« L'âme est un état de paysage ». Cette phrase célèbre de Salvador Dali pourrait servir d'exergue à une étude sur l'oeuvre de Ballard. La recomposition du monde extérieur en termes mentaux est en effet une composante majeure de l'univers de notre auteur. Afin de survivre, l'individu ballardien est obligé de trouver en lui-même un climat psychologique comparable au climat extérieur. L'auteur définit sa prose comme une prose de scientifique, quelque chose comme le mariage de Freud et de Roland Barthes, appliquant la sémiologie de ce dernier aux signes psychologiques et la méthode d'investigation freudienne au monde extérieur. Dès lors, le paysage devient une « métaphore extrême » de l'espace intérieur dont il faut trouver la logique pour accéder à une réalité authentique.
Dans la première partie de son oeuvre, Ballard apporte sa contribution à la thématique très britannique du récit-cataclysme avec Le Monde englouti (Présence du Futur, The drowned world, 1962), Le vent de nulle part (Presses Pocket, The wind from nowhere, 1962), Sécheresse (Presses Pocket, The drought, 1964) et La forêt de Cristal (Présence du Futur, The crystal world, 1966), mais à sa manière : c'est-à-dire que ses catastrophes, plus symboliques que réalistes, sont structurées comme un inconscient et, plastiquement, sont largement influencées par le surréalisme d'un Dali ou d'un Magritte. Vers la fin des années 60, il collabore activement à New Worlds et expérimente de nouvelles techniques d'écriture — parfois à la limite de la lisibilité — inspirées de William Burroughs : ces textes éclatés sont réunis dans le recueil Le Salon des horreurs (TSF, The atrocity exhibition, 1970) et inaugurent les « cauchemars technologiques », ces lieux mentaux où les fantasmes de notre époque se condensent en une suite de tableaux hyperréalistes montés « cut », « à l'intersection d'une nouvelle mythologie morbide, d'une géométrie spatiotemporelle obsessionnelle émergeant du corps et du monde intérieur de la psyché ».
Dans sa préface à Crash ! Ballard écrit : « L'équilibre de la réalité et de la fiction s'est radicalement modifié au cours de la décennie écoulée, au point d'aboutir à une inversion des rôles. Notre univers est gouverné par des fictions de toute sorte (...). Nous vivons à l'intérieur d'un énorme roman. Il devient de moins en moins nécessaire pour l'écrivain de donner un contenu fictif à son oeuvre. La fiction est déjà là. Le travail du romancier est d'inventer la réalité ». Ainsi Crash ! (Presses Pocket, Crash, 1973) célèbre les noces perverses du sexe et de l'automobile, premier roman pornographique technologique, tandis que I.G.H. (Livre de Poche, High Rise, 1975) décrit la régression vers l'animal des habitants d'un Immeuble à Grande Hauteur.
Cauchemars technologiques ou récits cataclysmiques, l'oeuvre de Ballard est une recherche inlassable d'une psychopathologie neuve, dénuée de morale au sens commun du terme mais logiquement justifiée. D'où l'obsession du vol sous toutes ses formes, car voler s'est s'évader de la gangue du temps quotidien et pétrifié afin de rechercher s'il existe une sensibilité nouvelle sur l'autre rive, voler c'est accéder à l'éternité du rêve en étant Le rêveur illimité (Calmann Levy, The Unlimitead dream company, 1979). Tel est le sens des étranges nouvelles qui appartiennent au cycle de Vermilion sands (Livre de Poche, Vermilion sands, 1971), rêve de sable qui déroule ses volutes dans une station balnéaire échappée des tableaux de Magritte, mais aussi sans doute, de cette autobiographie fantasmée Empire du Soleil/ (Denoël, Empire of the sun, 1984) dans laquelle Ballard réinvente son adolescence passée à Shangaï, durant la Seconde Guerre mondiale.
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Lecture :
— Cauchemar à quatre dimensions (Présence du Futur, The four dimensionnal nightmare, 1963).
— Appareil volant à basse altitude (Présence du Futur, Lowflying aircraft and other stories, 1976).
— Salut l'Amérique ! (Présence du Futur, Hello America, 1981).
— Le Livre d'Or de J.G. Ballard, présenté par Robert Louit (Presses Pocket, 1980).
— N°1 de la revue Science-Fiction (Denoël) consacré à Ballard, 1984.
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