Dans les temps primitifs, la nature se présentait comme très mystérieuse à l'homme. Et, donc, parfois terrifiante, car l'être humain peut être une proie pour le prédateur, mais aussi par des phénomènes d'autant plus effrayants qu'inexpliqués, comme le tonnerre, la foudre, l'éruption volcanique, le tremblement de terre, même le soleil et la lune, astres qui semblaient doués d'une vie autonome.
Tous ces mystères ont nourri des mythologies qui faisaient de ces phénomènes le résultat de l'activité des dieux. Ces mythologies, traitées par l'immense chaudron de l'imagination humaine ont produit des œuvres littéraires immortelles.
A la base, il y a celles qui remettent en cause la prétention - considérée au Moyen Age par les ecclésiastiques comme inqualifiable - de maîtriser la nature, et ainsi, de remplacer Dieu. On voit là apparaître la volonté de l'Eglise de maîtriser les idéologies en rationalisant les croyances et légendes des paysans incultes. Ce phénomène a mené les prêtres assez loin, jusqu'à des enquêtes sur des phénomènes surnaturels comme le fameux Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires (1751) du R. P. Dom Augustin Calmet et De masticatione mortuorum in tumulis (1728) de Michaël Ranft, enquêtes commandées par les autorités pour faire la lumière sur des phénomènes qui terrifiaient certaines contrées, même si, aujourd'hui, on peut en sourire.
La première légende à remettre en cause la maîtrise de l'homme sur la nature, fut celle de Faust. Ce n'est pas Gœthe qui a inventé cette histoire. Elle était déjà présente dans une lettre datée de 1507, où l'on trouve mention des tribulations d'un certain Faust. Ensuite, en 1587, il y aura un livre qui raconte l'histoire de ce pacte avec le diable dont s'est inspiré le poète allemand. Le diable, avec qui certains font des pactes pour mieux s'échapper des contingences naturelles, donc dépasser la nature, prendra ensuite différentes formes. Avant le diable, ange déchu, ce fut Prométhée qui, pour se venger de Zeus, donna aux hommes la connaissance du feu. Plus près de nous, c'est la science elle-même qui donne à Victor Frankenstein l'audace de créer un être vivant avec de la chair morte. D'ailleurs, la jeune Mary Shelley rédigea son roman à partir des expériences scientifiques de réanimation menées en 1802 - 1803 à Londres par Giovanni Aldini. D'autre part, l'utilisation par Frankenstein de l'énergie de la foudre, a certainement été inspirée par la réelle passion du mari de l'écrivain, et ses expériences pour mener à bien son idée de recueillir l'électricité de la foudre. "Le monde était pour moi un secret que j'avais à découvrir", déclare Victor Frankenstein dans le roman de Mary Shelley. Cette volonté, ne la trouvons-nous pas déjà chez les alchimistes, comme Paracelse qui donnait la recette de la "génération des homonculus (...) possibilité que, par nature ou par art, un homme pût être reproduit en dehors d'un corps de femme et d'une mère naturelle." ? Cette phrase n'est-elle pas d'étrange actualité ? Comme celle du Golem, sur le front duquel est inscrit "EMET", constitué de trois lettres qui forment le mot de "Vérité", et, qui, si l'on enlève la première, devient "Mort"... Car, quelle impudence aurait l'homme de rechercher la Vérité 1 ?
Ces terreurs nous ont accompagnés aujourd'hui. Elles constituent toujours un enjeu idéologique et politique fondamental, notamment en ce qui concerne l'écologie. Aux Etats-Unis, dans les années soixante, puis, chez nous, on comparait le destin de Faust à celui du physicien Robert Oppenheimer (1904 - 1967), l'organisateur du laboratoire-caserne de Los Alamos, le créateur de la bombe atomique. Cette terreur, que l'on retrouve dans nombre d'œuvres fantastiques littéraires ou cinématographiques, motive certainement ce que l'on appelle la "diabolisation" du nucléaire civil. Car, qui n'est pas mieux le "Prométhée moderne" - sous-titre du roman de Mary Shelley - que celui qui produit de l'énergie (le feu offert par Prométhée à l'espèce humaine) à partir de la structure profonde de la matière ?
