De son vrai nom Eric Blair, cet auteur de romans sociaux doit sa célébrité à son unique anticipation, 1984 (1949, Folio), écrite en 1948 (d'où le titre, par inversion des deux derniers chiffres) au lendemain de la 2ème Guerre mondiale qui s'y prolonge à l'infini, entre trois blocs aux alliances changeantes et au système quasi identique : le totalitarisme. Rien n'échappe à Big Brother, incarnation — peut-être mythique — du Parti : ni la vérité historique — le héros (?) a pour tâche de corriger les journaux d'hier selon la politique d'aujourd'hui — ; ni les convictions intimes — il y a une Police de la Pensée qui les perce à jour, et une Novlangue qui doit enlever la possibilité même de concevoir la « penséecrime » — ; ni la vie intime — le « biensex » est l'envers de la promiscuité obligatoire du Meilleur des Mondes de Huxley, mais son but est le même : supprimer l'amour, impossible à prévoir et à régir. C'est à ce « crimesex » que se livre Smith, c'est par l'amour qu'il croit se délivrer ; mais, pris, torturé et rééduqué par O'Brien, il finit par renier Julia et clamer son amour pour Big Brother !
Vu l'influence de Nous autres de Zamiatine (avec le Bienfaiteur et ses Inquisiteurs, et l'amour à tickets) sur Orwell, vu sa parodie de la révolution russe dans Animal Farm en 1945 (La Ferme des Animaux, Folio), vu le terme de « Angsoc » (= socialisme anglais), on a voulu voir dans cette très noire parabole une attaque contre le communisme, voire le travaillisme : Orwell, dans ses Collected Essays indique nettement qu'il visait le fascisme autant que le stalinisme — combattant volontaire dans les rangs du POUM pendant la guerre civile espagnole, il a eu maille à partir avec les deux. 1984 est passé sans que 1984 se réalise : Orwell serait le premier à s'en réjouir, d'autant que c'est un peu à sa sombre mise en garde que l'on doit de ne pas avoir pour toute image de l'avenir « une botte foulant un visage humain ».
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