1984. Une année qui sonne comme un millésime. Un nombre qui semble avoir été créé tout spécialement pour nous faire peur. Une date qui appartient, semble-t-il, à notre passé alors que, et le calendrier nous l'affirme, c'est encore un temps à venir. Très proche, évidemment : un mois à peine ! Un tout petit mois qui mettra un terme, en quelque sorte, à nos angoisses : la « prophétie » se réalisera-t-elle ? Saint George Orwell, priez pour nous ! Mille neuf cent quatre-vingt-quatre : un livre, un film TV, un film cinématographique.
Le roman d'abord. Signé George Orwell (pseudonyme d'Eric Blair, 1903-1950) il paraît en 1949 et raconte les mésaventures de Winston Smith, un fonctionnaire du Ministère de la Vérité chargé de modifier les documents d'archives en fonction des évènements présents. Devenu déviant et amoureux tout à la fois, Winston Smith sera bientôt repéré et rééduqué. C'est à travers son itinéraire vers la révolte puis vers la soumission que l'auteur développe une certaine vision d'un monde totalitaire qui semble figé dans une sorte de stase. L'astuce, en effet, consiste à modifier le passé pour être maître d'un présent immuable. « La plus importante raison qu'a le Parti de rajuster le passé est, de loin, la nécessité de sauvegarder son infaillibilité », trouve-t-on sous la plume de l'ennemi juré de Big Brother, Emmanuel Goldstein.
On doit le film TV à Nigel Kneale. Réalisée au début des années cinquante pour la TV britannique, cette adaptation aurait en tous cas soulevé à sa diffusion une vive réaction des téléspectateurs, à cause de la violence des scènes de tortures.
Quant à l'œuvre cinématographique, elle a vu le jour en 1955, toujours en Grande-Bretagne. Son réalisateur, Michael Anderson, qui s'illustrera plus tard et à de nombreuses reprises dans la science-fiction (Les souliers de Saint-Pierre, 1968 — Doc Savage arrive, 1975 — L'âge de cristal, 1976 — Orca, 1977 — Les Chroniques Martiennes, 1979) n'a pas totalement réussi, semble-t-il, à rendre cette atmosphère étouffante dépeinte par Orwell, encore qu'elle ne manque pas de force. Ce qui est certain, c'est que le cinéaste s'est trouvé confronté à de réelles difficultés dès lors qu'il s'est agi tout à la fois de décrire une histoire et de brosser le noir tableau d'un univers aux structures rendues suffisamment complexes pour être crédibles. Ces difficultés sont souvent à l'origine de la faillite des films qui s'attaquent à des sujets analogues. La description d'un système social inédit porte en elle-même les germes de l'ennui. On peut donc comprendre que des ouvrages aussi importants que Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley ou Limbo de Bernard Wolfe, n'aient pas engendré de version filmée. Le totalitarisme dans la science-fiction cinématographique demeure finalement un thème rare, sinon comme décor. Mais, dans ce dernier cas, il servira, comme nous allons le voir, à souligner une thématique à motivation catastrophique. En fait, l'accent sera mis davantage sur les causes du totalitarisme que sur son système de fonctionnement.
1 — LES CAUSES IDEOLOGIQUES
Notre XXe siècle nous a fourni un bel exemple de totalitarisme engendré par un mouvement idéologique : le nazisme !
Dans une certaine mesure, et parce que l'on a parfois tenté d'établir un rapprochement à partir des dernières images qui montrent la réconciliation des deux classes en présence avec l'idéologie nazie, le Métropolis (1926) de Fritz Lang pourrait constituer une première étape dans le parcours que nous allons entreprendre. D'ailleurs, ce film ne constitue-t-il pas l'archétype du film d'anticipation sociale et un modèle de système totalitariste ? Œuvre somptueuse, sans doute à jamais inégalée, Métropolis dépeint dans un premier temps une cité où cohabitent deux classes : les dominants, qui occupent l'étage supérieur et les ouvriers réduits à vivre au niveau du sol et même en dessous. Le système oppressif fonctionne essentiellement dans le cadre du travail : longues litanies de gens en uniforme, tête basse, attendant les ascenseurs qui les déverseront dans les ateliers ; rythme infernal imposé par les machines dans une usine qui pourrait être un lieu de culte au dieu Moloch. Néanmoins, l'apparente immuabilité du système sera perturbée bientôt par la revendication ouvrière, le génie d'un savant fou et la rencontre entre quelqu'un d'en-haut et une jeune institutrice du peuple — amour toujours ! Contrairement à 1984 (le livre), la fin intervient sur une proposition au bonheur. Elle est dans la ligne des pensées d'une époque qui estimait que le paradis s'ouvrait au bout des réformes sociales et des révolutions prolétariennes. L'enfer découlerait donc nécessairement du maintien des systèmes en place. On sait à présent ce que peuvent amener certaines idéologies.
