Les derniers et les premiers (Présence du Futur, Last and First Men, 1930), ce sont les dix-huit races humaines dont la nôtre est la première, avec au passage de précoces exemples de terraformation — adaptation de Vénus à la 5ème race — et de pantropie — adaptation de la 9ème race à Neptune. 2 000 000 000 ans en un volume, qui dit mieux ? Stapledon lui-même ! Car, après avoir restreint son champ dans le temps et l'espace aux Derniers hommes à Londres (Présence du Futur, Last Men in London, 1932), il l'élargit à nouveau démesurément, à toute l'histoire de tout l'univers, jusqu'à la rencontre finale de l'esprit du narrateur avec le froid expérimentateur qu'est le Créateur d'étoiles (NéO, Star Maker, 1937). C'est dire que ce philosophe ne rejette les religions que pour faire place à sa propre révélation. « Qui nous dit que Stapledon n'a pas raison ? » écrit Versins dans son Encyclopédie ; oui, mais qui nous dit qu'il a raison ? Ecrire une Bible sans dictée divine, c'est braver l'incrédulité ; et écrire de la fiction sans protagonistes personnels, c'est risquer l'ennui. Clarke qui, de son propre aveu, doit beaucoup à Stapledon, notamment pour Les Enfants d'Icare, a su éviter ce défaut.
Mais Stapledon lui-même, à côté de ces livres qu'il appelait « mythes », a incarné dans de vrais romans sa conception de l'évolution à venir et sa vision de la sombre contradiction au sein de la conscience : Odd John (1935) n'est Rien qu'un surhomme (titre français, en Présence du Futur) un Uebermensch nietzschéen, amoral autant que supérieur ; et Sirius (1944, Sirius, Présence du Futur) n'est rien qu'un super-chien qui, amené artificiellement à l'intelligence, est cruellement partagé entre sa « folie de loup » et ses tendres relations avec Plaxy, fille de son créateur élevée avec lui — thème qui eût pu être scabreux, et que Stapledon a traité avec délicatesse dans un merveilleux décor de campagne anglaise. C'est la preuve que, lorsqu'il redescendait modestement du ciel des idées à la terre des hommes, il pouvait s'élever jusqu'à une littérature à visage humain.
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