart étaient des amis. Cependant, il en est un que je ne connaissais que de nom : Patrick Siry, le directeur d'Anticipation du Fleuve Noir.
     Quand nous sommes allés l'interviewer pour l'émission, Patrick nous a réservé un tel accueil (lors d'un déjeuner particulièrement arrosé...) que cela nous a donné envie, à Philippe et moi, de « faire quelque chose avec lui » pour ne pas en rester là. L'idée m'est alors tout naturellement venue de lui proposer cette collection d'horreur à laquelle je n'arrêtais pas de réfléchir depuis mon retour du Canada. Philippe, à qui j'en ai parlé, m'a aidé à affiner le concept et c'est ainsi qu'est née la collection Gore dont le titre s'est immédiatement imposé à nous... d'autant que le mot commençait à faire son chemin dans les médias et l'esprit du public.
     Gore aurait dû avoir une direction bicéphale car nous étions deux à avoir mis au point le concept définitif... mais Philippe, happé par la T.V. (c'était l'époque des Enfants du Rock sur Antenne 2) et les Humanoïdes Associés, a fini par déclarer forfait et je me suis retrouvé seul à la tête de la collection...
     Les quatre premiers volumes sont sortis en librairie en avril 1985. Il s'agissait de La nuit des morts vivants de John Russo, L'autoroute du massacre de Joël Houssin, Le bois des ténèbres de Richard Laymon et Séductions de Ray Garton.
     Les deux premiers titres ont valeur emblématique. En choisisssant d'attribuer le n°l à La nuit des morts vivants de John Russo, je souhaitais, d'une part, indiquer clairement en quoi consistait cette nouvelle collection et, d'autre part, souligner les liens qui l'unissaient au cinéma. Quant au n°2, je l'ai attribué à un Français pour montrer que Gore avait, entre autres objectifs, celui de promouvoir une « école » francophone de littérature d'horreur.
     Au cours des années qui ont suivi, j'ai publié d'autres novelisations dont celles des trois premiers films du père-fondateur du « gore » cinématographique aux États-Unis, Herschell Gordon Lewis : 2000 Maniacs, Blood Feast et Color me Red Blood. Mais j'ai aussi publié beaucoup de Français... car le genre attirait un nombre considérable d'auteurs. A vrai dire, avant de lancer cette collection, je ne me serais jamais douté qu'il y en avait autant !
     Au fil du temps, cependant, j'ai commencé à m'apercevoir qu'il existait une différence notable dans la manière qu'avaient les Anglo-américains d'aborder ce genre de littérature et celle de leurs confrères francophones. En y réfléchissant, je pense que cette différence résulte avant tout d'une différence de culture.
     En gros et pour faire vite, je dirai qu'en matière d'horreur (et, sans doute, de fantastique), Anglo-saxons et Français ne puisent pas aux mêmes sources. Nous vivons dans un pays de tradition catholique, nous ne connaissons pas la fête d'Halloween, nous n'avons pas cet héritage celte grouillant de démons nocturnes, de créatures des bois et d'esprits des eaux. Il y a, dans la littérature d'horreur anglo-américaine, une dimension méta-naturelle qui nous fait défaut car elle ne nous est pas familière (ou, si elle l'est, c'est au travers de « produits » d'origine anglo-saxonne que nous consommons sous forme de livres, de films, de B.D.... mais pas parce qu'elle fait partie de nos « racines »)... Vampires, loups-garous, morts-vivants et autres « créatures des ténèbres » sont — et demeureront sans doute encore très longtemps — pour nous des phénomènes « importés », quelle que soit l'attirance que nous éprouvions à leur égard. D'une certaine manière, cela s'applique à tous les monstres littéraires et/ou cinématographiques, y compris les « psycho-killers »... L'horreur anglo-saxonne se nourrit de cet héritage, de cette culture du monstrueux (au sens très large)...
     L'horreur made in France, telle que l'ont pratiquée les auteurs de Gore, procède d'une autre démarche... ou plutôt, de deux autres démarches car on a affaire, ici, à deux attitudes assez différentes...
     La première est celle qui consiste à se rapprocher des Anglo-saxons, soit en les imitant, soit en tentant de s'approprier leurs codes pour les détourner ou, au contraire, s'y soumettre en connaissance de cause. C'est ce que j'ai cru déceler chez des auteurs tels que Gilles Bergal (de son vrai nom Gilbert Gallerne) ou Michel Honaker, pour n'en citer que deux...