La montée du nazisme a en tous cas inspiré un film, parodique certes, mais qui décrit néanmoins un système autoritaire soumis aux caprices d'un dictateur mégalomane : Hynkel, le maître de la Tomania. On aura compris qu'il s'agit du célèbre Dictateur de Charles Chaplin (The Great Dictator — 1939/40). Mais en dehors de son aspect critique, que met en relief une variation du Dr Jekyll/Mr Hyde (par sosie interposé) auquel se livre son auteur et interprète, cette œuvre ne s'intéresse guère aux rouages du système et en escamote les conséquences. Il est vrai qu'elle date du tout début de la dernière guerre et qu'alors les Etats-Unis étaient loin d'imaginer jusqu'à quel point ils allaient devoir s'y engager.
L'éventualité de la présence hitlérienne en Angleterre a été traitée dans une œuvre de Kevin Brownlow et Andrew Mollo qui date de 1963, En Angleterre Occupée (It Happened Here). ( Sur les chemins de l'Uchronie 1, de nombreux écrivains ont imaginé d'autres destins du IIIe Reich — Le Maître du Haut Château, de Philip K. Dick par exemple — mais le cinéma s'est montré plus prudent dans cette voie). Dans cette optique, le débarquement dans les années 40 des troupes allemandes sur le sol anglais est considéré comme chose faite et le film nous fait vivre le dilemme que se pose l'infirmière Pauline Murray tiraillée entre ce qu'elle croit être son devoir et les atrocités que celui-ci engendre. La crédibilité du sujet repose sur la connaissance que nous avons a posteriori du régime nazi et qui permet de développer un récit de pure fiction sans qu'il soit besoin de décrypter le décor social. Néanmoins, le totalitarisme n'est plus qu'un simple décor et non un sujet de dissertation à la manière d'Orwell par exemple.
Décor hitlérien à nouveau dans le Jonathan (Vampire Sterben Nicht, 1970), de Hans W. Geissendorfer, mais il s'agit avant tout d'un film de vampires, l'un des plus originaux toutefois réalisé ces vingt dernières années 2. Le pays dans lequel se déroule le récit est sous la domination de ces monstres dont le chef ressemble au dictateur allemand (coiffure, intonations). Sans vouloir nous livrer à un pointage des références à l'époque hitlérienne, disons néanmoins que la société des vampires représente, en tout cas, l'aboutissement vers un stade supérieur (élitisme). Mais l'auteur s'intéresse davantage à l'itinéraire que va suivre le jeune Jonathan pour abattre le tyran qu'aux structures sociales, d'ailleurs presque inexistantes. Un tel totalitarisme peut se passer d'un système complexe de noyautage dès lors que les dominants ont acquis un statut de surhomme. Ce qui nous amène à aborder de nouvelles possibilités d'instauration de systèmes totalitaires : les monstruosités.
2 — LES CAUSES MONSTRUEUSES
Le vampirisme-fléau constitue à coup sûr une calamité idéale capable de produire un régime totalitariste. Le sujet à été traité, mais pour conduire à l'anéantissement de la race humaine, par Richard Matheson dans Je suis une légende. Ce roman a suscité de nombreuses versions filmées dont nous ne retiendrons ici que deux séquelles : Le Survivant (Omega Man, 1971) de Boris Sagal et Demain les Mômes (1979) de Jean Pourtalé. Mais l'aspect totalitariste de l'occupation progressive du terrain par les monstrueuses créatures est en définitive occulté par l'extermination dont l'homme est victime. C'est dommage dans la mesure où les films de vampires nous avaient accoutumés à la présence, essentielle, de serviteurs de ces non-morts. Détruire la race humaine, cela ne revient-il pas pour ces créatures, à scier la branche sur laquelle elles se trouvent installées ? L'homme disparu, plus de nourriture !
Par contre, le monstre extraterrestre se révèle plus prudent, sinon plus intelligent, à notre égard dès lors qu'il a décidé d'occuper notre sol. Dans un superbe roman, Guerre aux Invisibles, Eric Franck Russel avait déjà imaginé la race humaine comme un bétail inconsciemment soumis à des êtres supérieurs. L'invasion des Profanateurs de sépulture (Invasion of the Body Snatchers, 1955) de Don Siegel nous propose une autre utilisation de la dépouille humaine. Ce chef-d'œuvre de la science-fiction cinématographique esquisse en tous cas une sorte de société qui semble entièrement sous l'emprise d'une volonté supérieure dépourvue d'âme. Ici, la pression n'est plus seulement physique. Elle écrase les sentiments, les sensations, les émotions. Mais l'on sait que, dans le contexte maccartiste de son époque, ce film visait, à travers cette invasion « par l'intérieur », un système politique particulièrement haï de certains politiciens américains : le socialisme soviétique.
