C'est de saison : un rhume m'a assailli faussement en douceur samedi, pour atteindre son maximum de férocité et de puissance hier lundi. Et comme j'avais oublié de mettre mon bonnet en papier aluminium, l'effet du rhume combiné aux ondes négatives émises par les Deros (toujours à l'affut) s'est révélé ravageur ! Moralité : il faut toujours sortir couvert ! Encore aujourd'hui, je cherche un peu le goût du café, que j'ai fait très fort, pourtant ! On est peu de chose... Mais assez parlé santé !
La curiosité n'est pas toujours récompensée, en matière de lecture... J'étais tout content de trouver il y a peu aux Puces (au prix compétitif de un euro) un ouvrage de Ferdinand Ossendowki que je ne connaissais pas : « Esclaves du soleil » (Albin Michel, 1931). Ossendowski est dans toutes les mémoire pour son essai hautement controversé « Bêtes, hommes et dieux » (1924), dont il existe des versions en anglais, en polonais et en français (avec de petites variantes, semble-t-il). Ce compte-rendu d'un voyage dans la Mongolie en flammes (c'est une image) de 1920-21 a fait en son temps beaucoup parler de son auteur, qui y évoquait (vaguement) les merveilles (plus ou moins authentiques...) de l'Agartha et, surtout, sa dangereuse rencontre avec le terrible baron Roman Nikolai Maximilian von Ungern-Sternberg (peu de liens de parenté, à première vue, avec le grand écrivain Jacques Sternberg), immortalisé graphiquement par Hugo Prat dans « Corto Maltese en Sibérie » (1978 pour la France) et littérairement par Vladimir Pozner dans « Le mors aux dents » (1937). Une grande question me vient brusquement à l'esprit : le baron aimait-il le café, ou préférait-il le thé ? Une enquête sérieuse s'impose. Il sera difficile de trancher, je le pressens.
« Esclaves du soleil » est aussi un récit de voyage, mais beaucoup moins mouvementé et périlleux, cette fois à travers l'Afrique, bien contrôlée par les Français et les Anglais. Certes, Ossendowski va s'attarder longuement sur les coutumes locales et notamment tout ce qui touche aux croyances superstitieuses, à la sorcellerie, au cannibalisme, etc., avec quelques échappées sur des hypothèses historiques et proto-historiques pittoresques quant à l'origine des peuples rencontrés, et cela donne, pour l'amateur de bizarre, quelques passages sympathiques, quoique bien faisandés (je dis cela à cause du cannibalisme). Par exemple, ce passage où des villageois, au bord de la famine à cause de la sécheresse, font appel à un sorcier (« Subahka ») descendu « de la montagne » :
« Il visita chacune des cases et repartit. Bientôt après, il était de retour, apportant avec lui une peau de panthère. Il s'arrêta chez Nyiegi, une femme encore jeune qui venait de donner naissance à un fils.
Posant sa main sur l'épaule de la jeune mère, il la regarda dans les yeux fixement.
Quelques temps après, Ntiegi le suivit, obéissante, dans la brousse. Lorsqu'ils arrivèrent à un certain endroit dans les rocher, le sorcier attacha la peau de panthère sur les épaules de la femme en disant :
— Les fétiches demandent du sang humain pour apaiser leur colère. A partir de maintenant, tu seras une panthère, et tu te jetteras sur le premier être humain que tu rencontreras. Tu le mordras à la gorge, afin de donner son sang à l'esprit de la terre. Le corps, tu le partageras, afin que tous puissent manger, s'unissant ainsi aux fétiches come un enfant est uni à sa mère quand elle le nourrit. Va !
Ntiefi courut dans la direction du village. Il faisait nuit. Elle ne rencontra personne sur son chemin. En entrant dans sa case, elle entendit son nouveau-né qui pleurait. La « panthère » se précipita sur lui en hurlant et grinçant des dents...
Le lendemain matin, Ntiegi jeta dans chacune des cases un morceau de chair humaine, en mangea elle-même et ensuite chercha longtemps son bébé... Avant le coucher du soleil elle l'avait oublié. Subahka revint, lui enleva sa peau de panthère, regarda dans toutes les cases, s'arrêta à un endroit où la terre, tachée de sang, était noircie, en prit une pincée qu'il mit dans un sachet suspendu à son cou, et retourna à sa montagne.
Le lendemain, des blancs arrivaient, et derrière eux, des nègres apportant des sacs de millet.
— Notre bon Subahka ! s'écrièrent les villageois. Il a apaisé les fétiches et ceux-ci nous ont envoyé des secours. »
Excellent pour ceux qui en seraient à leur petit déjeuner...

Cependant, on a nettement l'impression que l'auteur écrit ce qui lui passe par la tête sur le moment, et reprend ses notes presque tel quel, mêlant ce qu'il a réellement vu, ce qu'il lui a été raconté, et ce qu'il a imaginé sans se soucier outre mesure de construire son récit. Je citerai également le passage étrangement exalté qui conclut le livre, typique des élans contradictoires d'Ossendowski lequel, un coup, plaint les malheureux indigènes exploités par les coloniaux, un autre, s'esbaudit devant la grandeur de la mission civilisatrice des blancs, puis s'émerveille devant des rituels baroques, pour ensuite s'en moquer deux pages plus loin... Un esprit un rien confus, peut-être, plus avide de sensationnel que de cohérence...
« Venez à moi, tous, petits-fils de la Légendaire Lémurie ; et vous, rois-bergers ; vous, peuples à la peau rouge, vivant sous le signe du Serpent ; et vous, spectres des noires forêts ; venez à moi ; je suis la Liberté, je suis la Révolte ; je suis la Victoire ! Que vous soyez les descendants des mages d'Atlantis, ou les fils du fratricide Caïn, je vous donne le pouvoir, le courage, le désir de la révolte, afin qui vous puissiez renverser le tyrannique dieu Soleil et l'obliger à vous servir jusqu'à la fin des temps.
Les esclaves du Soleil relèvent la tête, et, le cœur encore troublé de terreur, ils écoutent ces mots révolutionnaires.
Mais vous, peuples blancs, qui lancez de hardies promesses dans les langages différents de vos pères, agissez de telle sorte que la fière devise du titan Prométhée serve de signal pour la Libération des corps comme des âmes, pour le triomphe de la Liberté Humaine ! »
Un poil grandiloquent, et pas très clair...
En sus d'essais (dont une vie de Lénine... si, si), Ossendowski a écrit des romans (je dois en avoir deux ou trois ramassés à tout hasard). Mais j'hésite, j'hésite...
A noter que le traducteur d' « Esclaves du soleil » est Robert Renard, qui avait déjà assuré la traduction (à partir de l'anglais) de « Bêtes, hommes et dieux ».
On s'est nettement éloigné de la SF (mais il y a un tout petit peu d'Atlantide et de Lémurie, vous avez vu ?), on y retournera demain, sans doute...
En prime, une reproduction de la couverture, de peu d'intérêt, sauf que l'on y discerne clairement la trace d'une tasse de café posée deux fois sur le pauvre volume... Et je jure que je ne suis pas coupable de ce sacrilège !
Oncle Joe
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