Il y a aussi celle du vivant... C'est pourquoi, à partir des années soixante-dix, à la terreur de la physique atomique s'est ajoutée celle des manipulations génétiques. Ce qui faisait déclarer au professeur Mollo-Mollo - pseudonyme d'un responsable d'un parti écologiste aujourd'hui conseiller régional Rhône-Alpes - qu'il était d'accord avec le progrès scientifique, sauf en ce qui concernait "l'énergie nucléaire et les manipulations génétiques"... Il s'agissait d'un débat lors de l'enquête publique pour l'installation de la centrale nucléaire de Saint-Alban (38).
Après avoir épuisé ces mythes, en en faisant des versions diverses, par exemple, en présentant le docteur Frankenstein sous des aspects moraux différents, la mode revient à une nature plus directement terrifiante.
L'apparition de monstres produits par les radiations atomiques ne fait plus que sourire. Ce qui semble être vraiment terrifiant, c'est la forme réelle que peut prendre la nature, lorsqu'elle produit des monstres. Le plus simple est d'en faire des extra-terrestres comme Alien (1979, déjà !) de Ridley Scott, dont la reproduction, aux dépens de la vie humaine, est copiée sur la reproduction de certains insectes et dont la férocité n'a d'égal que celle de ces derniers. On a aussi rendu les végétaux terrifiants, lorsqu'ils viennent d'ailleurs comme avec La chose d'un autre monde (1951) de Christian Nyby, film qui met en scène une créature végétale animée de mauvaise intentions dans un lieu clos (une station polaire) et qui préfigure déjà l'anticommunisme de guerre froide de certains films fantastiques des années cinquante, comme L'invasion des profanateurs de sépulture (1956) dont le réalisateur Don Siegel avoua clairement ses intentions. (Je n'ai pas la place pour évoquer les séquelles de ces deux films). Bien qu'Alien ait toujours du succès avec la prochaine sortie d'Alien 4 réalisé par notre Jean-Pierre Jeunet national, la mode revient aux prédateurs naturels. Le cinéma nous avait déjà habitués à cela, avec, notamment, Les oiseaux (1963) d'Hitchcock que j'avais d'ailleurs soupçonné à l'époque d'avoir fait un film de guerre froide en récidivant après L'étau (1969). Aujourd'hui, le cinéma produit cette nouvelle terreur, avec Anaconda, le prédateur (1997) de Luis Llosa, qui met en scène le fameux et énorme serpent, la terreur étant ici possible grâce aux merveilleux effets spéciaux qui nous montrent avec délectation la méthode de chasse du prédateur et sa manière d'étouffer et gober ses victimes. C'est donc la nature elle-même qui devient terrifiante, comme, assez récemment avec le film L'ombre et la proie (1996) de Stephen Hopkins, dont les héros sont deux lions de légende en Afrique, appelés " Fantôme " et " Ténèbre ". Tout un programme. Le cinéma est riche, surtout dans la dernière période, grâce aux effets spéciaux, de films sur la terreur engendrée par la férocité d'animaux petits ou grands : un requin avec Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg et ses nombreuses séquelles (trois...), les Piranhas (1978) de Joe Dante, un sanglier chasseur de chasseurs avec Razorback (1984) de Russel Mulcahy, et de nombreux films sur la terreur engendrée par les insectes 2 . Dernièrement, Un cri dans l'océan (1997) de Stephen Sommers s'inscrit dans la même veine.
Doit-on déceler une nouvelle crainte en l'avenir dans cette catégorie de films ? Je ne crois pas. Du moins, pas fondamentalement différente de celle du passé, cette crainte profonde que l'espèce humaine ne soit plus dominante, développée surtout par les invasions d'extra-terrestres (et l'actualité cinématographique en est riche ces derniers temps), plus affichée aujourd'hui en montrant l'existence sur notre planète de terribles prédateurs grâce à l'efficacité des effets spéciaux.
En conclusion, on peut dire que la terreur profonde des humains, composée de deux éléments apparemment contradictoires, le premier étant la crainte de remplacer Dieu par sa connaissance des lois de la nature, et l'autre, la crainte de ne plus être l'espèce dominante, existe toujours de nos jours. Elle n'est pas seulement réservée à des œuvres de fiction, qui seules, savent l'exprimer ouvertement, elle devient un véritable enjeu de société, soubassement des débats idéologiques sur l'avenir de l'espèce humaine sur notre planète...
Notes :
1. Pour ce paragraphe, j'ai utilisé des citations de l'excellent essai du philosophe Dominique Lecourt : Prométhée, Faust, Frankenstein, Fondements imaginaires de l'éthique. 1997
2. Voir l'article : Les insectes au cinéma
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