Les Daleks envahissent la Terre (Daleks, Invasion Earth 2150 AD) de Gordon Fleming, 1966) propose quant à lui une Terre soumise à I'oppression de créatures venues de l'espace. Une résistance s'organise, à laquelle se joint le Dr Who, un savant en provenance du passé. Elle découvre que l'intérêt des extraterrestres pour notre globe réside dans son noyau central et que la dictature en place ne vise qu'à utiliser les humains pour le travail de fouille. Une fois l'œuvre accomplie, la Terre pourra être détruite. Dictature-prétexte, totalitarisme-décor, le pouvoir n'est plus brigué pour sa seule ivresse. Aucune doctrine non plus n'en constitue le fondement. Nous nous éloignons de 1984. Et nous nous éloignons aussi de Terre Originelle avec La Planète Sauvage de René Laloux (1973). Ce long dessin animé, inspiré de Stefan Wul, nous propose de pauvres humains considérés comme des animaux sauvages ou familiers soumis aux caprices des Draags. Ce petit chef-d'œuvre, qu'agrémentent d'extraordinaires trouvailles dans la description de la flore et de la faune locales, ne présente cependant pas à proprement parier les caractéristiques d'un système oligarchique. Et s'il y a oppression, celle-ci n'est ressentie qu'au niveau inférieur, celui des humains. Mais les Indiens du continent nord-américain n'étaient pas mieux lotis à la fin du siècle dernier, sur un territoire géré pourtant par un régime démocratique.
Vampires, puis extraterrestres. Continuons notre inventaire des monstres avec les mutants, ces créatures issues de l'évolution naturelle, des expérimentations biologiques ou de la bombe. Les films les plus caractéristiques, La Planète des Singes (Planet of the Apes, 1968) de Franklin J. Schaffner — et ses suites — ou encore La Machine à Explorer le Temps (The Time Machine, 1960) de George Pal ne donnent eux aussi qu'une vision très parcellaire des structures sociales en place et il ne semble pas que les singes aient repris, pour leur part, un modèle totalitaire, au contraire. Seulement, notre espèce, comme dans le film de René Laloux, se trouve réduite au rôle d'animal de trait ou de boucherie. Peut-être ne mérite-t-elle d'ailleurs pas un autre sort ? Quant aux causes réelles de sa dégénérescence, il faut sans doute, les rechercher dans l'action présumé de la radio-activité conséquente à quelque guerre nucléaire. « Les fous ! » s'exclamera Taylor en s'abattant aux pieds de la statue de la liberté. « Ils l'ont fait sauter, leur bombe ».
3 — LES CAUSES NUCLEAIRES
L'hypothèse de l'apocalypse nucléaire constitue finalement un autre excellent prétexte à la renaissance de dictatures, le plus souvent de type militariste. Les survivants se soumettent à la loi du plus fort. La violence devient règle de survie. De Terre Brûlée (No Blade of Grass, 1970) de Cornel Wilde — encore qu'il ne s'agisse pas tout à fait d'une conséquence atomique — à Apocalyse 2024 (A Boy and his Dog, 1975) de L.Q. Jones en passant par Mad Max II (1981, de George Miller), Le Camion de la Mort (Battletruck, 1982 — de Harley Cokliss), Malevil (1980, de Christian de Chalonge) au New-York ne répond plus (The Ultimate Warrior, 1974 — de Robert Clouse), le schéma demeure approximativement le même : formation de clans sous la direction d'un chef autoritaire. Et même quand ce sont des enfants qui échouent sur une île et doivent faire l'apprentissage de la survie, ce n'est point un modèle démocratique qui voit le jour mais bien celui de la tribu soumise à la férule du plus fort : Le Seigneur des Mouches (Lord of the Flies, 1963 de Peter Brook).
