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Pierre Pelot : Un maître reconnu de la Science-Fiction et du Fantastique français

Raymond PERRIN

La Liberté de l'Est. Rubrique Livres en liberté n°3003 (Version augmentée), février 1995

          S'il est un domaine où la notoriété du romancier est incontestable, comme l'attestent les nombreux articles et notices des guides, encyclopédies et ouvrages spécialisés, c'est bien celui de la science-fiction et du fantastique où il s'illustre depuis plus de vingt ans à travers quelque 70 romans. Il méritait bien d'être choisi pour faire partie du jury du festival « Fantastica » à Gérardmer début février 1995, en attendant que « Les Cahiers vosgiens » et la revue « Phénix » lui accordent un numéro. Son dernier roman fantastique : « Une autre saison comme le printemps » vient juste de sortir chez Denoël et conte d'étranges histoires de revenants au XXe siècle.


QUAND LES HORIZONS FAMILIERS DEVIENNENT FANTASTIQUES

          En gardant le plus souvent le cadre vosgien, et surtout de 1972 à 1976, les histoires de Pelot ont plongé leurs racines dans le fantastique. Presque tous ces nouveaux récits, (sauf la nouvelle « La Dame » et le roman éclaté de « Blues pour Julie ») sont publiés au Fleuve Noir, sous le pseudonyme de Pierre Suragne, imposé par l'éditeur et inspiré par l'une des vallées de Saint-Maurice, celle de l'Agne.
          Avec ces quelques romans angoissants, Pelot s'amuse à faire peur et il utilise le procédé efficace et redoutable pour le lecteur, complice de l'histoire, du monde qui bascule dans la violence et l'horreur. Il utilise encore les thèmes classiques traditionnels : intrusion de forces démoniaques, survivance, télescopages temporels, explosion de forces occultes, vampires, goules et maison assassine.
          Les personnages principaux sont familiers aux lecteurs habituels du raconteur puisque ce sont des « étrangers », des individus « paumés », mais ici livrés au Diable ou à eux-mêmes, par accident, par abandon ou par hasard, victimes d'un milieu qui les rejette ou les oublie, ou encore, d'une fatalité implacable. Parfois se rencontrent les errants de deux époques fort éloignées et dont la projection, dans le présent, provoque le drame.
          Par exemple, Alice, jeune auto-stoppeuse venue de Belgique, échoue dans les Hautes Vosges, un jour d'été, alors qu'éclate La Peau de l'orage. Accueillie par des paysans qui font les foins, elle sympathise avec Luc, un routard.
          Seul, l'adolescent Porte-Close, un muet demeuré, pressent de graves événements dont il voudrait « protéger » Alice. Mais la jeune femme et Luc pourraient vivre des amours merveilleuses s'ils n'étaient pas victimes d'une malédiction née de la sorcellerie alliée au blasphème sacrilège. Celle qui a frappé en ces lieux l'abbé Maljean au XVIIIème siècle, un clerc damné pour l'amour d'une belle vannière gitane. Devenu criminel, fou, avant de se pendre et d'être maudit, il surgit du passé, sur les ruines de l'ancienne ville du Braqueux car cet homme ne retrouve la paix des morts qu'en s'accouplant à une vivante volée à son partenaire.
          Dans une action qui se passe aux U.S.A., c'est aussi lorsqu'un couple fait l'amour qu'intervient Rachel, la fille de Lilith. « Tuée » dans un accident de voiture, elle continue une vie de cauchemar, traversant les murs, ne touchant que des gens froids comme du marbre. Seulement sensible au monde des odeurs, elle n'éprouve ni faim, ni soif et peut déplacer les objets par la pensée. Guidée par la mystérieuse Sei, une femme qui la rassure mais aussi lui confie « un travail », elle est encore capable, pour « se sauver », d'arracher le masque des morts et de renaître. C'est ce que conte Je suis la brume.
          Toujours en Amérique, un accident est encore à l'origine d'un drame bien mystérieux lorsqu'il perturbe une séance d'hypnose et provoque une horrible métamorphose. Lorsque Carling Joé, sous un vent du diable et une pluie diluvienne, roule dans sa camionnette surchargée, il ne se doute pas qu'il va déclencher, en évitant un garçon fou sur son vélo, une telle catastrophe. S'il s'en sort avec quelques fractures de côtes et des blessures bénignes, lui et le professeur Timody, locataire de la maison fracassée par son véhicule, en revanche, il n'en est pas de même pour le neveu de Timody, retrouvé mort. Quant à Mabel, une jeune fille en visite chez le professeur, elle a disparu. Ainsi, à cause de cette circonstance perturbant une séance d'hypnose, Elle était une fois un être au physique féminin et, en même temps, un monstre du Moyen Age, Gilles de Laval plus connu sous le terrible nom de Gilles de Rais. Il a pris possession du corps de la jeune fille lors de la collision et continue ses forfaits diaboliques en plein XXème siècle. Le shérif est bien incapable de démêler l'écheveau d'une telle histoire et la double intrusion de Jeanne d'Arc et du sorcier italien Prélati ne va guère faire avancer l'enquête ! Ce roman haletant, au rythme époustouflant, mêle habilement hypnose et métempsycose, collisions temporelles et phénomènes parapsychologiques.

