Site clair (Changer
 
    Fonds documentaire     Connexion adhérent
 

Deux ou trois détails à propos de Sturgeon

Claude ECKEN

L'Autre n°4. Congress report: Convention de Lodève, août 1999

          Note : première parution dans Ere Comprimée n°16 (Ed CAMPUS, 1982). Version remaniée en 1999.

 
          Qui, mieux que Sturgeon, est susceptible d'illustrer le thème de l'Autre ? L'auteur de Cristal qui songe et des Plus qu'humains a construit son œuvre autour de ce thème, de ce qui rapproche et différencie les humains ainsi que les espèces entre elles.

 

          À ses débuts, en 1939, Theodore Sturgeon ne se distingue pas du peloton des auteurs de SF qui composaient les sommaires de Astounding et Unknown. Il écrit surtout des textes humoristiques, des fantaisies où l'élément de SF ou de fantastique est prétexte à une cascade de situations cocasses. Il travaille à l'école de John Campbell, véritable découvreur de talents, qui lança tous les auteurs de l'âge d'or de la SF.

 

          Killdozer, paru en 1944, marque un tournant dans sa carrière. Avec ce récit de bulldozer dévastateur, Sturgeon cesse d'amuser. Il commence à se préoccuper de la nature humaine. Dans ses nouvelles, il met en scène des personnages en proie à la solitude, à cause de leur différence. Ces deux thèmes, le droit à la différence et la souffrance de l'individu isolé, Théodore Sturgeon les développera tout au long de sa carrière. Quelques textes de cette période sont de petits chefs-d'oeuvre : Abréaction, Les Mains de Bianca, Celui qui lisait les tombes.

 

          En 1950, c'est la révélation : Cristal qui songe hisse définitivement Sturgeon au rang des grands écrivains. A travers ce roman souvent autobiographique, l'auteur peint des êtres différents, enfermés dans leur solitude. Ce n'est pas seulement Horty, le gamin qui vit en symbiose avec des cristaux, mais aussi tous les personnages d'un cirque qui vivent en exposant leurs particularités au public. Sturgeon minimise bien vite ces différences. Nous sommes tous logés à la même enseigne, d'une manière ou d'une autre. C'est ce qu'on explique à Zéna : « Cela te faisait de la peine d'être différente de... des autres n'est-ce pas Zéna ? Je me demande si tu t'es jamais rendu compte à quel point tout le monde est pareil à cet égard. Tu sais, les phénomènes, les nains, ont des richesses que pourraient leur envier... Maintenant j'ai compris pourquoi tu voulais tant être grande. C'est parce que tu faisais semblant d'être humaine et que ton chagrin d'être une naine te semblait comme une preuve de cette humanité que tu convoitais. »

 

          Inhumains sont également les enfants de Plus qu'humains, chef-d'oeuvre de Théodore Sturgeon, paru en 1953, une année particulièrement féconde pour lui. Des enfants rejetés par leurs parents à cause de leurs pouvoirs étranges se réunissent pour combattre leur solitude. Janie pratique la télékinésie, les jumelles noires, Beany et Bonnie la téléportation, Bébé, l'enfant mongolien est un génie exceptionnel. Un idiot télépathe au nom transparent de Tousseul se joint au groupe. A eux cinq, ils forment un groupe homogène, une entité bien supérieure à un humain normal. C'est le principe de la Gestalt-théorle que Sturgeon a illustré ici, démontrant qu'une unité est supérieure à la somme de ses composants grâce au jeu des interrelations. Il y a aussi Alice Kew, élevée par un père tyrannique qui l'a traumatisée avec ses principes de morale. C'est une autre solitude que celle imposée par des tabous, des règles éthiques qui empêchent l'individu de s'exprimer, solitude plus cruelle encore, car de nature uniquement psychique. Pathétique personnage que Mlle Kew, vivant recluse, incapable de se mélanger à la foule. Elle accueillera les enfants dans sa maison, leur offrant leur refuge, le foyer dont ils sont besoin.

