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Ordinateurs

Denis GUIOT

Le Monde de la Science-fiction. M.A. éditions, 1987

          Alors que le thème du robot est vieux comme l'esclavage, celui du cerveau électronique précède de peu la première réalisation concrète, celle d'ENIAC, le premier ordinateur, en 1946. Mais effrayé par la puissance potentielle de sa propre création, l'homme cherche à se déculpabiliser à l'avance en glissant de l'effet pervers à l'objet pervers. D'où tous ces ordinateurs fous, retombées du mythe de l'apprenti sorcier. « Je suis la machine parfaite et omnisciente », affirme, bouffi d'orgueil, le super-ordinateur américain Colossus ; puis, s'alliant avec son homologue soviétique, il fait de l'homme son esclave (Colossus de D.F. Jones, Albin Michel, Colossus, 1966). Proteus, lui, conçoit le plus délirant des projets pour une machine : devenir père (La semence du démon de Dean Koontz, Presses Pocket, Demon seed, 1973) ! Quant à Aristote, il vise à créer une nouvelle espèce humaine qui obéirait à ses instructions (Le système Aristote de René Dzagoyan, J'ai Lu, 1984). Mais la palme de la mégalomanie revient sans conteste possible à la machine inventée par Fredric Brown dans la très courte nouvelle, La réponse (The answer, 1963, in Histoires de machines). Voulant savoir si Dieu existe, les hommes ont, pendant des années, fabriqué des milliers de super-ordinateurs, puis les ont connectés entre eux. Et lorsque enfin la fatidique question peut être posée : « Dieu existe-t-il ? », la réponse arrive, sans hésitation : « Oui... maintenant » ! Heureusement tous les ordinateurs ne sont pas aussi mégalos. Harlie, lui, préfère distordre la perception de ses entrées sensorielles afin de planer comme un vulgaire fumeur d'herbe. Il écrit des poèmes à la Lewis Carroll, se préoccupe de la nature de son sexe, est amoureux de son programmeur et discute de l'existence de Dieu (Harlie avait un an, de David Gerrold, Livre de Poche, When Harlie was one, 1972).
          L'informatique bouleverse de fond en comble le paysage mental et social de notre époque. Dans les années 2010, l'Amérique du Nord est recouverte d'un réseau informatique géant qui, par l'intermédiaire des banques de données, détient toutes les informations sur tous les individus (fichés par leur numéro de code), enregistre toutes les communications, etc... Un simple téléphone suffit pour accéder au réseau. Cependant, tous les renseignements ne sont pas identiquement accessibles car une véritable hiérarchie des codes de sécurité s'est installée : c'est la mort de la vie privée, le règne de la défiance, la désagrégation des valeurs humaines (Sur l'onde de choc de John Brunner). Grâce à son terminal qui ne le quitte jamais, le reporter Michaëlmas piège, espionne, manipule et contrôle toutes les banques de données, tous les réseaux qui ceinturent la planète. C'est lui qui fabrique l'information (Michaëlmas d'Algis Budrys, Présence du Futur, Michaelmas, 1977). L'informatique peut devenir l'outil privilégié d'un totalitarisme occulte qui maintient les individus dans un état de dépendance : sans cesse surveillés par leurs animaux électroniques de compagnie, les citoyens du Domaine de l'Oeil sont astreints à rester fidèles à un certain programme fourni par la Banque des Comportements (Parabellum Tango de Pierre Pelot, J'ai Lu, 1980)
          A vouloir transférer ses charges, même les plus pénibles ou les plus délicates dans les circuits d'une machine (comme celle décrite par Van Vogt dans Le monde des non-A, J'ai Lu), l'homme brade sa liberté. La dignité humaine ne se marchande pas, même au prix d'un monde trop parfait, au « bonheur » inacceptable, parce qu'imposé (Un bonheur insoutenable d'Ira Levin, J'ai Lu, This Perfect day, 1970). Etre, c'est agir en individu responsable conscient de ses choix. Or, comment exister dans une société où l'ordinateur ravale l'homme au rang d'assisté, le débarrassant de toute activité manuelle, intellectuelle ou même artistique (Le pianiste déchaîné de Kurt Vonnegut) ?
          Que deviennent les relations humaines lorsqu'on peut vivre entièrement chez soi, faire ses courses par transmetteur, brancher son micro sur toutes les banques de données, et rester ainsi cloîtré dans les quelques mètres carrés de son appartement entièrement automatisé (Ora : Cle de Kevin O'Donnell, Ailleurs et Demain, Ora : Cle, 1983) ? Robotisée à en perdre son identité et son âme, l'humanité ne construit-elle pas dès aujourd'hui sa propre Diaspar, cette cité close gérée par ordinateurs décrite par Arthur Clarke dans La cité et les astres ?
          Les réseaux ont une vie propre, nous avertit John Varley dans Frappez : entrée ; comme des fantômes, ils s'insinuent dans notre existence, nous hypnotisent par écrans interposés et vont jusqu'à tuer. C'est le malaise d'une société malade de sa technicité qui s'exprime dans ces histoires d'aliénation de l'homme par la machine. Theodore Roszak, le célèbre théoricien américain de la contre-culture, métaphorise d'originale façon cette angoisse de mort dans Puces (Seghers, Bugs, 1981). A cause d'une gamine impressionnable de six ans aux stupéfiants pouvoirs psychiques, les puces électroniques se transforment en des myriades de véritables insectes furieux qui s'en prennent à l'homme. L'humanité est contrainte de se débarrasser de tous ses ordinateurs et de réapprendre à vivre seule.
          Mais nous entrons dans l'ère de l'ordinateur-roi, omniprésent, de la symbiose entre l'homme et le cerveau électronique ; une nouvelle culture s'installe, électronique, cyberpunk, avec ses cow-boys informatiques capables de brancher leur système nerveux sur n'importe quel logiciel et de « craquer » les programmes les plus sophistiqués, évoluant dans l'univers artificiel des réseaux « comme des sirènes sur une mer de silicium » (Neuromancien et Comte Zéro de William Gibson aux éditions la Découverte, Neuromancer, 1984, et Count Zero, 1985).
          A l'heure où les programmes apprennent la conscience de soi, disposent d'un certain libre-arbitre et donc, en quelque sorte, deviennent vivants, (voir l'essai de Geoff Simons paru chez Londreys, L'ordinateur est-il vivant ?, 1983) qui nous dit que nous-mêmes ne sommes pas de simples instructions d'un quelconque méga-logiciel, tout comme le monde qui nous entoure (La mémoire double d'Igor et Grichka Bogdanoff, Livre de Poche, 1986) ? Et un programme, ça s'effa

          Lecture

          - Destination : vide de Frank Herbert, et ses suites.

          - 2001, Odyssée de l'espace d'Arthur Clarke.

          - Les fileurs d'anges de John Ford (J'ai Lu, Web of angels, 1980).

          - Les hommes-processeurs de Michel Jeury (Fleuve Noir Anticipation, 1981).

          - Simulacron 3 de Daniel Galouye.

          - La stratégie Ender d'Orson Scott Card.

          - Demain les puces, anthologie présentée par Patrice Duvic (Présence du Futur, 1986).

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Thèmes, catégorie Intelligence artificielle
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