Site clair (Changer
 
    Fonds documentaire     Connexion adhérent
 

Immortalité

Denis GUIOT

Dictionnaire de la science-fiction, 1998

          Voilà un thème aussi vieux que l'histoire de la littérature. L'immortalité est en effet au coeur de L'épopée de Gilgamesh (environ 3500 av J.-C.), le plus ancien texte épique de l'humanité qui conte comment le roi Gilgamesh partit à la recherche d' Outanapishtim, « le seul mortel au monde qui ait jamais pu échapper à la mort » 1. Mais ce qui est novateur dans la démarche de la science-fiction, c'est qu'elle arrive à nous faire croire que la mort n'est pas toujours la fin du voyage. Elle en est même le début pour Bernard Werber 2, qui envoie ses Thanatonautes (1994) explorer le continent des morts.
          Prenons un roman qui commence par : « Jeff Winston était en train de téléphoner à sa femme quand il mourut  ». Le lecteur est en droit de penser que le-dit Winston ne risque pas d'être un personnage actif de l'histoire (sauf sur le mode du flash-back). Eh bien, non ! Winston se réveille en 1963, âgé de 18 ans, dans sa chambre d'université à Atlanta ; muni de tous ses futurs souvenirs, il est prêt à rejouer sa vie ... mais avec une partition différente ! (Replay de Ken Grimwood, 1986, un excellent roman passé inaperçu car publié hors-collection spécialisée).
          Autre première phrase-choc (dont la science-fiction est coutumière) : « Mon ami Hergal s'était encore tué ; c'était la quarantième fois qu'il s'était écrasé avec son ornithoplane sur le monument de Zeefahr et qu'il avait dû se faire faire un nouveau corps  ». Il faut dire que dans l'étrange univers de Ne mords pas le soleil ! (de Tanith Lee, 1976), on change de corps comme de chemise. Le début du Temps meurtier (1958) de Robert Sheckley n'est pas moins intrigant : « Après coup, Thomas Blaine réfléchit aux circonstances de sa mort et se prit à regretter qu'elles n'aient pas été plus intéressantes  ». Le dénommé Paine découvre qu'il a été réincarné dans un corps d'emprunt, cent cinquante ans plus tard, grâce à la Société de l'Au-delà dont le slogan est : « Notre métier, c'est la vie après la mort  ».
          La palme de l'immortalité revient au gigantesque cycle du Fleuve de l'Eternité (5 tomes de 1971 à 1983) de Philip Jose Farmer 3, dont le premier volume, Le monde du fleuve, débute ainsi : « Sa femme l'avait tenu dans ses bras comme si cela pouvait empêcher la mort d'approcher. Il s'était écrié : ' Mon Dieu, c'est la fin ! '  » Pourtant le mourant revient à lui, nu, sur les rives d'un fleuve immense. Et il n'est pas seul : toute l'humanité est là, ressuscitée à ses côtés ! Quarante milliards d'êtres humains de toutes les époques, de toutes les cultures, ramenés à la vie par les mystérieux Ethiques. Pourquoi ?
          Dans Jack Barron et l'éternité (1969), un roman qui choqua à l'époque pour son langage cru, Norman Spinrad 4 met en scène un journaliste qui anime une émission à scandales où il joue les redresseurs de torts ... jusqu'au jour où il découvre qu'un milliardaire dispose d'un sérum d'immortalité, dont il peut bénéficier pour prix de son silence. Jack Barron vendra-t-il son âme contre la vie éternelle ? En mission sur la planète Hypérion, le père Lénar Hoyt se fait greffer, bien malgré lui, un cruciforme ; ce parasite répugnant lui confère l'immortalité en échange d'une soumission absolue. Le prêtre essaiera de s'en délivrer au prix d'une vraie  mort (Hypérion de Dan Simmons).
          Car l'immortalité n'est pas toujours une sinécure. Francis Sandow, l'immortel Faiseur de Mondes, s'aperçoit que quelqu'un ressuscite ses proches en vue de lui nuire. Le duel final avec son mystérieux et puissant adversaire n'est pas sans rappeler les combats des dieux de l'Olympe, rapportés dans la mythologie grecque (L'île des morts de Roger Zelazny 5, 1969).
          Mais ce sont désormais les nouvelles technologies qui redonnent vigueur à un thème quelque peu passé de mode. Avec le clonage et la possibilité de transférer sa mémoire de clone en clone, l'immortalité semble accessible à tout un chacun. Une question se pose, cependant : bien que les souvenirs réimplantés semblent le laisser croire, est-on toujours, après clonage, le même individu qu'avant ? (Le canal ophite de John Varley). Certains milliardaires réalisent une copie informatique d'eux-mêmes, espérant ainsi vivre, après leur mort physique, éternellement dans une cité virtuelle. Mais qu'est-ce que signifie l'éternité pour un double électronique (La cité des permutants de Greg Egan 6, 1994) ?
          Mors omnia absolvit : la mort finit tout. Pas en science-fiction !

Notes :

1. La quête d'immortalité du roi mythique sumérien a inspiré à Robert Silverberg des mémoires apocryphes intitulées Gilgamesh, roi d'Orouk (1984)
2. L'auteur des Fourmis (1991), un authentique roman de science-fiction, malgré les apparences.
3. Né en 1918 aux Etats-Unis, Farmer fit scandale avec sa première nouvelle parue en 1952 dans la revue Startling Stories : Les amants étrangers. Pour la première fois, un écrivain osait évoquer une relation amoureuse entre une extraterrestre et un Terrien !
4. Né en 1940 dans le Bronx (un quartier pauvre de New York), Norman Spinrad vit depuis plusieurs années à Paris.
5. Fin connaisseur des mythologies de l'humanité, Roger Zelazny (1937-1995) est surtout connu pour son cycle des Princes d'Ambre en dix volumes (1970-1991)
6. Né en 1961 à Perth (Australie), Greg Egan est un auteur de hard science brillant et novateur, mais d'accès difficile car, ne s'intéressant qu'à la pure spéculation de théories scientifiques, il privilégie souvent l'idée au détriment de la forme romanesque. Ses nouvelles (comme celles contenues dans le recueil Axiomatique, 1995) sont, dans l'ensemble, heureusement plus accessibles.


Extrait du Dictionnaire de la science-fiction par Denis Guiot, avec Alain Laurie et Stéphane Nicot
(Le Livre de Poche Jeunesse, Hachette Jeunesse 1998)
© Denis Guiot & Hachette jeunesse, reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur
Cet article est référencé sur le site dans les sections suivantes :
Thèmes, catégorie Immortalité
retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87330 livres, 112283 photos de couvertures, 83765 quatrièmes.
10831 critiques, 47176 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3916 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD