Préambule
S’en souvient-on ? L’informatique a longtemps consisté en grosses machines exclusivement manipulées par des ingénieurs et des opérateurs spécialisés. La firme dominante de l’informatique était alors IBM. La firme Apple, au début des années 80, sera le fer de lance de l’informatique personnelle telle que nous la connaissons. Voir cette publicité de 1983 pour le macintosh d’Apple, qui vise IBM sans la nommer (réalisation Ridley Scott) : http://www.youtube.com/watch?v=HhsWzJo2sN4
Le courant cyberpunk de la science-fiction nait en même temps que l’informatique personnelle. La littérature de science-fiction semblait alors stagner, comme l’écrivait Jacques Sadoul en 1984 : « Au cours de ces dernières années je n’ai presque rien vu paraître qui n’ait pu être publié au cours des décennies précédentes ; c’est à un stupéfiant retour en arrière que nous avons assisté » et « plus grave encore les auteurs ne cherchent plus tellement à innover mais préfèrent écrire des suites à leur œuvre à succès (ainsi Frank Herbert doit en être à son sixième Dune). »
Neil Gaiman (romancier, scénariste, critique) : « en 1984, je faisais la revue de livres pour le BSF society journal et c’était plat, répétitif, on sentait dans les idées une sorte de fatigue. Et alors, il y a eu le choc Neuromancien. Ce n’était pas uniquement un bon livre ; on avait également un sentiment d’ouverture sur des mondes fascinants et inexplorés. En dépit de nombreuses critiques qu’on en a fait, j’ai adoré. »
Neuromancien est considéré comme le roman qui lança la vague du « cyberpunk. »
Le « héros » de Neuromancien est un pirate informatique qui travaille pour le grand banditisme. Après avoir tenté de détourner l'argent de ses employeurs, il subit comme punition la destruction partielle de son système nerveux, ce qui lui interdit désormais de se connecter au réseau informatique. Désœuvré, il erre dans un quartier mal famé d'une ville japonaise, vivant de petits trafics de technologies, parfois réduit au meurtre pour survivre. Un jour il reçoit une proposition inespérée...
Dans ce futur proche l'argent règne en maître, les progrès de la science, tout particulièrement de l'informatique, brouillent les frontières entre le réel et le virtuel, l'humain et la machine. Les hommes peuvent se munir de prothèses cybernétiques et directement se brancher sur le réseau informatique. Les multinationales concurrencent les Etats. L'avenir est sombre et ce n'est pas qu'une métaphore, tout est obscurci : « Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service. » L'univers du roman noir est convoqué, les technologies sont partout et rencontrent la « rue », le fatalisme voire le nihilisme règne.
Contours du cyberpunk
« Cyberpunk » est un mot-valise constitué de cybernétique, « la science des processus de commande, de communication et de régulation chez l'être vivant, les machines et les systèmes sociologiques et économiques » et de punk, « voyou », mouvement culturel, surtout musical, contestataire de la fin des années 70 (No Futur ! ! !). Le futur décrit dans le cyberpunk n’est plus ce qu’il était dans la science-fiction d’avant 1984 : les épopées cosmiques ou les sociétés totalitaires font place à un futur déglingué, abordé sous l’angle des sans-grades, des marginaux, ou des zones en friche. C’est l’association « high tech and low life », haute technologie et bas-fonds.
*Les drogues et les armes atomiques ne sont pas admises à l’intérieur
**Cyberpunk : c’est quelque chose comme ça
Quelques traits communs aux œuvres du courant cyberpunk :
Une société déstructurée
Les Etats sont concurrencés par les multinationales, les mafias, les sectes ( Babylon babies), ils se fragmentent au cours de guerres civiles. Ils se manifestent surtout défensivement, par la police ou l’armée ( Akira, Ghost in the shell...) ; les services sociaux semblent inexistants. L’individualisme règne, et lorsque la misère frappe, elle est impitoyable.
Les repères intellectuels et moraux se brouillent. Exemple des infommerciales, mélange de publicités et d’informations qui émaillent le roman Câblé ; Ou du mercenaire de Babylon babies, qui en hommage à ses victimes récite une sourate du Coran... puis enchaine sur un couplet du groupe pop U2...
*La vie c’est de la merde. Autant faire péter quelques trucs.