 

          Sturgeon a probablement fait le tour de toutes les différences qui isolent les individus, de tous les Autres possibles : l'extraterrestre (L'Autre Célia, L'éveil de Drusilla Strange, Tiny et le monstre), le mutant, la personne disposant de pouvoirs (Les Plus Qu'humains, Compagnon de cellule, Un Don spécial, la fille qui savait), l'idiot, le demeuré (Les Plus Qu'humains, Parcelle brillante), le malade (Sculpture lente), enfin les attitudes, les caractères qui provoquent le rejet chez l'autre, l'égoïsme, la moquerie, l'autoritarisme, la cupidité, la vanité, l'intolérance...

 

          Généralement, chez les autres auteurs de science-fiction, le thème de l'extraterrestre nous présente un Autre surprenant, effrayant, ou encore incompréhensible. Les différences par rapport à l'humain sont parties intégrantes du récit et ce sont souvent elles qui sont censées provoquer la surprise ou la curiosité du lecteur. Chez Sturgeon, hormis La Merveilleuse Aventure du bébé Hurkle plus quelques textes mineurs, ce n'est pas ce type de différence qui importe. Ses extraterrestres sont plutôt bienveillants, manifestent des sentiments humains au point qu'ils se révèlent souvent plus humains que l'homme. Les inséparables de Dirbanu sont humanoïdes mais s'ils ont choisi la Terre comme asile, c'est parce que leur civilisation est encore plus intolérante que la nôtre en matière d'homosexualité (Monde interdit). Drusilla Strange qui se croit laide est plus belle que n'importe quelle femme. Ce n'est la curieuse nature extraterrestre de Célia qui est le centre du récit (elle change littéralement de peau, transférant le contenu de l'une à l'autre, reliée à la première par le sommet du crâne), c'est la curiosité maladive de son voisin. Le fantomatique extraterrestre de Paradis perdu est en fait un humain issu d'un rameau qui a divergé. Dans Le Claustrophile, ce sont les humains qui sont d'anciens extraterrestres. Le monstre de Tiny se révèle avoir des sentiments humais. Avec Sturgeon, les pistes sont toujours brouillées.

 

          Sur le même principe, on constate que les faibles, les déshérités, les idiots deviennent finalement les héros de l'histoire, voire les sauveurs du monde. Ils cessent, aux yeux des autres, d'apparaître comme des incapables ou des inutiles.

 

          Si les textes de Sturgeon font le tour des divers type de solitude, ils proposent également des remèdes. Un lecteur lui a fait un jour remarquer que toutes ses histoires mettaient en scène un malade et la façon de le guérir. Les nouvelles de Sturgeon peuvent être considérées comme un catalogue de remèdes pour l'âme.

 

          Accepter l'autre dans sa différence, le rassurer quant à son sentiment d'exclusion est le premier précepte. Le second tient à la connaissance : accepter l'autre dans sa différence, c'est d'abord le connaître, le comprendre. Sturgeon part souvent en guerre contre les jugements péremptoires. L'éveil de Drusilla Strange traite justement de ces a priori. Drusilla est condamnée par la société intransigeante où elle a grandi à finir ses jours sur une planète laide et grotesque, la Terre. Elle trouve les humains répugnants jusqu'à ce que Luella, une autre condamnée, lui fasse la leçon : le monde d'où elle vient n'est pas idéal de perfection, il serait même l'inverse (« Quand on est là, on se met à drôlement détailler toutes les images. Et vous savez, on s'aperçoit qu'elles sont pleines de rayures et de défauts. »). Être plus évolué ne permet pas de mépriser les autres (« '' Snob '', dit Luellen en s'étirant avec grâce. '' Vous vous croyez supérieure à tout le monde. A lui (...) A moi (...) A tout le monde.'' »). Drusilla doit donc apprendre l'humilité qui aide à tendre vers la perfection, et la tolérance envers les autres : « La Terre est jeune et mal dégrossie, mais elle est forte et belle. Traiteriez-vous un enfant de demeuré parce qu'il ne sait pas parler ou de méchant parce qu'il n'a pas appris à raisonner ? Nous n'avons rien d'autre à apporter à la Terre que notre décadence. Aussi nous préférons l'aider dans ce qu'elle a de meilleur. » Ce renversement de perspective est pour Drusilla l'occasion de voir le monde sous un jour nettement plus sympathique.