          Des enfants peuvent aussi être le jouet de forces maléfiques. Parce que sa mère, accompagné de l' « ami » qu'il déteste, l'abandonne, en juillet, dans une colonie de vacances vosgienne, Luc, ou plutôt Duz, âgé de huit ans, se sent mal aimé. Ce sentiment se renforce au contact de Coupe-Choux, le garçon roux qui, après l'avoir introduit dans sa bande, lui confie qu'on ne quitte jamais cet établissement. L'enfant est d'autant plus désespéré qu'il côtoie les vieux et les dingues de l'asile aux secrets effrayants. Après les larmes viennent des sentiments plus forts et plus amers surtout quand Duz fait la connaissance d'un vieux jeteur de sorts . Après l'échec des prières contre le « type », l'enfant sombre dans « le vice le plus noir ». Il se fait le complice de la mort d'un garçon lors du « crime parfait » perpétré par Coupe-Choux. Dans le cachot où on l'enferme, il est entraîné dans le monde « des lémures, des larves, des goules et des vampires » Peu à peu, sous le sentiment d'abandon, il va mettre en action ses étranges pouvoirs et devenir le messager de forces diaboliques, criminelles et vengeresses. Parce qu'il n'a pas reçu sa part de tendresse, parce que les adultes n'ont pas su ressentir ses appels de détresse, un enfant sombre dans le mal, sans espoir de rémission.
          Tout aussi pitoyable apparaît Rufus, le fils de Marine, l'étrange femme née des Brouillards qui entourent les étangs de la Haute-Saône. Enceinte du curé du village qui l'a violée, elle part et arrive au bord d'un étang où elle s'endort. Prévenu de sa présence par un paysan, Camille Calien la porte jusqu'à sa maison où elle demeure malgré sa mère qui voit en elle un être démoniaque. Elle accouche d'un garçon, mis au monde par la vieille femme qui meurt juste après avoir informé tout le village que cette femme est une possédée qui crache sur les crucifix. Trois années s'écoulent et l'enfant Rufus grandit. Marine ne peut éviter la noyade du paysan qui l'avait trouvée, une mort dont on l'accuse. Calien, jaloux, la prend de force... Lorsqu'il est âgé de dix ans, Rufus doit défendre sa mère, menacée par Calien. Il en résulte un drame dont le traumatisme sera si fort qu'il crée chez l'enfant, devenu adulte, un dédoublement de la personnalité . Plongé par crises dans le passé de son père, il finit par se prendre pour lui, surtout dans la maison paternelle qu'il a rachetée... Le lecteur ne peut percer qu'à la fin le mystère de cet étrange récit dont les éléments fantastiques naissent à travers l'esprit superstitieux des témoins villageois du drame. Jouant sur le dédoublement incessant des personnalités Rufus/Callien, ce roman fausse perpétuellement les pistes, obligeant le lecteur à reconstruire le puzzle d'une histoire à la chronologie bousculée.

