Né à Harlem, c'est un des très rares auteurs noirs de SF — et le contraste Blanc-Noir est omniprésent dans son œuvre, symbole d'opposition et de haine, mais aussi de complémentarité et d'amour, tels Prince et Lorq d'une part, Idas et Lynceos d'autre part dans Nova (J'ai Lu, Nova, 1968). Loin d'être « en noir et blanc », cette œuvre est d'ailleurs un feu d'artifice constant depuis le titre du premier roman, écrit à moins de vingt ans, Les joyaux d'Aptor (Galaxie Bis, The jewels of Aptor, 1962) jusqu'aux lumineuses apparitions de l'un des derniers, Dhalgren (1975, inédit en France) « Space opera » ? Oui, à condition de rendre à « opéra » le sens de « spectacle total », et de voir, sous la surface coruscante, les riches profondeurs : là encore, Nova nous fournit un bon symbole, puisque les « cueilleurs d'étoiles » y plongent au cœur d'un soleil explosé pour y puiser le plus précieux des métaux.
Cette richesse est-elle intellectuelle ? Certes, si les premiers romans – Les joyaux d'Aptor et la trilogie de La chute des tours (Club du Livre d'Anticipation, The Fall of the Towers, 1963-1966) — utilisent les conventions quasi féeriques du genre, les suivants reposent sur de solides connaissances scientifiques. Mais — comme chez Wagner — ce sont plutôt des archétypes qui fournissent la structure vitale : arcanes du tarot dans Nova, personnages mythologiques dans L'intersection Einstein (Opta, The Einstein Intersection, 1967). Ouvrage plutôt obscur, d'ailleurs ; c'est que Delany se méfie de la conceptualisation : il a consacré tout un roman, Babel 17 (J'ai Lu, Babel 17, 1966) à montrer que toute langue non seulement trahit la réalité, mais en fausse la perception. C'est pourquoi ses personnages se fient plus aux gestes qu'aux paroles de leurs interlocuteurs pour les percer à jour ; et, de même, le lecteur est invité à atteindre, à travers les impressions sensorielles et par-delà les mots, des vérités transcendantales qu'ils ne peuvent exprimer.
C'est ce qui fait la nouveauté et le charme original d'une œuvre que Delany qualifie, plutôt que de science-fiction, de speculative-fiction, terme qu'il utilise pour définir les quatre anthologies Quark (1970-1971) qu'il a publiées avec son ex-femme, la poétesse Marilyn Hacker. Mais c'est aussi ce qui en fait parfois l'obscurité et la difficulté d'accès, notamment pour La Ballade de Bêta-2 et Empire Star (Livre de Poche, The Ballad of Beta-2, and Empire Star, 1965). Delany a certes le mérite, comme sa poétesse Rydra Wong dans Babel 17, de partir de « pensées à demi concrétisées » pour « polir tout ce fatras » et « faire chatoyer tout ce qui est terne » ; mais, brassant peut-être trop d'obscur chaos pour lui imposer ordre et clarté, ne laisse-t-il pas sur le plan intellectuel — comme sur le plan moral dans le pornogaphique Vice Versa (Titres SF, The Tides of lust, 1973) — triompher le « dieu noir » ?
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Lecture
— Triton (Dimensions, Triton, 1976).
— Les Contes de Neverhon (Titres SF, Tales of Neverhon, 1979).
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