 

          Tout au long de ses textes, Sturgeon dispense ce message de tolérance qui passe par la connaissance de l'Autre. Cette connaissance doit être la plus totale possible. Drusilla n'avait qu'une vision fragmentaire de son monde et de la Terre, qui explique son attitude. La quête de la vérité est chez Sturgeon une nécessité. Il insiste souvent sur le renversement de perspective que produit une information exhaustive par rapport à une information partielle. Le même exemple est repris dans plusieurs nouvelles, celui d'un jeune homme se précipitant sur une femme dans la rue, la jetant à terre et la rouant de coups. C'est un acte apparemment condamnable mais en réalité très louable car la robe de la femme s'était enflammée : le jeune homme l'a couchée pour éteindre les flammes. Dans les deux cas, « chaque détail de sa conduite était vrai. La seule différence, c'est la dose de vérité dont est chargé le récit », conclut-il dans Celui qui lisait les tombes.

 

          L'effort de compréhension met en évidence le problème de la communication, autre préoccupation sturgeonnienne qui tisse la trame des récits. La science-fiction n'est chez lui qu'un prétexte pour mettre en scène des personnages empêtrés dans des problèmes. Théodore Sturgeon demande que l'on se montre compréhensif et tolérant envers tous ceux dont les différences, les particularités inspirent mépris ou méfiance. « Dans son microcosme, chacun avait le droit de mener l'existence qui lui plaisait et d'en tirer tout le parti imaginable », écrit-il dans L'autre Célia. Ceci ne concerne pas seulement les gens diminués physiquement ou au comportement bizarre, mais également ceux dont les moeurs s'écartent de la norme.

 

          Sturgeon part ainsi en guerre contre tous les préjugés, se demandant à chaque fois pourquoi les choses ne sont pas différentes. Il s'attaque aux opinions sectaires, principalement aux tabous sexuels. Les sujets de ses nouvelles seront l'inceste, l'homosexualité, l'adultère et l'amour libre. Une fille qui en a (1957), Si Tous Les Hommes étalent frères, me permettrais-tu d'épouser ta soeur ? (1967), Vénus plus X (1980), Nécessaire et suffisant (1971), sont autant de textes où Sturgeon parle de la sexualité, en essayant toujours de se placer du point de vue des autres.

 

          On le voit, ce qui intéresse Sturgeon, c'est l'être humain, avec ses problèmes et ses défauts, ses peines, sa souffrance. En humaniste, il cherche, à travers ses textes, à éduquer, explique sans relâche ce qui lui semble important et nécessaire pour faciliter la communication humaine. Il se montre d'ailleurs très prudent quand il écrit, parce que « les petites choses qu'on lance comme ça peuvent changer la vie des gens et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles j'écris si peu. »

 

          C'est peut-être cet exercice mental consistant à se demander comment le lecteur interprétera son récit qui permet à Sturgeon d'adopter les différents points de vue des interlocuteurs qu'il met en scène. C'en est même devenu un tic d'écriture qui alourdit parfois le texte ou le rend confus. Mais c'est aussi une technique narrative qui a donné naissance à d'excellentes nouvelles comme L'homme qui a perdu la mer.

 

          Ce qui frappe dans l'écriture de Sturgeon, c'est l'abondance des détails, le temps qu'il prend pour décrire avec minutie des actions qu'une seule phrase suffirait à exprimer. Dans L'autre Célia, Slim s'introduit dans sa chambre et fouille un sac : « C'était un sac noir, ni neuf ni coûteux, de cette couleur indéfinissable qu'acquiert avec le temps une basane non entretenue. Il était pourvu d'une fermeture à glissière et la serrure n'en était pas fermée. Slim l'ouvrit. Il découvrit à l'intérieur une boîte de carton toute neuve contenant mille feuilles de papier blanc, bon marché, pour machine à écrire. un ruban d'un bleu brillant l'entourait qui portait un diamant blanc avec la légende : Nonpareil, l'ami de l'écrivain — 15 % de fibre de coton — Marque déposée. » Pour remettre les affaires en place, l'auteur aurait pu se contenter d'une ellipse mais il répète, dans l'ordre inverse, chaque action exécutée par son personnage : « Slim (...) remit le papier dans la boîte et la boîte dans le sac qu'il replaça à l'endroit exact où il l'avait découvert. » Plus loin dans le texte, l'opération est répétée et décrite avec la même minutie que précédemment. On objectera que ce luxe de détails contribue à illustrer la minutie du personnage. Mais ce tic apparaît dans d'autres récits.