          C'est encore en Haute Saône, dans un petit village isolé, qu'est né Baesot, Le Septième vivant, ce simple d'esprit pourtant recherché par un certain Joris André, venu de loin jusqu'au petit hameau de Chateau-Lamey. Ce curieux enfant est l'objet de visions étranges : un ectoplasme lui parle de torture. Il voit, près de son père et de son frère, une maison en flammes. Pour l'attirer, Joris André lui fait croire son frère, ayant fait fortune au Canada, voudrait le faire venir chez lui. Baesot accepte naïvement de partir. L'innocent ne restera pas émerveillé longtemps par le voyage en train car il est manipulé, utilisé pour un mauvais sort caché dans les galeries souterraines d'un domaine lointain. C'est là que gît le tombeau d'un mystérieux « homme à la cape » ! Mais les forces occultes d'un « retardé mental » ne sont pas toujours contrôlables !&9;
          Les sentiments peuvent être plus partagés sur le sort des occupants de cette ferme vosgienne maudite apparue dans Suicide. C'est bien imprudemment que Paul s'installe, malgré les réticences de sa femme Delphine, dans la ferme de son ami Bert décédé. Cette « baraque », dont la réputation est mauvaise dans le pays, agit rapidement sur les personnes : Delphine est en proie à une violence inhabituelle. La maison perd ses issues, les larmes suintent des murs, portes et fenêtres restent fermées juste avant que se dissolvent les pierres qui meurent. Alors se referme définitivement l'univers clos, familier aux lecteurs de récits de science-fiction. Pelot a souvent considéré ces premiers romans fantastiques comme des « exercices de travail » (et non de style) . Ce sont ces « travaux » qui vont lui permettre peu à peu d'aborder une forme plus contemporaine du genre, par exemple dans deux récits, considérés comme des ouvrages de S-F. Il s'agit de Blues pour Julie et du roman Le Sommeil du Chien. Les deux ont en commun quelques allusions autobiographiques, noyées dans une construction éclatée qui mêle faits réalistes et éléments fantastiques. Curieusement, c'est peut-être là que font le mieux irruption des thèmes fantastiques plus contemporains.
          Dans Blues pour Julie, un écrivain reçoit la visite d'une sorte de double plus jeune que lui, Joël Dague, qui le pousse à écrire l'histoire de Julie Ablet, une jeune fille amie d'enfance... à moins que le romancier ne l'ait inventée ! Née en 1940, la fillette connaît la guerre, le refuge dans une cave. Une bombe explose et tue ses parents. Il y a, pour Julie enfant, une autre expérience traumatisante : celle provoquée par un soldat américain qui l'initie bien précocement. Beaucoup plus tard, Julie fait un mariage malheureux avec Norbert Durteau, un homme imbu de sa personne et de son titre de directeur commercial.
          Une curieuse jument apparaît soudain : double de Julie ou double de la mort ? Elle est tuée sur la place du village le jour même où la jeune femme se tire une balle dans la tête. Mosaïque fragile, puzzle incertain dont les éléments se perdent, se confondent, et parfois se raccordent, ce roman construit par flashes et fragments est aussi un moyen pour l'écrivain, au-delà des allusions autobiographiques discrètes, de dénoncer la tricherie de l'écriture qui ne permet qu'à lui seul de tirer son épingle du jeu, alors que les autres n'échappent ni à la folie, ni à la mort.
          Le Sommeil du chien évoque aussi un personnage de raconteur d'histoires : Ron Dublin qui vit, bien protégé du Dehors, dans le cratère, avec sa femme Niellys, son fils Pigam, le chien Boo Goom et cinq chats.
          Mais il se sent traqué et attend en vain des nouvelles de ses livres, bouteilles à la mer sans réponses. Peu à peu, il bascule, ne distingue plus les fantasmes de l'autre réalité et tombe malade tandis qu'il se demande si Niellys n'est pas un simulacre ennemi, envoyé par les gens du Dehors. Il entre en communication, par télépathie, avec le chien Boo Goom mais, un jour, le chien est attaqué par un renard enragé et Ron est contraint de tuer l'animal contaminé. Désormais, il pleure, « les fers aux pieds ».
          Dans un roman peu connu, qui appartient aussi au fantastique par sa description hallucinante d'un tremblement de terre dans les Hautes Vosges, intitulé Natural Killer, et fort mal édité en 1985, Pelot avoue que c'est un événement bien personnel qui est à l'origine du récit. Il a dû tuer réellement son chien mordu par « un renard enragé » et, écrit-il, « parce que je croyais pouvoir ainsi cicatriser cette plaie de douleur ridicule et futile, j'ai écrit une livre, une histoire de chien assassiné. (...) Deux mois de travail (...) pour disséquer une douleur-bobo que n'importe qui de sensé aurait su guérir et oublier sous le cataplasme quotidien. »
          Le dernier des romans fantastiques de Pelot date de 1988. Une jeune fille au sourire fragile attend la Parisienne Catherine Tolviac sur le quai de la gare de Ramont, dans les Hautes Vosges pour la conduire à la maison louée en ce mois de novembre. La locataire devrait pouvoir y trouver la quiétude nécessaire à la mise au point d'un scénario de film. Or, lorsqu'elle rentre dans la capitale, en décembre, Kate ne rencontre que l'effroi sur les visages de ceux qui la connaissent. Elle est morte et aucune preuve ne semble manquer pour confirmer son assassinat...
          Le fantastique peut se nicher aussi dans des récits où on ne l'attend pas, par exemple au cœur de plusieurs romans noirs. Dans La Nuit sur Terre, Josiane Halmer, épouse infortunée et enceinte d'un mari volage, vient dans leur maison de campagne, au fond d'un écart.
          Elle ne se doute nullement du sort qui l'attend. Pourtant, elle prend conscience que, dans ce coin perdu des Vosges, le voisin, Clément Clamessey n'est pas l'éleveur de lapins inoffensif que l'on croit. Ce « corbeau », qui se prend pour Caïn, va faire connaître à Jos et à son mari, (appelé au téléphone), des enfers insoupçonnés. Subitement, c'est dans l'horreur la plus fantastique et la plus nue qu'il les plonge. Car il existe un monde souterrain inattendu, dans les entrailles de la scierie ! Là s'entassent toutes les créatures épouvantables et difformes, tous les spécimens de malformations génétiques , toutes les difformités les plus horribles . De ce séjour au pays de l'indescriptible et de l'insoutenable, ni les personnages, ni les lecteurs ne sauraient sortir indemnes. Ce roman fait éclater le cadre du « thriller » pour atteindre un fantastique né, comme chez Stephen King, de la réalité la plus banale pour imploser finalement au cœur d'un enfer souterrain qui défie l'imagination.
          Qui s'est aventuré, dans La Forêt muette, au fond de cette coupe du « Cul de la mort » ? N'y avait-il que le bûcheron Charlie ? Ou bien Charlie et Diên étaient-ils ensemble, près de la fourgonnette, lorsque survient cette fille blonde qui ressemble trop à la « dame de la mort », à cette figure de légende qui tourne l'esprit des bûcherons esseulés, trop assourdis par le bruit de leurs tronçonneuses. Toujours est-il que l'on a retrouvé Charlie, bien mal en point, et que le docteur a remarqué, dans son poing fermé, « une petite boucle de chaussure de femme » ! Au lecteur de démêler l'écheveau adroitement agencé d'un récit « à la limite du fantastique ».


