« La douleur poussée jusqu'à la cruauté » : dans la postface à son recueil Sonate sans accompagnement (Présence du Futur, Unaccompanied sonata, 1981), Card reconnaît que c'est là un motif récurrent dans ses histoires. Mais il ne s'agit pas d'une cruauté gratuite, visant à satisfaire les bas instincts du lecteur. La cruauté, en littérature, est nécessaire, selon l'auteur, pour dramatiser tous ces rites de passage dont la somme constitue une existence, et ainsi leur donner force de mythe. Mormon pratiquant vivant à Salt Lake City, Card écrit une science-fiction toute imprégnée de sens moral, mettant l'accent sur la responsabilité individuelle et sur les épreuves que doit traverser l'être humain en quête de perfectibilité : « Nous grandissons avant tout par nos souffrances. Le bonheur, c'est bien, mais on y arrive rarement sans payer un prix très fort Fiction 328).
Ainsi, les romans de Card – traversés par la méchanceté toute ellisonienne du châtiment mérité – se trouvent à l'intersection du Bildungsroman et du conte de fées, adoptant la structure narrative du premier et la violence symbolique du second, tout en se coulant dans le moule du space-opera ou de l'heroic fantasy. Citons Une planète nommée Trahison (Présence du Futur, A planet called Trahison, 1979) où le héros Lanik, grâce à – ou malgré – ses étranges pouvoirs de régénération cellulaire parvient à unifier les Familles jusqu'ici rivales et à mettre fin à leur esclavage, Les maîtres chanteurs (Présence du Futur, Songmaster, 1980) qui conte le destin tragique d'Ansset l'oiseau-chanteur déchiré entre son amour pour son protecteur et un conditionnement hypnotique qui le transforme en machine à tuer, ou encore La stratégie Ender (Club du Livre d'Anticipation, Ender's game, 1985, extension de la nouvelle du même titre – la première de l'auteur, incluse dans Sonate – qui, en 1977, révéla Card), tragique histoire d'un gamin surdoué, manipulé par le monde des adultes et broyé par la grande machine informatique.
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