 

          Dans Parcelle brillante par exemple, un homme soigne une jeune fille blessée qu'il a recueillie. Tous les soins qu'il prodigue sont décrits d'une façon redondante, avec un luxe de détails qui étonne. Le même souci d'exhaustivité est adopté pour retracer la vie de Wheeler dans Le scalpel d'Occam comme si à chaque fois Sturgeon craignait de ne pas se montrer suffisamment explicite.


          Pour Sturgeon, il s'agit là d'un effet de réalisme, qui permet l'identification du lecteur au personnage. « Je pense que le secret d'un écrivain qui réussit, qui réussit à avoir un large public, c'est la faculté d'écrire une histoire comme s'il s'agissait d'une lettre, et d'une lettre adressée à une personne précise. » confie-t-il à Patrice Duvic 1 avant de livrer ses techniques d'écriture, dont celle-ci : « Quand je décris un lieu, j'écris comme si j'y étais. Je veux dire que, quand deux personnages sont en train de parler dans une chambre, je connais la chambre. Je ne le dis pas toujours, mais je sais quels tableaux il y a au mur. (...) On a conscience de toutes ces choses, sans avoir à en parler, et même sans les mentionner, le lecteur sent une présence, une épaisseur, à cause de ça. Alors, quand j'écris, c'est à cette personne qui est une personne à trois dimensions, et je suis près d'elle quand je lui parle... »

 

          Technique d'écriture, mais dans un souci de présence, de contact avec le lecteur, de lien à établir. A preuve, ce luxe de détails ne concerne que les passages traitant de l'homme. Tant de précision demanderait sinon de solides connaissances scientifiques s'il devait situer ses récits dans les futurs éloignés ou sur des mondes hypothétiques à la technologie avancée, ce qui est rarement le cas chez Sturgeon. L'époque choisie est souvent contemporaine à la nôtre, les extra-terrestres débarquent plus volontiers sur la terre que l'homme ne va les chercher dans les étoiles. Quand il s'agit de planter un décor de science-fiction, la plume de Sturgeon se fait soudainement elliptique. Curbstone, « c'est l'autre satellite lent de la Terre qui se traîne au-delà de la Lune. Il fut construit il y a 7800 ans pour les importants transferts interplanétaires, bien qu'il n'en reste plus guère aujourd'hui, naturellement. Il est si facile aujourd'hui de synthétiser n'importe quoi qu'il n'y a plus de demande pour des importations. Nous fabriquons ce dont nous avons besoin à partir d'énergie, et ce n'est pas ce qui manque dans le coin ». Voici en quelques lignes brossée la civilisation de Les Étoiles sont vraiment le styx, de façon très concise, alors que la page suivante consacre un grand paragraphe à la franchise.

 

          « Le vaisseau cellulaire, tous écrans en batterie, piqua vers l'anse et ne projeta aucune ombre sur l'eau éclairée par la lune, aucune éclaboussure sur la surface qu'il brisait. Ils la firent sortir et elle nagea sans difficulté ; le vaisseau redressa le nez et repartit sans bruit. » Ainsi débute L'éveil de Drusilla Strange, et il n'est plus jamais fait mention du vaisseau spatial dans le récit mais seulement de l'adaptation de Drusilla à cette planète. Ceci montre que la profusion des détails ne se manifeste chez Sturgeon que lorsque le récit est ramené à une dimension humaine. La SF est chez lui prétexte qui permet d'imaginer des situations propres à révéler des émotions humaines. Rien de plus qu'un matériau identique à celui des fables, où l'on voit des animaux parler et vivre comme des humains.

 

          Dorémieux a dit de lui, dans sa préface aux Songes superbes..., qu'il « prenait [la SF] non comme un moteur de rêves à usage externe, mais comme véhicule pour conjurer ses doutes et exorciser ses angoisses. »

 

