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Pouvoirs

George W. BARLOW

Le Monde de la Science-fiction. M.A. éditions, 1987

          Voilà peut-être le thème où se manifeste le plus nettement la source fantasmatique de la SF : « tout homme rêve d'être Dieu » ou, du moins un dieu. C'est du même coup un de ses points de tangence avec le fantastique. Le critère n'est pas tellement la possibilité (scientifique, sinon technologique, dans l'immédiat) de réaliser le désir : ainsi, ni L'Homme invisible (Livre de Poche, The Invisible Man, 1987) de H.G. Wells, ni même Le Secret de Wilhelm Storitz (Hachette, 1902) de Jules Verne — généralement considéré pourtant comme plus technique, moins mythique que son homologue britannique — ne sont tellement plus convaincants sur ce plan que la légende de l'anneau de Gygès. C'est, plus subtilement, la façon dont l'acquisition du pouvoir est sentie : accordé à l'homme (double sens de « don ») ou conquis par l'homme — ce qui ressort du titre même de L'Homme qui voulait être invisible de Maurice Renard (1923).
          De même que se soustraire à la vue des autres, ne pas être arrêté par les obstacles — comme Le Passe-Muraille de Marcel Aymé (Folio, 1943) — , ce serait jouir des privilèges d'un pur esprit ; ce que n'est certes pas Le Surmâle d'Alfred Jarry (Humanoides Associés, 1902), qui joint à la force d'Hercule les exploits sexuels qu'on envie à Jupiter — moins cependant que son immortalité : pour celle-ci, les quatre amis du Livre des crânes de Silverberg sont tentés de se sacrifier les uns les autres. Cependant, les pouvoirs corporels sont assez mal représentés en SF : c'est plutôt avec des machines que l'homme peut prétendre multiplier sa puissance (pour être invulnérable, par exemple, le « champ de force »), tel l'Isolé qui, dans Les Grands Travaux de Clément Denoy (Fiction n° 113), donne naissance à la légende d'Hercule. Toute autre façon d'échapper aux servitudes du corps reste peu crédible : pourquoi, dans Le Fiasco de Los Angeles de Conan Doyle (in Oeuvres complètes, Laffont), la chaise électrique ferait-elle à un condamné à mort l'effet inverse ? Pourquoi le fait d'être originaire d'une autre planète permettrait-il à Superman, dans la célèbre bande dessinée lancée en 1938 Siegel et Schuster, de violer toutes les lois de la physique sur la nôtre ?
          Les pouvoirs de l'esprit paraissent plus faciles à admettre : la mémoire « eidétique », telle celle de Horty dans Cristal qui songe de Sturgeon, est exceptionnelle mais non anormale ; la chance paraît obéir à certains presque autant qu'au « callisthénique » Cayle dans Les Armureries d'Isher de Van Vogt ; même la télépathie de ses Slans est esquissée par l'empathie qu'on a pu soi-même ressentir — et si elle était absurde, aurait-on fait des expériences à bord de sous-marins de la US Navy ? Alors, si tout cela est pour demain, pourquoi pas pour après-demain d'autres « pouvoirs psi », dont James Blish imagine la découverte dans Séquence Sigma (Guenaud, Jack of Eagles, 1949) ? Pourquoi pas la prévision du futur comme dans L'Homme stochastique de Silverberg, l'imposition de sa volonté à autrui comme dans Qui parle de conquête ? de Ian Wright (Fleuve Noir Anticipation, Who speaks of Conquest ?, 1951) ? Plus invraisemblables pourtant sont la télékinésie — action à distance sur les objets et la télé(trans)portation — qui permet à un John Carter, dans Les Conquérants de Mars de Burroughs de traverser l'espace interplanétaire mu par la seule force de son désir !