     La seconde obéit à une logique de l'« impertinence » et de la provocation, qui en fait une littérature subversive... au sens où l'on peut dire que Sade est subversif. C'est ce qu'exprimé Julia Kristeva dans son livre Pouvoirs de l'horreur (Le Seuil, 1980) : « Ce n'est (...) pas l'absence de propreté ou de santé qui rend abject, mais ce qui perturbe une identité, un système, un ordre. Ce qui ne respecte pas les limites, les places, les règles. » Et, plus loin : « Devant la. mort signifiée — par exemple un encéphalogramme plat — je comprendrais, je réagirais ou j'accepterais. Non, tel un théâtre vrai, sans fard et sans masque, le déchet comme le cadavre m'indiquent ce que j'écarte en permanence pour vivre. Ces humeurs, cette souillure, cette merde sont ce que la vie supporte à peine et avec peine de la mort. J'y suis aux limites de ma condition de vivant. »
     Parmi les auteurs que j'ai publiés dans Gore, ceux qui me semblent le mieux incarner cette démarche que l'on qualifiera donc, faute de mieux, de « subversive » sont Joël Houssin, Nécrorian (autrement dit Jean Mazarin) et Corsélien (autrement dit Kaâ... alias Pascal Marignac). Avec eux, on est assez loin des sources d'inspiration d'un John Russo ou d'un Gary Brandner, pour ne mentionner que des écrivains que j'ai édités. Et pourtant, il y a dans tout cela comme un air de famille. Cela s'appelle... l'horreur.
     Courant 88, quelques événements sont survenus aux Presses de la Cité qui allaient entraîner, entre autre, le départ de Patrick Siry... puis le mien.
     Pendant quelques semaines, je n'ai pas très bien su ce qu'il allait advenir de Gore. Des gens, avec qui je me sentais (à tort ou à raison) moins d'atomes crochus qu'avec Patrick, ont été nommés à sa place. Ils m'ont proposé de rester en me faisant des conditions que je qualifierai d'« avantageuses ». D'un autre côté, Patrick m'a fait savoir qu'il comptait monter sa propre maison d'édition et qu'il souhaitait m'avoir comme directeur de collection. J'ai hésité... Devais-je rester dans le giron du Fleuve et continuer (presque) comme avant avec, en plus, de nouvelles responsabilités... mais en laissant tomber celui qui avait permis à Gore d'exister pour lui préférer de nouveaux venus avec qui je n'étais pas parvenu à établir une réelle complicité ? Ou bien devais-je suivre Patrick dans l'aventure qu'il me proposait, avec tous les risques que cela comportait ?
     J'ai dû me décider en quarante-huit heures et je l'ai fait en choisissant de suivre Patrick... pour le meilleur et pour le pire. En fait, nous avons été deux à agir de la sorte, Joël Houssin (qui devait s'occuper de la science-fiction) et moi. Ensemble, nous avons créé deux collections. Celle de Joël était le pendant d'Anticipation et la mienne, intitulée Maniac, une copie conforme de Gore à ceci près que les couvertures, somptueuses, étaient signées Gourdon. Nous avons chacun sorti huit titres et... l'aventure s'est arrêtée là.
     Patrick, en effet, n'est pas parvenu à trouver de distributeur pour les livres qu'il éditait. Ses successeurs au Fleuve ont fait en sorte de lui couper l'herbe sous les pieds... ce qui est de bonne guerre mais, pour ce qui nous concerne, s'est révélé fatal. Dure, dure a été la chute mais je tiens à préciser que je n'en veux à personne et surtout pas à Patrick puisque c'est de mon plein gré que je l'ai suivi et que rien de ce qui est arrivé n'est de sa faute...
     Gore, pour autant que je sache, a fonctionné quelque temps sans directeur de collection... Les gens qui avaient succédé à Patrick se sont contentés de gérer le programme que j'avais laissé derrière moi en partant. La plupart des titres que j'avais choisis ont fini par être édités à quelques exceptions près. J'ignore pourquoi certains romans sont demeurés inédits... La direction de collection est affaire de subjectivité. Il faut croire que la nouvelle équipe du Fleuve n'a pas vu dans ces livres la part de saine folie que j'y avais décelé...
     Deux directeurs de collection m'ont succédé. Le premier, qui est un ami que je tiens en haute estime, est André Ruellan qui avait signé du pseudonyme de Kurt Steiner l'un des derniers Gore parus sous ma responsabilité (Grand-Guignol, qui porte le n°62 de la collection et est sorti en janvier 88). André, d'après ce que je crois savoir, a estimé au bout de quelques mois que ce travail réclamait trop de temps et de disponibilité et il a passé le relais à Juliette Raabe, une « connaisseuse » dont la compétence en matière de littérature populaire a été maintes fois démontrée 1. Gore était en de bonnes mains... mais ceci ne me concernait plus.

Notes :

1. Notamment dans un long et brillant article intitulé Légitimité et tabous du roman d'horreur paru dans Les cahiers de la paralittérature N°3 : actes du colloque « Les mauvais genres » organisé au Centre culturel canadien de Paris, les 23, 24 et 25 novembre 1989 (Bibliothèque des paralittératures de Chaudfontaine, Éditions du C.L.P.C.F., 1989).

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