          Fréquemment, d'ailleurs, les débuts de nouvelles ne plantent pas le décor, considéré comme secondaire, mais le principal trait de caractère du protagoniste central. « Merrihew était un dépanneur. Il n'y avait jamais eu personne comme lui, aussi n'y avait-il aucun qualificatif pour ce qu'il faisait. » (Nécessaire et suffisant). « Slim n'est pas profondément malhonnête (...) il est simplement curieux. » (L'autre Célia). « Jamais il n'avait eu une femme près de lui. » (Parcelle brillante). « Je pérorais donc comme à l'ordinaire, trouvant des justifications hautement valables à l'opinion que j'avais de moi. » (Un Égocentriste absolu), etc.
          Si Sturgeon épie ensuite son personnage dans ses moindres gestes, c'est pour donner confirmation du trait de caractère. Les détails qu'il livre ensuite ne font que témoigner. Il y a là un aspect didactique propre à ceux qui se sentent investis d'une mission éducative. Sturgeon annonce puis démontre. Très conscient de la nécessité d'enseigner, il estime aussi que la science-fiction est un formidable pédagogique, allant jusqu'à parler de « connaissance-fiction ».

 

          Mais ce luxe de détails montre dans le même temps que la connaissance de l'autre, que Sturgeon souhaite pour nous enseigner la tolérance, passe par l'observation. C'est en béhavioriste accompli qu'il écrit, analysant un personnage d'après son comportement ou d'après les objets qui composent son environnement. Ce n'est pas par hasard si l'un de ses héros, Merrihew, « dépanne » les gens en relevant des détails auxquels personne n'avait prêté attention : les nuances de la parole (Agnès, accès et accent), les objets trouvés dans un appartement (Nécessaire et suffisant).

 

          Ce regard aiguisé transforme tout. il y aurait quelque lassitude à lire Sturgeon si ses nouvelles se truffent de détails dans un seul but démonstratif. Mais si l'on trouve au commencement une personnalité bien définie, le détail dévoile in fine une vérité cachée. Celle-ci agit à la façon d'un boomerang : soit elle opère une transformation sur la personne, comme Drusilla qui apprend à aimer Chan et son monde, soit elle éclaire la personnalité d'un autre personnage. Chris, apprenant que son interlocutrice vient d'un autre monde, découvre dans le même temps qu'il est un homme spatial, qui réunit les caractéristiques propres aux voyages dans les étoiles (Le Claustrophile). De même, l'homme qui a appris à lire les tombes pour découvrir la véritable personnalité de sa femme en apprend davantage sur lui-même. L'effet boomerang est ici particulièrement saisissant : lorsqu'il fait graver sur la stèle le message qu'il adresse à sa femme, son professeur éclate de rire : « ''C'est vous, qui lui dites ça à elle ? '' (...) Alors, je l'ai relue — pas la tombe : elle, je ne la lirais jamais — non, l'épitaphe. J'ai lu ce que me disait ma femme, ce matin-là, ce qu'elle me disait pour la première fois : Repose en paix. (...) Et je suis rentré dormir chez moi — dormir de mon premier sommeil véritable depuis le jour où elle m'avait quitté. » (Celui Qui Lisait Les Tombes)

 

          Entre les deux êtres qui bornent un récit de Sturgeon se tisse, détail après détail, la trame de leurs relations. La connaissance de l'autre est un enrichissement de soi car elle permet avant tout de mieux se connaître. L'abondance des détails, la nécessité de comprendre ne fait que souligner la préoccupation constante de Sturgeon : l'intolérance est le fruit de l'ignorance, la solitude et la souffrance viennent de la difficulté à communiquer avec autrui.

 

          L'autre est réellement au centre des thèmes de Sturgeon. Il est dommage que ce splendide auteur soit peu ou prou négligé aujourd'hui. Hormis ses deux romans depuis longtemps best-sellers (Cristal qui songe vient d'être réédité chez Librio), ses nouvelles ne sont presque plus disponibles. Il faut saluer l'initiative du Cabinet noir des Belles Lettres, qui a repris à son catalogue deux recueils, La sorcière du marais et L'Homme qui a perdu la mer, et regretter que les autres, qui contiennent pourtant des textes superbes, ne se trouvent plus sur les étagères des librairies. A quand l'intégrale des nouvelles de Sturgeon ?

 

Notes :

1. L'entretien avec Patrice Duvic souvent cité ici a été publié dans le n°103 de Galaxie « spécial Sturgeon », en décembre 1972

Cet article est référencé sur le site dans les sections suivantes :
Thèmes, catégorie Autre
Biographies, catégorie Bios
retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87347 livres, 112225 photos de couvertures, 83782 quatrièmes.
10853 critiques, 47178 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3916 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD