Avec l'humour qui le caractérise, Curval aime affirmer qu'il est le seul « foetus-écrivain » ! Le désir de retour à l'habitat utérin est, en effet, une constante dans l'œuvre de notre auteur. Mais ce retour à l'état fœtal procède essentiellement d'une volonté d'être son propre commencement. Se créer soi-même, renaître, telle est l'obsession de Felice Giarre, L'homme à rebours (J'ai Lu, 1974). Le déterminisme qui préside à notre naissance (famille, patrie, époque) révolte Curval, et tous ses héros tentent d'y échapper. « J'ai toujours pensé, explique-t-il dans le n° 7 de Science-Fiction Magazine, qu'il y avait un moyen de se choisit son existence avant de l'assumer. La première chose à faire, naturellement, est de tenter de se déconditionner, puis d'apprendre à imaginer sa vie soi-même ».
Ce que le jeune Philippe met très tôt en pratique en se faisant chasser de divers lycées et collèges, puis en coupant les ponts avec le milieu familial — bourgeois comme il se doit — dès l'âge de 17 ans. Divers métiers dont photographe, céramiste et peintre au pistolet sur réfrigérateur ( !), fréquentation assidue du Saint-Germain des Prés de la grande époque (et de la boisson), première ébauche de ce qui deviendra, en 1962, Le ressac de l'espace (J'ai Lu). Fin connaisseur de la littérature populaire (les Maurice Renard, Jacques Spitz, Paul d'Ivoi), il arrondit ses fins de mois en tenant la librairie de Valérie Schmidt, La Balance. Or, celle-ci est le lieu de rendez-vous de tous les passionnés de SF de l'époque : Boris Vian, Michel Butor, Alain Dorémieux, Jacques Sternberg, etc. Avec ce dernier, il lance Le Petit silence illustré, l'ancêtre prestigieux de la presse dite underground. Débuts dans Fiction en 1955. Curval produit peu : une quinzaine de nouvelles et deux romans en dix ans. En 1967, il semble abandonner la SF en publiant un roman étrange, inclassable, qui se déroule dans une Venise fantasmatique, La Forteresse de coton (Gallimard, réédité en Présence du Futur). Autre tentative de récréation insolite d'une certaine réalité avec Attention les yeux (Losfeld, 1973), histoire d'un photographe de romans-photos qui s'invente une famille en louant un oncle, une sœur... Malgré les apparences, les univers parallèles de la SF classique sont proches... à moins que ce ne soit une perversion de la pensée existentialiste, puisque pour celle-ci le monde n'existe que par la conscience que nous en avons !
Par la suite, Curval reviendra à une SF plus traditionnelle dans ses thèmes, mais traitée avec sensualité et une élégance sophistiquée à la limite de la prétention, mariant avec un art consommé le sens de la logique et le goût de l'absurde dans une débauche de techniques différentes (de l'écriture automatique aux méthodes préconisées par Raymond Roussel). Dès 1974, il aligne les succès avec régularité. L'homme à rebours tout d'abord, puis Cette chère humanité (J'ai Lu, 1976) qui avec un sens de la provocation quasi-surréaliste transforme notre Marcom (ou Marché Commun) en un monde de science-fiction, Y'a quelqu'un ? (J'ai Lu, 1979) dont l'action se déroule en plein Paris de nos jours et qui est pourtant une authentique histoire d'invasion de la Terre, L'odeur de la bête (Présence du Futur, 1981) avec sa religion du plaisir qui laisse loin derrière les sages amours contre-nature des Amants étrangers de Farmer, etc.
Anarchiste tendance hédoniste, grand admirateur de Sheckley, nomade dans la vie (journaliste scientifique à La Vie électrique depuis 1964, il voyage beaucoup), Curval l'est aussi dans son activité littéraire puisqu'il ne dédaigne pas être anthologiste (Futurs au présent, 1978, et Superfuturs, 1986, deux recueils consacrés à la toute jeune SF française – Présence du Futur) et critique littéraire (ses très personnelles « Petites chroniques de nuit » dans Galaxie de décembre 1974 à septembre 1977). Comme l'écrit André Ruellan dans sa conclusion au Livre d'Or qu'il lui a consacré (Presses Pocket, 1980) : « La chance de Curval est d'avoir un but dans la vie : faire de la SF un grand mouvement littéraire. »
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Lecture :
— Les sables de Falun (Titres SF, 1970)
— Regarde fiston, s'il n'y a pas un extraterrestre derrière la bouteille de vin (Présence du Futur, 1980)
— Le cycle de L'Europe après la pluie comprend Le dormeur s'éveillera-t-il ? (Présence du Futur, 1978), En souvenir du futur (Ailleurs et Demain, 1983), Cette chère humanité et La force du jour (en préparation).
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