4 — LES CAUSES RELIGIEUSES
Dans ce dernier film, l'amorce d'un rituel sacré accompagne cependant la reconnaissance du chef sinon de la légitimité de son autorité. C'est que les forces occultes ont un réel pouvoir sur les esprits. Dans le film de Jack Clayton, Chaque soir à neuf heures (Our Mother's Mouse, 1967), c'étaient elles qui assuraient la loi du silence et cimentaient l'unité de la petite famille d'orphelins. Dans Conan le Barbare (Conan the Barbarian, 1981, de John Milius) ou Dar l'nvincible (The Beastmaster, 1982, de Don Coscarelli) ces mêmes forces donnent naissance à des sectes puis à des systèmes répressifs destinés à placer leurs prêtres hors de l'atteinte du peuple qui alimentera de sa chair ou de celle de ses enfants les dieux auxquels il est censé croire. Le fanatisme religieux peut encore faire recette.
5 — LES CAUSES ANACHRONIQUES
Il convient à présent de marquer une légère pause. A l'exception de Métropolis, les films que nous avons cités proposaient des types de dictature dont les modèles remontent pour la plupart à la lointaine antiquité. Un chef autoritaire et souverain dirige les destinées d'un peuple par la force de ses armées et de sa police. Le commun, taillable et corvéable quoi qu'il lui en coûte, ne représente quant à lui que la valeur de son travail, et encore ! Ces anciens systèmes pourraient-ils avoir encore cours quelque part dans le monde ? C'est ce qui ressort de certains films à la frontière du récit d'aventures et de science-fiction, comme L'Atlantide (de Feyder en 1921, Pabst en 1932, Tallas en 1948, Ulmer en 1961) les multiples versions de She (parmi lesquelles celle de Pichel/Holden en 1935 et de Robert Day — La déesse de feu — en 1964), et des séquelles du genre Atlantis, terre engloutie (Atlantis, the Lost Continent, 1961, de George Pal) ou Ataragon (Kaitei Gunkan, 1963, de lnoshiro Honda). La dernière partie de notre parcours va nous offrir la revanche des systèmes beaucoup plus élaborés et où les motifs totalitaristes ne s'expriment pas seulement à travers la soif de pouvoir d'un individu ou d'une classe.
6 -LES CAUSES RESTRICTI\/ES
Pour en rester avec les apocalypses, il, va de soi qu'une catastrophe nucléaire peut fort bien avoir été sérieusement envisagée par un groupe ou un peuple. Dans cette hypothèse, nul doute qu'un certain nombre d'individus (privilégiés ?) aura pris soin de se mettre à l'abri (villes souterraines, villes sous globe) à l'heure fatale. Dans le contexte de cet enfermement de longue durée, qui posera très vite des problèmes de rationnement et de surpopulation, une discipline de fer devra être mise en place, qui risque d'être perçue au fil des années ou des siècles comme une tyrannie. C'est le sujet que développe THX 1138 de George Lucas (1969) ou L'âge de Cristal (Logan's Run, 1976) de Michael Anderson. Il en va également de même, sans que la guerre y soit pour quelque chose, pour peu qu'une démographie galopante entraîne la famine ou limite le territoire individuel, comme dans Soleil Vert (Soylent Green, 1973) de Richard Fleisher ou Population Zéro (Zero Population Growth, 1971) de Michael Campus. S'il y a répression, elle n'est donc plus le fait d'un individu, d'un parti, d'une idéologie mais bien de nécessités vitales. On mesure ici la fragilité des démocraties de type occidental lorsque des situations de crise interviennent. Que l'énergie, par exemple, fasse défaut, et nos sociétés libérales seront prises dans l'engrenage de la dictature économique.
A moins que quelqu'un n'invente une nouvelle forme d'énergie, puisée par exemple dans les ressources humaines elles-même, comme à l'occasion des rapports sexuels. Il s'ensuivra un encouragement à la liberté des mœurs, semble-t-il. Voire ! Pasquale Festa Campanile en arrive à une conclusion beaucoup moins optimiste dans En l'An 2000, il conviendra de bien faire l'amour (Conviene far bene l'amore, 1975) où l'excès de liberté provoque finalement, après une première phase euphorique, une chute du plaisir et la raréfaction de relations qu'il faudra rendre obligatoires.
7 — LES CAUSES TECHNOLOGIQUES
Le progrès lui-même peut donc provoquer un changement progressif de régime. L'automatisation crée du chômage. Le chômeur doit être indemnisé. Jusqu'à quand ? Depuis les excès du film, Les temps modernes (Modern Times, 1935) de Charles Chaplin, on a trouvé la solution pour réduire le surplus de main d'œuvre qui découle de la robotisation. C'est ce qu'il ressort de L'Effroyable Machine de l'Industriel N.P. (N.P. il Segreto, 1971) de Silvano Agosti où l'on pousse le luxe jusqu'à créer des Maisons du Suicide qui entreront dans le circuit de retraitement des ordures pour la fabrication de la nourriture (et nous sommes renvoyés du même coup au Soleil Vert). Le totalitarisme, l'air de rien, réapparaît donc à nouveau. Mais il devient plus difficile à cerner. Sa forme n'est plus politique. Insidieusement, il se glisse dans les textes de loi, dans les rouages sociaux, culturels, industriels. Totalitarisme ou autoritarisme ? Qu'importe le nom d'ailleurs pour celui qui en est la victime ?
