Ici, le critique ne saurait séparer ce que Dieu a uni ! Avant son mariage en 1940, Kuttner, après un bon départ avec The Gravyard Rats dans Weird Tales (Les Rats du cimetière, Fiction n° 303) s'était essayé sans grand succès à divers genres sous divers pseudonymes et diverses influences — Lovecraft, Weinbaum, Howard. Catherine L. Moore, elle, avait acquis une renommée méritée avec les histoires de Northwest Smith, à commencer par l'admirable Shambleau en 1933 (dans le recueil Shambeau, J'ai Lu, Shambleau and others, 1953) et celles de Jirel de Joiry, à commencer par Le Baiser du Dieu noir (Black God's kiss) en 1934 (dans le recueil Jirel de Joiry, J'ai Lu, Jirel of Joiry, 1969). Sur des planètes lointaines de la SF pour les unes, dans le décor médiéval de l'heroic fantasy pour les autres, c'étaient toutes des plongées dans la psyché profonde où les terreurs et les désirs prennent des proportions mythiques, et la mort et l'amour le même visage. C'était beau, c'était grand, mais cela ne pouvait être que répétitif : il était temps que la jeune femme maladive et renfermée s'évadât de ses fantasmes. Elle tourna la page en 1937 avec La quête de la pierre-étoile (Quest of the starstone in Jirel de Joiry) où à la fois se rencontrent son héros et son héroïne et débute la collaboration avec Kuttner !
Collaboration qui devint vite fusion : le comique assez pesant cultivé parfois par Kuttner allié au sens tragique de son épouse donna l'humour hétérodoxe de « Lewis Padgett », qui doit à Lewis Carroll bien plus que le titre de Tout smouales étaient les borogoves (Mimsy were the Borogoves, 1943, in Meilleurs récits de Astounding, tome 2, J'ai Lu). Pour faire la part de Henry Kuttner et de Catherine L. Moore dans les oeuvres plus dramatiques signées « Lawrence O' Donnell », on peut se fonder sur une déclaration de Catherine Moore : à elle le thème des dangers de l'amour, à lui celui des dangers du pouvoir. Dans La Nuit du jugement (J'ai Lu, signé C. M., Judgement night, 1943), elle donne à Jirel une jeune soeur plus fragile, mais aussi au problème sentimental une dimension politique. En revanche, dans Vénus et le Titan (Presses Pocket, signé H. K., Fury, 1947) qui narre la conquête d'une planète sous la conduite d'un surhomme, elle laisse à son mari l'essentiel de la tâche, mais un thème comme la « mante heureuse » porte sa griffe.
Avec les études que tous deux ont repris et la maladie de coeur de Kuttner, le ton des dernières oeuvres est plus grave : Comus, nom du dieu de la plaisanterie — sous l'égide duquel s'étaient placées tant d'histoires de robots farfelus ou d'inventeurs ivrognes devient celui d'un système d'espionnage omniprésent aux USA dans Doomsday Morning (1957). Cette Dernière Aube (signé C. M., Presses Pocket) fut aussi le dernier roman : Catherine Moore, qui avait pourtant commencé à écrire sans Kuttner, a cessé à sa mort.
Lecture
- L'échiquier fabuleux (J'ai Lu, signé Lewis Padgett, The fairy chessmen, 1946).
- Les Mutants (Masque, signé Henry Kuttner, Mutant, 1945-53).
- Magies et Merveilles de Catherine Moore, anthologie composée par Alain Dorémieux (Casterman, 1982).
- Le Livre d'Or de Kuttner et Moore, composé par Alain Dorémieux (Presses Pocket, 1979).
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