DE « LA SEPTIEME SAISON » A « LA NUIT DU SAGITTAIRE » : SOIXANTE PARABOLES OU DE SIMPLES RECITS DE SCIENCE-FICTION ?


          « La science-fiction, c'est pour moi le domaine des paraboles, de la spéculation ; c'est un moyen d'écrire sur le temps présent, un moyen d'exagérer. La science-fiction, c'est une parabole caricaturale. »
Pierre Pelot, « La Liberté de l'Est », juillet 1977.

          L'entrée de Pelot, en 1972, dans le domaine de la science-fiction, se produit au terme de sept années de publications. Il a déjà trente romans derrière lui, et les premiers récits du genre paraissent d'abord soit dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, soit dans des collections juvéniles. En 1977, autre année capitale dans son itinéraire de romancier, les collections « J'ai lu » , « Présence du Futur », et « Presses Pocket », lui ouvrent leurs catalogues pour une vingtaine de volumes, au total.
          En publiant le plus souvent directement des textes inédits dans des collections bon marché, le romancier affirme sa volonté de toucher un public populaire, (même s'il ne vise jamais aucun lectorat particulier).
          Il choisit ce mode de récit , « inclassable, libertaire par essence, indéfinissable », « en raison même des libertés de création qu'il offre ». « C'est l'imagination et la création exacerbée par excellence... » déclare-t-il. Historiquement, Pelot écrit après les événements de Mai 68 dont les répercussions et les ondes de choc se feront encore sentir dix ans plus tard. Il en résulte une science-fiction dont les dominantes sont souvent politiques, « spéculatives » parfois, toujours sociales mais aussi écologiques. De Suragne au Fleuve Noir à Pelot, chez d'autres éditeurs, peu de différence, sauf parfois une radicalisation de la dénonciation des diverses aliénations. Inversement, les cycles, sauf certains volumes des « Hommes sans futur », les séries et la parodie distanciée de « Konnar » peuvent amenuiser ou masquer l'aspect politique.
          « Le jeune loup », le « brillant poulain », met en récits des sujets politiques en prise directe avec les préoccupations de la génération des années 70-80. On peut relever, entre autres, la dénonciation des hégémonies colonialistes, l'exploitation des plus pauvres, aliénés par un pouvoir ivre de puissance, la dégradation urbaine, génératrice de violence, et la mort programmée de la nature et de la Terre, les expérimentations destructrices ou guerrières et les projets militaires insensés, la domination médiatique et la robotisation des masses. L'énoncé de ces thèmes montre que Pelot appartient à la science-fiction moderne débarrassée de sa quincaillerie de petits hommes verts, de vaisseaux clinquants et de robots plus ou moins poussiéreux ! En introduisant ces prismes déformants jusqu'à la caricature de l'époque contemporaine, il peut en résulter dans le récit des explosions de violence, reflet d'une violence contemporaine sournoise. Mais l'auteur ne croit guère que cette littérature puisse « enclencher une mutation dans notre société ».
          Et Pelot, reste d'abord un « raconteur » conscient de la primauté de l'histoire, même s'il élabore ses récits « autour d'une ossature politique très marquée qui concerne la lutte contre les déviants, dissidents et marginaux ».
          Une soixantaine de romans, c'est un corpus suffisant pour avoir le recul nécessaire afin de discerner des sujets de prédilection, des regroupements facilitant l'approche d'une oeuvre dont il ne faudrait pas pour autant supposer une cohérence prédéterminée et consciente.