8 — LES CAUSES MORALES
Il reste encore que le progrès technique peut intervenir pour peser plus ou moins directement sur l'homme et dans l'espoir, non avoué certes, de le manipuler. On annoncera par exemple, à grands fracas de publicité, que la délinquance pourra bientôt être vaincue. Excellente chose à priori. Mais le héros de Orange Mécanique (A Clockwork Orange, 1971) de Stanley Kubrick fera la triste expérience de son conditionnement à l'occasion d'un chemin de croix qui reste encore dans toutes les mémoires des cinéphiles musicologues. Ne découvrons-nous pas là un nouveau régime que l'on pourrait qualifier d'autoritarisme camouflé ? Jusqu'où peut donc aller la main mise de l'Etat sur l'individu pour que l'on puisse encore parler de liberté du citoyen ? Dans le film de François Truffaut Fahrenheit 451 (1966), c'était la lecture qui était proscrite ; et il était interdit de récupérer dans les rues les corps des rebelles abattus dans I Cannibali (1969) de Liliana Cavani. Interdits ! Interdits ! Où se situe le seuil qui détermine l'excès fatal au-delà duquel un régime devient totalitariste ? N'y a-t-il pas totalitarisme dès qu'il suffit par exemple qu'un individu soit présumé coupable pour qu'automatiquement la société s'arroge le droit de le condamner, voire de l'exécuter ? C'est en tous cas la question que pose le célèbre film d'Orson Welles, Le Procès (1962). Mais nous pourrions du même coup aborder le problème différemment. Puisque la malédiction qui pèse sur Joseph K. est peut-être plus sa propre conviction d'avoir finalement commis un délit, quel que celui-ci puisse être, que la prévention dont il est l'objet, tout un chacun ne pourrait-il pas être considéré comme un coupable en puissance ? A ce compte qu'est la vérité et qu'est le mensonge ? C'est sur ce dilemme que repose une oeuvre particulièrement originale . le Zardoz de John Boorman (1973).
D'un côté, le Vortex, communauté des éternels créée pour protéger le savoir ; de l'autre, dans les Terres Extérieures , les « brutes » chargées de nourrir le dieu Zardoz et soumises aux « Exterminateurs ». Mais Zardoz n'est qu'une supercherie. Et l'équilibre fragile qui s'est institué va finalement se rompre dès qu'un Exterminateur un peu plus subtil que ses congénères pénétrera dans le monstre de pierre et parviendra ainsi au Vortex lui-même, terriblement fragile dès lors que l'image terrifiante du dieu a été démystifiée (voir bien entendu Le Magicien d'Oz qui sert en l'occurrence de référence).
Est-ce à dire que tout régime répressif recèle une faille qui entraînera sa chute à plus ou moins longue échéance ? C'est ce qu'il est nécessaire et suffisant de démontrer en guise d'exorcisme à l'année qui s'annonce. 1984 ? Un cauchemar de plus de notre pauvre humanité, sans aucun doute, mais seulement un cauchemar.
Notes : 1. Uchronie : Utopie appliquée à l'histoire, histoire refaite logiquement telle qu'elle aurait pu être et qu'elle n'a pas été (Larousse).
2. Profitons de l'occasion qui nous est donnée de parler de ce film pour rétablir une vérité. Certains critiques ont tenté d'expliquer la mort de Jonathan par une série de raisonnements qui prenaient le plus souvent leur source dans la perte de sa pureté à l'occasion d'un coït avec une jeune fille rencontrée sur sa route. La vérité est plus prosaïque. Le film distribué en France a été amputé de quelques scènes qui ont permis de construire une bande-annonce publicitaire. Cette bande-annonce contient la réponse au pourquoi de son assassinat sur la plage. Tout simplement, durant son incarcération dans les caves du château avec de nombreux autres prisonniers, Jonathan reçoit la visite du Maître qui, en lui appliquant le baiser fatal, — scène qui a donc disparu du film proprement dit — fait de lui un vampire. Dès lors, son destin est scellé. Au contraire du Bal des Vampires de Roman Polanski, nul vampire n'échappera au massacre.
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