Parmi les centaines de milliards d'étoiles et de planètes de l'Univers connu, sommes-nous les seuls êtres intelligents ? Il est probable que non, répondent aujourd'hui de nombreux savants. Né de cette idée de pluralité des mondes habités, l'extraterrestre hante d'une manière obsessionnelle les couloirs de la science-fiction. Il est l'Autre, l'« Alien » qui cristallise dans son « inquiétante étrangeté » toutes les terreurs, tous les délires et les fantasmes de l'humanité. Mais par-delà le folklore lié aux petits bonhommes verts et assimilés (ainsi les canularesques jeuthlavédis de Douglas Adams, qui sont « de petites créatures bleues munies de plus de cinquante bras chacune, ce qui leur vaut ce trait unique d'être les premiers êtres de toute l'histoire à avoir inventé le déodorant corporel avant la roue » — Le dernier restaurant avant la fin du monde, Présence du Futur, The restaurant at the end of the universel, 1980), c'est le problème de la différence, du racisme, de tous les colonialismes, de la connaissance de l'autre et de soi, bref de la place de l'homme dans l'Univers qui est abordé.
Tous les extraterrestres ne sont pas aussi familiers que ceux décrits par Fredric Brown dans Martiens, go home ! , aussi touchants que l' E.T. de Steven Spielberg, aussi magique que le Petit Prince de Saint-Exupery (Gallimard, 1943). Ainsi, le 30 octobre 1938, interrompant le programme habituel de la chaîne CBS, un flash d'information suivi d'un « reportage en direct » fait souffler un vent de panique sur la côte Est des Etats-Unis : les Martiens (de visqueux octopodes à la peau grisâtre) ont débarqué et envahissent le pays ! Mais il ne s'agissait que d'une adaptation radiophonique signée Orson Welles, remarquable de réalisme, du célèbre roman de H.G. Wells, La guerre des mondes. Repliée sur elle-même, défendant jalousement ses valeurs traditionnelles, toute société a la hantise de l'invasion qui viendrait bouleverser un ordre social patiemment élaboré au fil des décennies.
D'où l'importance historique et thématique de l'extraterrestre qui, repoussant de laideur, a longtemps symbolisé le Mal dans une science-fiction manichéenne aux intolérables accents racistes et xénophobes, et qui sévit encore de nos jours (Terre champ de bataille, 2 tomes aux Presses de la Cité, de Ron Hubbard, le fondateur de l'Eglise de Scientologie — Battlefield Earth, 1982).
Plus subtile est la variante de l'infiltration. Dans l'Iowa, une soucoupe volante atterrit et laisse échapper des milliers de petites larves gélatineuses qui, comme des sangsues, se fixent sur la nuque des gens et, à l'insu de leurs « hôtes », imposent à ceux-ci leur volonté. Ecrit en pleine hystérie maccarthyste, Marionnettes humaines de Robert Heinlein (Présence du Futur — The puppet masters, 1951) reflète bien la paranoïa anti-rouge, le « Ils » sont parmi nous et la hantise des « pouvoirs invisibles » qui sévissaient à cette époque, l'E.T. n'étant qu'une métaphore commode du communiste, cet « Autre » venu d'ailleurs saper les fondements de l'american way of life. Et d'où viennent les Vitons, ces êtres invisibles qui se repaissent de nos émotions, ces parasites de l'espèce humaine responsables de tous les conflits qui ont ensanglanté notre histoire (Guerre aux invisibles d'Erik Frank Russel, Présence du Futur — Sinister barrier, 1939) ? Mais l'infiltration peut se passer de manière moins violente : afin d'étudier nos mœurs étranges, des E.T. curieux envoient un des leurs nous observer, déguisé en un adolescent quelque peu « allumé » qui passe son temps à boire et à lutiner les filles (Le secret de la vie de Rudy Rucker, Présence du Futur — The secret of life, 1985) !
Certains auteurs infligent une cruelle leçon d'humilité aux orgueilleux partisans de l'anthropocentrisme. Les gigantesques Draags de la planète Ygam considèrent les Oms — ces petits êtres originaires d'un monde lointain appelé Terre comme des animaux familiers (La planète sauvage, film d'animation de Topor et Laloux, tiré du roman de Stefan Wul, Oms en série – Présence du Futur, 1957). Après avoir fait une halte sur notre planète, de mystérieux Visiteurs repartent sans nous avoir même remarqués, laissant derrière eux des objets de toutes sortes, un peu comme des pique-niqueurs négligents abandonneraient des détritus sur le bord du chemin (Stalker d'Arcadi et Boris Strougatski, Présence du Futur, 1972, porté à l'écran en 1980 par Andrei Tarkovski). Dans Génocides de Dish, des extraterrestres invisibles exterminent progressivement l'humanité, sans haine ni violence, simplement comme un paysan sulfate ses vignes. La différence entre les degrés d'évolution est-elle si vertigineuse que ces E.T. ne reconnaissent même pas en nous une espèce pensante ?
Inversons le Motif, et à notre tour, allons chez « eux ». Le thème se confond dès lors avec l'histoire tristement banale du colonialisme et de l'impérialisme. Fulgur au poing, la S-F de l'Age d'Or a, pendant des années, cassé de l'extraterrestre, au nom de la « civilisation », bien entendu. Robert Heinlein n'y va pas par quatre chemins dans Etoiles, garde-à-vous, et fait donner l'Infanterie spatiale contre les répugnantes Punaises. Mais tout comme dans le western, le doute et la mauvaise conscience s'installent dès le début des années 1950. Le génocide des Chroniques martiennes renvoie douloureusement à celui de la nation indienne lors de la Conquête de l'Ouest. Le capitalisme qui met en coupe réglée toute une planète et esclavagise ses habitants est démasqué par Ursula Le Guin dans Le nom du monde est forêt. L'inhumaine logique du profit est implacablement dénoncée dans La dame de cuir de Michel Grimaud (Présence du Futur, 1981) : afin de coloniser en toute tranquillité la planète Troay, la Terre décide de ne pas accorder aux indigènes le statut d'être humain et les considère comme des animaux.
Le problème numéro un qui se pose lors de la rencontre avec un E.T. est celui de la communication. Tout d'abord réfréner ce « réflexe imbécile et tellement humain qui consiste à tirer sur tout ce qui bouge et que nous ne sommes pas équipés pour comprendre » (Soucoupes violentes de Gilles Morris, Fleuve Noir Anticipation — 1980). Mais comment entrer en relation avec un océan pensant ? (Solaris de Stanislas Lem). Comment un Terrien peut-il comprendre les habitants de la planète glacée Gethen, ces créatures androgynes qui, selon les circonstances ou les besoins adoptent les caractéristiques de l'un ou l'autre sexe ? (La main gauche de la nuit d'Ursula Le Guin). La linguistique peut être appelée à la rescousse (L'enchâssement de Ian Watson), la musique (que l'on se souvienne du dialogue musical dans le film de Spielberg, Rencontres du 3ème type), l'amour, la candeur enfantine (Chocky de John Wyndham) ou même... l'alcool ! (Regarde, fiston, s'il n'y pas un extraterrestre derrière la bouteille de vin de Philippe Curval, dans le recueil du même nom, Présence du Futur — 1980). Lorsque seront extirpés les cancers du racisme et de l'intolérance, lorsque sera vaincue la peur viscérale de l'Autre, humains et extraterrestres pourront enfin vivre ensemble et s'entraider malgré les difficultés inhérentes à toute communication entre cultures différentes, dans un gigantesque melting-pot cosmique à la Jack Vance, ou dans l'univers de la co-sentience cher à Frank Herbert (L'étoile et le fouet, Presses Pocket — 1969).
Mais point n'est toujours besoin d'aller chercher l'Autre dans les étoiles. Car l'extraterrestre est aussi du domaine du quotidien. « Il » est cet aveugle qui évolue dans un monde d'obscurité et dont la perception de la réalité ne peut-être que fondamentalement différente d'un voyant (Le monde aveugle de Daniel Galouye), « il » est L'Enfant qui cherche à comprendre l'univers qui l'entoure, un peu comme un E.T. débarquant sur notre planète, « il » est aussi l'être aimé, proche et lointain tout à la fois, à l'insaisissable personnalité, et surtout « il » est moi, car « nul n'est plus éloigné de soi que soi-même » (Nietzsche).
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Lecture
— La faune de l'espace de Van Vogt
— L'hôpital des étoiles de James White (Masque — Hospital Station, 1962)
— L'œil de la reine de Philip Mann (Présence du Futur — The eye of the queen, 1982)
— Le péril vient de la mer de John Wyndharn
— Le vagabond de Fritz Leiber
— Le vol de la Libellule de Robert Forward
— Histoires d'extraterestres (1974), Histoires de créatures (1984) présentées par Démètre Ioakimidis, Histoires d'envahisseurs (1983) présentées par Gérard Klein – Livre de Poche.
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