Du célèbre créateur de Tarzan, on dit souvent : « Il a aussi écrit de la science-fiction ». En fait, il a commencé la même année (1912) et dans le même magazine (All Stories) les récits « planétaires » et les récits « africains », avec respectivement Under the Moons of Mars (La princesse de Mars) et Tarzan of the Apes (Tarzan seigneur de la jungle, Nouvelles éditions Oswald), et a poursuivi parallèlement jusqu'à sa mort et au-delà, avec la publication posthume de manuscrits plus ou moins retouchés – les deux séries... si deux séries il y a : elles se rejoignent au moins dans Tarzan au coeur de la Terre (Tarzan at the Earth's Core, 1930), publié dans le cycle de Pellucidar au Club du Livre d'Anticipation et à Temps Futurs, et (sous le titre Tarzan et Pellucidar) comme n° 12 des Aventures de Tarzan chez Lattès ! En fait, la jungle où s'ébat l'homme-singe – avec survivants de l'Empire romain, cité atlante, dinosaures, hommes-fourmis – est tout aussi fictive que la planète Vénus qu'explore Carson Napier, le Barsoom où John Carter lutte contre des Martiens rouges, verts, blancs et noirs, le Pellucidar où David Innes se taille un empire, le Caspak que Bowen Tyler découvre au pôle et la Lune où Julian se réincarne en dix-neuf descendants ! Et il y a plutôt plus de plausibilité scientifique dans l'origine de Tarzan – élevé par ces grands anthropoïdes qui constituent le maillon manquant entre le singe et l'homme – que dans l'ascension de John Carter vers Mars avec son corps pour tout vaisseau et sa volonté pour tout moteur.
Il est significatif qu'il échappe ainsi à une attaque d'Apaches, et le parallèle entre Martiens et Indiens est souligné plusieurs fois par la suite : la « science-fiction » burroughsienne, c'est le western continué par d'autres moyens (Rappelons que Burroughs s'engagea, à dix-huit ans, dans le fameux 71 de cavalerie). En 1912, les guerres indiennes sont terminées depuis une génération, le continent nord-américain entièrement sous la coupe de l'homme blanc, et il ne reste guère ailleurs non plus de « terrae incognitae » ; d'où le recours au centre de la Terre, à l'île tropicale, au pôle, à Mars, Vénus et la Lune comme espaces de liberté : libération des instincts naturels des héros à l'égard des contraintes de la civilisation, libération de l'imagination de l'auteur à l'égard des contraintes du savoir rationnel. La science n'est pour Burroughs qu'un déguisement – parfois aussi grotesque que celui des Dupond/t ! – pour permettre au merveilleux de s'introduire dans la cité technologique : électrons, radium et « 8ème rayon du soleil » ne sont que les équivalents modernisés des philtres et de la baguette magique.
Peu originale (Kipling avait dès 1894 pris pour héros un humain élevé par des bêtes, Mowgli ; et Swift dès 1726 fait voyager Gulliver dans des pays invraisemblables), mal écrite, maladroite dans l'intrigue (coïncidences et grosses ficelles), naïve dans la peinture des sentiments, simpliste dans celle des sociétés, invraisemblable et incohérente dans le décor, cette oeuvre a pourtant connu un succès prodigieux. C'est que – de même que le romantisme du XIXème siècle était une réaction contre la révolution industrielle – celui de Burroughs répond au désir de goûter à la vie primitive dont nous sèvre la civilisation universelle du XXème siècle, de réaffirmer sans risques les instincts qu'elle tend à refouler. Ce mythe a ses bons côtés – plaidoyer pour un meilleur équilibre du corps et de l'esprit – , ses côtés irrationnels – apologie de la nature « telle que le créateur l'a voulue » – et ses côtés franchement réactionnaires – le devoir de protéger la femme fait place au droit de la soumettre, ce que John Norman n'a eu aucun mal à développer dans la série de Gor (Opta) : les pires monstres de Burroughs sont peut-être les guerrières barbues de Terre d'épouvante (Temps Futurs, Land of Terror, 1944) !
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Lecture
– Cycle de Tarzan (24 volumes de 1912 à 1947, partiellement édité chez Lattès et chez les Nouvelles éditions Oswald).
– Cycle de Pellucidar (David Innes), 7 volumes chez Temps Futurs.
– Cycle de Barsoom (John Carter), partiellement édité chez Lattès.
– Tarzan, essai de Francis Lacassin (10/18).
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