          En général, la SF utilise pour se justifier des raisonnements comme celui-ci : puisqu'on n'utilise qu'une petite quantité des cellules du cerveau, celui-ci doit avoir des qualités encore en friche ; donc une éducation appropriée peut produire des surhommes : Doc Savage chez Lester Dent, Gosseyn entre autres chez Van Vogt... oui, mais le Tarzan de Burroughs ? Comme entre civilisation poussée et pure nature, la SF hésite aussi, pour la source des pouvoirs, entre le futur — par exemple La Race à venir de Bulwer Lytton (Marabout, The Race to Come, 1871), les mutants — et le passé : si dans Le Principe du loup-garou de Simak le pouvoir de métamorphose est le fruit de manipulations génétiques à venir, dans Plus noir que vous ne pensez, Williamson fait de la lycanthropie un des dons acquis par les hommes-sorciers pour survivre à la glaciation et transmis jusqu'à nos jours à leurs descendants. Même extrapolation de la théorie de Toynbee sur les bonds en avant des civilisations pour répondre à un défi, mais sur le plan individuel, dans Un Terrien meurt de Gordon Walters (Death of an Earthman, 1963, in Loin de Terra, anthologie de Maxim Jakubowski, Présence du Futur), où un pilote d'astronef privé de mains se dote de télékinésie pour faire de la peinture et pour se venger du copilote qui a provoqué délibérément l'accident.
          Et ceci nous amène au problème moral : si le « pouvoir corrompt », que dire des pouvoirs ? La tentation est grande d'en faire un usage criminel, surtout s'ils compensent une infériorité et si l'on est persécuté par les êtres « normaux » : voir notamment On n'embête pas Gus d'Algis Budrys (in Histoires de mutants, Livre de Poche, Nobody bothers Gus, 1955). Sur le plan social, la recette de l'immortalité donnerait lieu à de graves conflits entre clans et classes — voir Le Grand Secret de Barjavel (Presses Pocket, 1973), L'Herbe à vivre de Wyndham — et aboutirait à la hiérarchie et à la sclérose — voir Vénus et le Titan de Kuttner. Quant à la télépathie, à première vue facteur de démocratique « transparence », elle sert en effet de base à une société idyllique dans Les Talents de Xanadu de Sturgeon (dans le recueil du même titre, J'ai Lu, The Skills of Xanadu, 1956), alors que même dans un couple elle n'arrange pas les choses selon Lee Sutton dans L'Ame-soeur (in Autres dieux, autres mondes, Présence du Futur, Soul Mate, 1958). Et, se retournant contre ceux-là mêmes qui les possèdent, dans Psi de Lester del Rey (Livre de Poche, Pstalemate, 1971), les pouvoirs rendent fou.
          Ainsi le moins scientifique des thèmes de SF est-il aussi le moins scientiste : qui parle de cette conquête parle souvent de l'ultime fléau — expression qui sert d'ailleurs de titre français à un roman de Polh (Livre de Poche, A Plague of pythons, 1965) où l'homme est pour l'homme un démon qui le possède. C'est au pacte avec le diable plutôt qu'au don de Dieu, ou des dieux, que s'apparente la prise des pouvoirs, dans ses moyens, ses buts, et l'amère ironie de ses conséquences : crime ou folie, amoralité au mieux, au pire immoralité, mal et malheur. Le surhumain se montre presque toujours inhumain. Plus riche sur ce point en mises en garde qu'en promesses, la SF rejoint la sagesse antique qui condamnait l'hybris (démesure) tout comme la dénonciation judéo-chrétienne de l'orgueil luciférien : « Vous serez semblables à des dieux », disait le serpent lové dans l'arbre de la connaissance.

          Lecture

          - Apparition des surhommes de B.R. Bruss (Livre de Poche, 1953).
          - A l'assaut de l'invisible de A.E. van Vogt.
          - L'Homme total de John Brunner (Futurama, The whole man, 1964).
          - L'Oreille interne de Robert Silverberg.
          - La Promenade de l'ivrogne de Frederik Pohl.
          - Le Don de Christopher Priest.
          - Histoires de pouvoirs, présentées par Jacques Goimard (Livre de Poche, 1975).
          - Histoires de surhommes, présentées par Démètre loakimidis (Livre de Poche, 1984).

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