UNE AUTRE PLANETE OU LES RACINES RETROUVEES


          Trois romans utilisent le voyage d'une planète souillée ou dominatrice ou parvenue à un très haut degré de technicité vers la vision panthéiste d'un monde où la nature, alliée des plus faibles ou de ceux qui lui sont demeurés fidèles, intervient.
          Dans La Septième saison, la nature complice retourne à l'état primitif et s'unit au peuple spolié pour la décolonisation en marche. Le soulèvement pacifique des Larkiossiens et de la Terre qui « tremble comme une bête vivante » contre l'envahisseur tempère l'impression amère laissée par la violence terrienne. &9;
          C'est encore cette force, par l'action de ses « lianes-algues », qui intervient sous Le Ciel bleu d'Irockee, pour aider les Shisals exilés sur une planète. Les hautes autorités ne savent pas, en accordant la planète Irockee aux survivants du peuple shisal, qu'ils retrouvent la terre ancestrale qui va les aider à recouvrer leur dignité.
          De Terra, des savants et des techniciens partent en 6032, pour une mission intergalactique ethnologique. Une panne au-dessus de la Planète Bleue conduit à la rencontre d'êtres primitifs mais fraternels et ouverts. Grâce à eux, ils peuvent repartir sans le bio-technicien Bel qui a compris le sens profond des mythes enfouis dans Les Légendes de Terre et décide donc de rester dans le monde fruste mais chaleureux de la planète bleue.
          Ces trois récits ont en commun l'évocation proche ou lointaine de tribus indiennes, de leurs coutumes, de leurs légendes et surtout de leur mode de vie communautaire antiautoritaire.


D'UN MONDE A L'AUTRE, SUR UNE MEME TERRE CONTRASTEE

          Surtout dans les premiers récits, les personnages affrontent fréquemment des univers antithétiques et se meuvent d'un univers concentrationnaire, clos, métallique, hautement technologique, vers un univers plus fruste mais plus humain et plus tendre, où les plus chanceux peuvent recouvrer la vie mais pas souvent leur personnalité désaliénée. C'est aussi un monde presque « naturel » que retrouve le policier Denn après s'être échappé de l« enfer métallique, vertical et sombre de Mecanic Jungle. Ce »nettoyeur« chargé de liquider les exclus prend conscience de l'horreur de sa tâche et fuit. De chasseur, il est devenu gibier dans la jungle verticale d'une ville d'acier. Au terme d'une descente périlleuse, il est accueilli par un peuple lui accordant la joie de procréer, de voir le ciel et la mer . C'est à un tel enthousiasme visuel que parvient Horan, L'Enfant qui marchait sur le Ciel, né dans le monde souterrain de Zod où il doit mourir comme tous les « inadaptés ».
          Il fuit et grimpe vers un monde où il découvre le monde végétal merveilleux de la forêt inter-tropicale. Les merveilleuses révélations de la succession du jour et de la nuit ou des naissances naturelles ne le sauveront pas d'une campagne de « désindianisation » !
          En 2237, le monde froid de New Atlanta est l'antithèse parfaite de l'univers blanc et silencieux appelé Le Pays des rivières sans nom, où chantent encore quelques oiseaux. C'est eux que l'on fait mine de chasser en traquant les marginaux, pour les intégrer à la civilisation technique actuelle. Mais Manoudh, le farouche chasseur solitaire se défend. Après qu'il sauve des glaces, une fillette fragile et néanmoins révoltée, un étrange dialogue se noue, au-delà des barrières des âges, des langues et des civilisations... Parmi les univers contrastés, il faut signaler aussi, dans Parabellum Tango, Le Domaine de l'OEil, ville des privilégiés toute différente de la « Hors Vue », la zone de la misère et de l'anarchie et de la révolte, deux univers en fait truqués et surveillés. Woodyn Noman veut un animal de compagnie mais c'est un mouchard au service de l'OEil. Quand il apprend que tout est mensonge, il accepte néanmoins que ces secrets soient à jamais effacés de sa mémoire. Seul, le chanteur contestataire Girek continue le combat anarchiste mais désespéré. Javeline-la-Maudite s'échappe des horizons fermés de Canyon Street, davantage en quête de vérité que pour aller voir si le paradis promis derrière ces murs aveugles existe bien. Rescapée d'un monde « confortable » mais anesthésiant et factice, elle a encore la force de se révolter et de braver l'interdit.


L'HOMME EST-IL UN LOUP POUR L'HOMME ?

