Numéro 1 de la collection Présence du Futur paru en 1956, Les chroniques martiennes (The martian chronicles, 1950) approche actuellement les 500.000 exemplaires. Ray Bradbury est étudié dans les écoles et les universités — aux USA comme en France — et lorsqu'il vient dans notre pays les grands média se l'arrachent. Pour Aldous Huxley, il est « un des plus grands visionnaires de toute la littérature contemporaine ». Dans son essai L'univers de la science — fiction (Payot, New Maps of Hell, 1960) Kingsley Amis le baptise « le Louis Amstrong de la science-fiction (... ) parce qu'il est le seul auteur connu de ceux qui ignorent tout de la science-fiction »... mais il ajoute vicieusement « Je ne saurais me prononcer sur les raisons de cet état de choses. Peut-être s'explique-t-il par la tendance à Bradbury à sombrer dans cette espèce de sous-sentimentalisme poétique qui va droit au vieux coeur racorni de tous les lecteurs de journaux du dimanche » !
S'il est exact que le Bradbury d'après 1960, tout auréolé de gloire littéraire et publié dans les revues de luxe, prête le flan à ce jugement sévère, on ne saurait en dire de même du magicien de la grande époque, celui des Chroniques martiennes (rappelons que les nouvelles constituant le cycle parurent de 1946 à 1950 dans diverses revues spécialisées). Par son écriture rêveuse et poétique, son inspiration nostalgique qui provoque une indicible émotion, son parti-pris de dénoncer le génocide martien par petites touches discrètes et intimistes, le chef-d'œuvre de Bradbury a apporté un ton réellement nouveau à la science-fiction de l'époque. « Bradbury réinvente les charmes de la flûte au bord de l'eau », écrivit alors un critique. Mais que l'on ne s'y trompe pas : sous le charme de la poésie, la subtilité des images et l'élégance discrète de la plume, se cache la condamnation sans ambage d'une civilisation intolérante et pétrie de jugements raciaux, civilisation technicienne qui détruit ce qu'elle ne comprend pas et ne pense qu'en termes de profit.
Fahrenheit 451 (Présence du Futur, Fahrenheit 451, 1953, porté à l'écran en 1966 par François Truffaut) est l'histoire de la prise de conscience du pompier Montag qui, dans une société totalitaire où l'aliénation et l'uniformisation de l'individu passent par la répression de l'imaginaire, au lieu de brûler les livres se met à les lire. « Derrière chacun de ces livres, il y a un homme » dit-il. Derrière chaque livre de Bradbury il y a l'humaniste qui s'insurge contre la mécanisation de l'humanité, le poète qui s'émerveille devant les voyages interstellaires, le moraliste qui dénonce les dangers de la science, le nostalgique qui regrette les valeurs traditionnelles et l'enfant qui a peur du noir.
La foire des ténèbres (Présence du Futur, Something wicked this way comes, 1962) mais aussi nombre de ses nouvelles fantastiques, puisent leur inspiration dans les terreurs enfantines de l'auteur et ses relations difficiles avec les gosses de son âge. « Qui a déclaré que l'enfance était la meilleure période de l'existence ? écrit-il dans Le terrain de jeux (The playground, 1953, nouvelle incluse dans Fahrenheit 451). Quand elle est en fait la plus atroce, la plus impitoyable, la plus barbare, où il n'y a même pas de police pour vous protéger, mais seulement des parents entièrement absorbés par leur monde de grandes personnes ».
Auteur adulé, Bradbury prend ainsi une certaine revanche sur son enfance angoissée passée à l'ombre des contes d'Edgar Poe et des piles de Wonder stories et sur ces années difficiles pendant lesquelles sa carrière d'écrivain piétinait (à force d'essuyer des refus, il créa en 1939 son propre fanzine Futuria Fantasia ; première nouvelle professionnelle péniblement publiée, en collaboration, en 1941). Quoiqu'issu du fandom, Bradbury n'a cependant jamais été réellement accepté par les fans purs et durs de SF américains qui lui reprochent son ton fantastique, ses positions résolument anti-scientifiques, et son inspiration « mainstream ». « Littérature générale pour les thèmes et l'écriture, science-fiction pour le décor : telle est la formule littéraire de Bradbury » a dit de lui Sam Moskowitz (in « Qu'est-ce qui fait brûler Bradbury ? » article paru dans Fiction n°123, février 1964). En effet, Bradbury se préoccupe fort peu de cohérence scientifique ; la vérité qui l'intéresse c'est celle que secrète la métaphore, cette dernière permettant à la science-fiction de se rapprocher de la poésie et de la féerie. De plus, alors que la SF est généralement considérée comme une littérature d'idées, il s'attache à des préoccupations psychologiques et morales, et privilégie l'émotion, comme en témoignent ces deux recueils aux nombreux joyaux : L'homme illustré (Présence du Futur, The illustrated man, 1951) et Les pommes d'or du soleil (Présence du Futur, The golden apples of the sun, 1956).
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Lecture :
— Le pays d'octobre (Présence du Futur, The october country, 1955).
— Un remède à la mélancolie (Présence du Futur, A medecine for melancholy, 1959).
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