Critique littéraire, anthologiste, essayiste, enseignant, Denis Guiot dirige la collection Autres Mondes (www.noosfere.net/autres-mondes) chez Mango Jeunesse. Ce passionné de SF est aussi l’auteur du Dictionnaire de la science-fiction (Hachette, 1998). Pour FUTUR(e)S, il raconte comment la science-fiction traite le thème du clonage humain. Recueilli par Pierre Vandeginste
La SF nous fait réfléchir aux conséquences de nos inventions. Que dit-elle à propos de ce fantasme dont la faisabilité se rapproche à grands pas : le clonage de l’homme ?
Comme d’autres, la littérature de science-fiction exprime nos espoirs et nos craintes pour l’avenir. Mais elle a une manière bien à elle de le faire. L’auteur de SF plante souvent son décor en introduisant un petit nombre d’éléments perturbateurs dans un modèle de société par ailleurs connu du lecteur. Et puis,il fait vivre son modèle. Et il découvre enfin les conséquences de ses hypothèses. Un peu comme un scientifique observe son expérience. Ainsi, cette SF joue un rôle de laboratoire virtuel, de simulateur de concepts nouveaux et troublants.
Et que découvrent donc ces auteurs lorsqu’ils introduisent le clone dans la société humaine ?
Le clone est venu assez tard en SF. Mais il n’a pas attendu Dolly. On voit arriver les premières œuvres d’importance dans les années 1970, soit peu après les expériences de clonage des années 60 sur la grenouille. En 1972, Roger Zelazny avec « Aujourd’hui, nous changons de visage », imagine un clonage visant à assurer l’immortalité d’une lignée familiale. À chaque décès, on ranime un clone, auquel on transfère le vécu du défunt. Kate Wilhelm dans « Hier, les oiseaux » (1976), et Pamela Sarget dans « Copies conformes » (1976 également) s’interrogent sur les relations entre clones de même origine. Leur identité génétique leur confère-t-elle des capacités mentales particulières, sont-ils télépathes, ont-ils eux aussi une conscience collective ? Et que devient la personnalité de chaque copie ?
Dans ces romans, le clone est plus une photocopie d'adulte, mental compris, que le duplicata strictement génétique que la biologie nous prépare. Le Dolly humain n'inspire pas les auteurs ?
Le clone purement biologique vient plus tard. Ce thème est remarquablement traité en 1988 dans « Reproduction interdite » de Jean-Michel Truong. Dans une société ultra-libérale dont le cynisme prolonge celui que nous critiquons parfois dans la société marchande actuelle, l’auteur le fait arriver à petits pas, qu’il justifie soigneusement par des raisonnements économiques imparables. Anesthésiée par le confort que cela apporte, la société laisse petit à petit s’installer une véritable industrie du clone.
Personne ne se rebiffe ?
Marginalement, au départ. Le clone de « Reproduction interdite » n’est pas considéré comme un être humain, l’Église s’est même prononcée sur ce point. On le fait littéralement « pousser » dans des fermes, à l’abri des regards. Il n’est même pas éduqué : pourquoi une réserve d’organes irait-elle à l’école ? Mais la révolte finit par gronder.
Ces clones doivent rester cachés. Sinon, ils feraient l’objet de compassion ?
La compassion, on la trouve surtout dans « Jonas 7 : clone » (1996). Birgit Rabish imagine qu’après avoir reçu deux yeux tout neufs de son clone, l’original découvre ce double donneur d’organes, le prend en pitié et finit par lui rendre l’un de ses yeux.
Pas de clonage bien perçu, bien vécu ?
Les auteurs nous proposent tout particulièrement des cauchemars. Pour qu’il y ait clone, il faut une raison de cloner. Et l’objectif est généralement moche : réserve d’organe, chair à canon, cobaye, esclave sexuel, cascadeur et même gladiateur...
Dans ce domaine, c’est l’intention qui compte. Produit d’une intention, le clone n’est plus tout à fait un être humain ?
En général, il traîne comme un boulet sa condition de « copie ». Ces œuvres nous mettent surtout en garde contre une technique qui diviserait la société en deux classes : les originaux et les copies.
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