          Après le dialogue cru possible entre générations, entre civilisations, même séparées par des millénaires, apparaît une lutte plus âpre, celle qui s'apparente à une sorte d'instinct de survie, dans un monde où il faut lutter et ruser pour subsister. Dans Ballade pour presque un homme, la planète Vataïr, fière de son savoir contraste avec celle d'Hom où vivent les « presque humains », les sierks que les Vatayéens chassent. Or, c'est un guide méprisé, un Lohert, qui va révéler que les pourchassés ne sont pas des animaux. Ce sont les ancêtres des Vatayéens qui se sont comportés à leur égard en cannibales et sont donc coupables d'ethnocide. &9;
          Mal Iergo, le dernier de sa race massacrée, devient le mercenaire du Targanéen, Fayol Rhaa, un humanoïde au corps d'insecte. Malgré sa ruse pour lutter contre le chien bleu Dorg sur lequel le maître de l'expédition a greffé son esprit, il perd son corps dans l'entaille du temps et de l'espace où se termine sa course pathétique. Seul survit son seul esprit.
          L'initiation au mystère, — recherché ou donné, ou découvert par hasard — , la prise de conscience de la vie authentique, la quête de l'identité se paient parfois du prix le plus fort. Après une longue expédition, Mal Ken, le commandant du vaisseau spatial Murwik 3, veut percer le secret de La Cité au bout de l'espace, la planète bleue. On le retrouve au terme d'une quête riche en rebondissements, aux trois quarts enseveli par des blocs de pierre. Mourant, il raconte à son compagnon Ken l'ethnocide et la colonisation incessante perpétrés sur la population de cette planète ... qui se révèle être la Terre !&9;&9;
          Dans Et puis les loups viendront, Ars, le guerrier est sorti de la grotte de la faim et du froid, sur cette Terre du XXIème siècle, frappée d'un nouvel âge glaciaire. Il veut descendre vers le sud mais le Gouvernement de New World vient de déclencher l'opération « Cleaning » qui lui sera fatale car ses tares congénitales en font un irrécupérable.


CAUCHEMARS GUERRIERS OU LES APPRENTIS DE L'APOCALYPSE

          Les armes inquiétantes de l'avenir préparent la mort de la Terre. Après l'apocalypse redoutée et effective, les jeux guerriers les plus sadiques n'ont pas disparu. L'armée confectionne des cauchemars parfaits, des expérimentations de jeux guerriers en grandeur réelle où la technologie a atteint des sommets, à l'heure des implants-bombes individuels et portatifs. Il arrive que deux mondes confrontés soient deux enfers où l'homme demeure aliéné, prisonnier de ses chaînes morales et physiques. Ainsi, Ax Varan reste-t-il captif de La Nef des dieux. Lui et sa compagne Lona ne connaîtront ni la liberté ni la survie. Le gigantesque vaisseau-fantôme sera leur tombeau, parmi les réserves de gaz et d'oxygène contenant le gaz agressif de la folie furieuse et de la débilité mentale.
          Les victimes sélectionnées pour subir le « cauchemar 065 », déclenché Vendredi, par exemple ne peuvent survivre à leur terreur. Seul le gouverneur Saint-Genet supporte les images apocalyptiques qui l'assaillent car il est le seul cobaye volontaire. C'est aussi parce qu'il a été informé par les militaires manipulateurs, satisfaits de l'efficacité de leur nouvelle arme. Les pauvres paysans catalans d'Espagne sont devenus les pions d'un gigantesque jeu électronique organisé par l'armée et appelé Virgules téléguidées. On fait croire à un débarquement d'êtres venus de l'espace. En fait, il s'agit pour les militaires d'expérimenter une drogue, en grandeur nature, dans le camp du Larzac.

          Le 15 janvier 2030, qui a mis La Rage dans le troupeau ? La « picrotoxine », substance capable d'accroître l'agressivité et de fabriquer des robots humains insensibles à la douleur, a été volée. Peu importe les coupables puisque la décision finale des Leaders du Siècle d'utiliser une autre arme, nucléaire cette fois, risque de multiplier considérablement le nombre des victimes de cette manipulation politique insensée. Cette course-poursuite autour de la mallette de picrotoxine ne doit pas cacher la dénonciation du leurre politique et des manœuvres d'intoxication électorale.
          Manipulations, illusions plus retorses encore pour les victimes de La Guerre Olympique. Lors du conflit de l'an 2222, le camp blanc de la confédération libérale affronte toujours le camp rouge de la fédération socialo-communiste. Il y aura un minimum de neuf millions de victimes, choisies, répertoriées à l'issue de combats singuliers, télévisés et diffusés dans le monde entier permettant de décider dans quel camp vont exploser les implants-bombes des condamnés. Les politiciens et les industriels des médias et du sport s'accommodent de ce curieux moyen de régulation démographique !