Prolifération et envahissement des techniques
Les techniques échappent au contrôle des académies et des laboratoires d’entreprise, elles sont détournées pour des usages sauvages ou illégaux. On s’implante des microprocesseurs pour générer des tatouages changeants, on modifie son corps à l’envie, pour peu qu’on puisse payer, on manipule sa physiologie, par exemple pour gagner quelques années de vie en plus, on se fait implanter des organes artificielles. Molly, la tueuse de Neuromancien, est ainsi dotée d’yeux artificiels pour la vision nocturne, et de griffes d’acier rétractables sous les ongles.
Des drogues inédites apparaissent, d’origine chimique, biochimique ou nanotechnologique. Outre le corps, on manipule le psychisme, déjà vacillant sous l’effet des influences idéologiques et des mondes virtuels de l’informatique. Des questions autrefois abstraites ont désormais des enjeux concrets : comment distinguer le réel du virtuel, l’humain de l’artefact ?
Vers une nouvelle apocalypse ?
Le cyberpunk prend donc pour décor un monde en crise, où la violence monte d’autant plus qu’elle dispose de moyens de plus en plus destructeurs. On peut dire de beaucoup d’œuvres cyberpunk qu’« elles n’ont de science-fiction que le nom : elles se contentent de pousser jusqu’au bout les tendances actuelles de la culture capitaliste... »
Où va ce monde ? Peut-être vers sa destruction (Matrix), à moins que l’intimité croissante entre l’humain et la technique n’aboutisse à la création d’une forme de vie supérieure (Babylon babies, Akira, Ghost in the shell...), purifiée de ses instincts destructeurs. Commence alors une autre mouvance de la science-fiction : le transhumanisme. Mais ceci est une autre histoire...
*Laissez derrière-vous la pauvre chair
Diffusion et postérité du cyberpunk
Si on peut chercher ses racines loin dans le temps ( J. G. Ballard, Philip K. Dick, John Brunner avec Sur l'onde de choc, K. W. Jeter avec Dr Adder, etc.), la période où le cyberpunk au sens de mouvement littéraire est vivace, prolifique et original, semble contenue entre les années 1984 (sortie de Neuromancien) et 1993 (le mot devient grand public, sortie de cyberpunk, album de Billy Idol...). Dès 1991 Lewis Shinner dans le New-York times écrivait « Confessions of an ex-cyberpunk » : « But by 1987, cyberpunk had become a cliché ».
Mais... Entretien avec William Gibson, publié par le site Cafard Cosmique :
— Cafard Cosmique : Comment envisagez-vous la période « cyberpunk », avec le recul ?
— William Gibson : Pour moi, il y a 2 définitions du cyberpunk. La première serait littéraire et historique et la seconde entrerait plutôt dans une sorte de définition de la pop culture de la fin du XX° siècle. La définition littéraire et historique me semble aujourd'hui faire partie du passé, quant à la facette « pop culture » du cyberpunk, elle est au contraire encore tout à fait opérante dans notre société. Si le cyberpunk existe encore, c'est sous la forme d'un niveau bien particulier de la pop culture. »
Sur le cyberpunk dans la culture contemporaine, voir le livre de Mark Dery : Vitesse virtuelle la cyberculture aujourd'hui. Si le livre date (1996) c'est encore une mine de renseignements. Les thèmes, le ton, et l'esprit cyberpunk se retrouvent aujourd'hui dans tous les domaines de la vie culturelle : musique, cinéma, art contemporain, jeux vidéo, etc.
Pour donner une idée de cet univers esthétique, on peut regarder ce montage de séquences de films effectué par un américain pour introduire un cours sur le cyberpunk : http://www.youtube.com/watch?v=gFZvbcWFH_g
TEXTES CYBERPUNK
William Gibson : • Neuromancien • Gravé sur chrome • Lumière virtuelle
FILMS CYBERPUNK
New-York 1997 (John Carpenter, 1981)
Akira (Katsuhiro Otomo, 1988). Adapté du manga du même nom.
Strange days (Kathryn Bigelow, 1995)
Matrix (Andy et Larry Wachowski, 1999)
Cypher (Vincenzo Natali, 2003)
BD CYBERPUNK
Ranxerox (Liberatore)
Zentak (scénario Jean-Pierre Pécau, dessins Def)
Nash (scénario Jean-Pierre Pecau ; dessins Damour)
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