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Frederik Pohl et Cyril Kornbluth

(USA ; 1919) et (USA ; 1923-1958)

George W. BARLOW

Le Monde de la Science-fiction. M.A. éditions, 1987

          Deux noms que les lecteurs de l'immédiat après-guerre auraient aussi mal imaginés séparés que ceux d'Abbott et Costello — dans un genre bien différent — : la SF de Pohl et Kornbluth est dans la lignée du 1984 d'Orwell, non sans cependant un certain humour — noir — comme lorsqu'ils dénomment « Big Chicken » (« Poulgrain ») l'amas de cellules proliférantes dont on tire les protéines pour les « consommateurs » de Planète à gogos (Présence du Futur, The Space Merchants, 1952) ou imaginent les joutes du prétoire remplacées par celles de l'arène pour Maître Ch. Mundin dans L'Ere des gladiateurs (Presses Pocket) - traduction qui ne rend pas le jeu de mots du titre Gladiator-at-Law (1955), modelé sur "attorney-at-law" (avoué).
          Exit Kornbluth, mort en 1958, et que fait Pohl ? Apparemment pas grand-chose sinon continuer cette collaboration de façon posthume, en terminant nouvelles et romans déjà esquissés — mais sans réussir avec La Tribu des loups (Presses Pocket, Wolfbane, 1959) un traitement aussi convaincant de la révolte contre l'ordre oppressif, en l'occurrence la « Connectivité » qui transforme les personnes en éléments d'ordinateur au service d'entités étrangères — ou inaugurer une collaboration nouvelle, avec Jack Williamson — notamment la trilogie Les Récifs de l'espace (Presses Pocket, The Reefs of Space, 1964), L'Enfant des étoiles (Masque, Starchild, 1965) et L'Etoile sauvage (Presses Pocket, Rogue Star, 1969). Il faut dire qu'il était absorbé par ses tâches comme agent littéraire et rédacteur en chef de nombreuses revues, dont If et Galaxy de 1961 à 1969.
          Il fallut la publication de La Grande Porte (J'ai Lu, Gateway, 1977), qui rafla tous les prix en 1978, pour qu'on s'aperçoive de la grandeur de Pohl, confirmée par les deux suites, Les Pilotes de la Grande Porte (J'ai Lu, Beyond the Blue Event Horizon, 1980) et Rendez-vous à la Grande Porte (J'ai Lu, Heechee Rendez-vous, 1984) : Pohl n'avait pas besoin de Williamson pour bâtir un cadre d'une ampleur cosmique, ni de Kornbluth pour y donner vie à des personnages complexes, tel Robinette Broadhead, richissime et rongé de culpabilité — et tout cela avec le sourire : voir les dialogues échangés entre Robinette et les programmes informatiques Albert Einstein et Sigfrid von Shrink (l'ordinateur psychanalyste de Gateway mérite le détour !).
          Inversement, Kornbluth, livré à lui-même n'aurait peut-être été qu'un nouvelliste sarcastique, si peu progressiste qu'il craignait que la régulation des naissances profite aux Crétins en marche (Etoile Double, The Marching Morons, 1951) et voyait dans l'atomisation de Hiroshirna et Nagasaki Le moindre des fléaux (Etoile Double, Two Dooms, 1954), et manquant à ce point de souffle pour les romans que, lorsque ce n'était pas Pohl qui le secondait, c'était la troisième femme de celui-ci, Judith Merril, pour L'Enfant de Mars (Masque, Outport Mars, 1952) et Le Fusilier Cade (Masque, Gunner Cade, 1952) — l'esprit de ce dernier étant d'ailleurs comparable à celui de Starship Troopers de Heinlein.
          Au contraire, Pohl n'a pas cessé de tendre à la société américaine un miroir grossissant pour mettre en relief à tour de rôle tous ses défauts menaçants : la surproduction dans Heureux les Humbles (Etoile Double, The Midas Plague, 1954), le militarisme dans Les Animaux de la guerre (Marabout, Slave Ship, 1957), la dépersonnalisation béate dans L'Ere du satisfacteur (Masque, The Age of the Pussyfoot, 1969), la paranoïa institutionnalisée dans La Guerre en douce (La Découverte, The Cool War, 1979). Cette satire, il l'étend à l'ordre mondial, équilibre de crainte entre les « Gros », les « Gras » et les « Pops », dans Jem (Dimensions, Jem, 1979), ironiquement sous-titré « construction d'une utopie » parce que les hommes y apportent sur une nouvelle planète leurs fatals affrontements. Avec, constamment en arrière-plan, cette obsession quasi-métaphysique : le risque de déshumanisation de l'individu pour l'adapter à une certaine fonction — le cyborg d'Homme-plus (Livre de Poche, Man Plus, 1976) —, de manipulation de la personne — La promenade de l'ivrogne (Presses Pocket, Drunkards Walk, 1960). Et, tandis que Kornbluth, étroitement politique et bien américain, voyait cette menace venir de l'extérieur, de l'est, dans Ce n'est pas pour cette année (Satellite, Not This August, 1955) Pohl, lucidement moraliste et pleinement humain, la décèle à l'intérieur de chacun de nous, comme le montre magistralement la fin de L'Ultime Fléau (Livre de Poche, A Plague of Pythons, 1965) où le héros, Chandler, enfin libéré, subit la tentation proprement luciférienne de soumettre à son tour le reste de l'humanité à la possession.

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