L'ANTI-UTOPIE

          Après le cataclysme destructeur, les Terriens n'ont pas pour autant avoir acquis la sagesse. Des pouvoirs parfaitement organisés, avec l'appui des instances religieuses et idéologiques ont recréé les hiérarchies sociales, avec en prime un « paradis » adapté à chaque couche. La programmation à l'échelle planétaire ne laisse rien au hasard.
          Ce contrôle d'une Terre surpeuplée est présent dans Foetus Party en 1977. Le Saint Office Dirigeant parvient à enrayer la surpopulation. Déjà, il recycle les ordures et récupère les cadavres pour nourrir une population nombreuse. On interroge le fœtus dans le ventre de la mère pour qu'il manifeste son désir de vivre. Or, les dés sont pipés car les 15 milliards d'individus qui peuplent la terre risquent la mort par asphyxie.
          Quel téléguidage diabolique accable les exilés, prisonniers dans Les Iles du vacarme ? Dans une société fortement hiérarchisée, tout le monde en fait est piégé. Dylan Dancer Moab et les Hors-Sectes ont beau fuir vers les Terres Maudites. Ces « hérétiques » aussi manipulés dans leur révolte que dans leur exode, sont reclus dans l'île de Jappen. La Secte des Botanistes domine les climats dont elle fait une arme et surveille chaque être, par l'intermédiaire d'un implant. Ceux qui sont enfermés derrière Les Barreaux de l'Eden ne sont pas mieux lotis.
          Dans cette société pyramidale, subdivisée en trois classes hiérarchiques, le coordinateur Costerman semble surveiller tout ce petit monde et sait l'inexistence réelle des classes, des contacts avec l'au-delà et de la drogue sensée permettre la « communication » avec l'Eden. De quoi réfléchir sur les croyances, le pouvoir, les loisirs et surtout sur ce jeu de marionnettes auquel se livrent les hommes à l'échelle du monde.


L'ILLUSION MESSIANIQUE : FAUX PROPHETES ET COMPAGNIE

          Dans La Septième saison, est-ce l'écho des légendes indiennes Hopi qui suggère une atmosphère de spiritualité ? Agaran, acharné à suivre L'Enfant qui marchait sur le ciel parle du créateur Agar et attend le Jour de Lumière. Arian Dhaye refusant d'être pris pour un dieu sur Une Autre Terre cherche le pays des hommes-dieux d'antan. En contrepoint, La Nef des dieux n'est qu'une sinistre nécropole, pour accoucher des « Seigneurs de la guerre ». Et puis les loups viendront et Ars, Aliane, abandonnés, seront le symbole du plus noir désespoir, sans la moindre lueur de salut. Le prêtre Price doute de sa foi alors que Le Dieu truqué est une dérision, une caricature de dieu. Jahell et Syll, avant replonger dans Une si profonde nuit, attendent en vain le sauveur Zar Ishtar. Voilà des raisons de s'interroger sur l'importance de la civilisation judéo-chrétienne ou sur la position du romancier face aux idées religieuses.


DES ROMANS-GIGOGNES OU LE RECIT COURT-CIRCUITE

          L'approche du problème est parfois masquée dans des romans-gigognes où l'histoire court-circuitée résulte d'une création en chaîne, sur une sorte de bande de Moebius dont on ne sait quelle face lire. Jahel et Syll, deux enfants ont la chance de voir et de grandir ensemble dans leur clan d'anthropophages aveugles.
          A quinze ans, pleins d'espoir, ils suivent, Gulom, le Menteur, vers la Ville où le dieu attendu n'apparaît pas. Le maître du jeu est-il le voyageur interstellaire Zar dont l'amie Maurie est en hibernation ? Ou le Cyborg Jéry qui cache à Maurie la mort de son maître Zar, errant depuis 14000 ans ? .... Jahell et que Syll retournent à la cécité, retrouvant Une si profonde nuit... Dans ce jeu de dupes, personne n'est épargné et l'espoir de salut a fait long feu.
          Mais si les papillons trichent, où se cache la vérité ? En l'an 2534 , le prêtre Price Mallworth exerce son métier de Parleur sans conviction. Névrosé, il connaît des résurgences dans un autre monde et à d'autres époques de sa vie.
          En fait, sa femme Natacha et lui sont les inventions de deux créateurs dont l'un triche, puisqu'il intervient dans la fiction de son partenaire. Ces personnages, livrés aux conseillers-psychos ou codés par des fiches génétiques, vagabondent entre deux univers aux réalités énigmatiques. C'est un récit dickien de mondes piégés, dont la « religiosité » laisse perplexe.
          Fou dans la tête de Nazi Jones est aussi singulier. Le curieux Nazi Jones, élève des sangsues pour la société Monitra. Le jour de la livraison, la superbe Belladone attaque le camion et contraint Nazi Jones à monter dans le véhicule qu'elle conduit, pour une course-poursuite vertigineuse vers le siège de la société. Elle veut retrouver son amour d'antan, Richard-Louis Montès, chercheur scientifique et bricoleur meurtrier de l'ADN. Devenu Richard Lee Doc, il expie son crime en « dravant » ses victimes sur une fleuve vers la mer. Au terme de leur équipée, les voyageurs découvrent les sangsues sur un corps survivant à un suicide raté. Nazi Jones est la douleur et Belladone le plaisir d'un troisième personnage qui dirige leur création, donc leurs moindres pensées, faits ou gestes.


PROPHETES ET INCARNATIONS DERISOIRES

          Y aurait-il plus ridicule incarnation divine que celle du médiocre Dupondt, Le Dieu truqué, téléporté sur la planète des Moor'woks où les pacifiques sheamm et leamm attendent la venue d'un être supérieur ? Et voici ce stupide Terrien que ces êtres télépathes, raffinés, prennent pour le messie. Ils supportent cet être féodal , haineux, et mesquin, malgré ses crimes. Que d'abus commis avant que disparaisse cette « créature ». Le roman démonte la supercherie suprême utilisée, éventuellement, par les sectes ou les gourous de toutes sortes.
          A première vue, on accorderait plus de compassion à Kid Jésus, ou à son curieux successeur. Sur le territoire F vit une colonie de Fouilleurs, habitant de gigantesques bulldozers. Ils creusent le sol gelé en quête de vestiges. Julius Port a découvert une cassette qui parle d'un certain Jésus de Nazareth et lui donne l'idée de devenir le porte-parole des « rats » et des « fouille-merde ». Quand il meurt dans l'explosion de sa voiture, le jeune Alano qu'il avait recueilli se fait désormais passer pour lui jusqu'au jour où il accepte de dire la vérité, ce qui lui sera fatal. Kid Jésus était-il un faux prophète, avide de gloire et d'argent ? Ou une marionnette aux mains de pouvoirs occultes mais impitoyables ?
          Si salut il y a, ne serait-il que dans la fuite, ou dans la lucidité durement conquise ? A moins qu'il se trouve dans la recherche difficultueuse d'une identité menacée, dédoublée ou perdue.


L'HOMME ALIENE, VICTIME / BOURREAU, A LA RECHERCHE D'UNE IDENTITE

          Que de fois le personnage pelotien se dédouble ou se disperse, ballotté par le maelström des violences de l'existence ou de sa propre mémoire !
          Au Canada, Zeke Paillette est victime de curieux Dérapages temporels et mentaux. Objet de flashes, il bascule dans un cauchemar qui semble le projeter dix ans plus tard dans un futur inquiétant. Pourquoi s'obstine-t-on à le prendre pour ce monstre que la police recherche ? Bourreau et victime, ou victime et bourreau, Zeke Paillette vit ce perpétuel décalage depuis qu'il a surpris dans sa maison, sa femme Carole en compagnie de Saintemine ! Il a basculé dans la folie hallucinatoire pour échapper au présent monstrueux qu'il ne peut assumer.&9;
          Des problèmes d'identité, le natural killer Zien Doors en éprouve aussi quand, dans Mourir au hasard, il « perd les pédales » au cours de ses macabres missions. Un « diagnopronostic » permet de supprimer l'angoisse de la mort en évaluant la date de ce terme. En fait, ces diagnostics sont truqués et on calcule l'espérance de vie d'un être humain en fonction des intérêts sociaux et, pour perfectionner le système, on provoque alors la maladie qui rendra la situation crédible.
          La peur peut pousser l'individu à se réfugier dans le pire des pièges, celui de la violence aveugle ou de la folie pour fuir une réalité insupportable. Tel semble être le double cas de Luc et de Cath. Le Sourire des crabes a menacé Luc et Cath, le frère et la sœur qui ont bravé l'interdit en devenant amants. Luc, enfermé dans ses fantasmes, doit conduire sa sœur Cath au centre de réorientation de Strasbourg II. Ce voyage se transforme en un hallucinant massacre sur une autoroute. C'est dans une explosion inouïe de violence que finit l'équipée sauvage. Mais ce voyage a-t-il réellement eu lieu puisque Cath est à la maison et qu'on retrouve Luc dans une voiture, serrant son seul ami, le pantin Polipotern, contre lui... C'est sans doute le récit le plus décapant et dévastateur du romancier.
          Le Sourire des crabes explore non seulement la fuite de la folie-refuge mais aussi celle de la sexualité différente, en l'occurrence l'inceste entre frère et sœur. Ce thème déjà apparu dans Ballade pour presque un homme, revient avec Jahell et Syll, plongés dans Une si profonde nuit.
          Sur le mode burlesque et délirant, on la retrouve dans la pièce : L'Ange étrange et la véritable vierge Marie Mac-Do, où le cadet Babar qui déjà, « doit aimer un peu trop sa grande sœur » ne déteste pas pour autant la benjamine !

          L'univers de La Foudre au ralenti est celui, mi-terrestre, mi sous-marin du monde clos de Denvercolorado. Go Laraldie, dont l'identité est trouble, fuit malgré une blessure à la tête. Son amie Sky s'inquiète de l'existence de son double, un clone détruit si elle ne paie pas son maintien. Le flic Deos Manken a un nouvel adjoint, Gon Hawkfish. Or, au fil du récit, toutes ces identités se révèlent fausses, dédoublées, tant les rôles sont machiavéliquement emmêlés. Go Laraldie serait en fait un détective pour l'Organisation mondiale du « clonning ». Il aurait payé la maintenance du clone de la jeune fille en se vendant lui-même. Or, le « spooking » est une escroquerie et Go est « mort »... à moins qu'il ne s'éveille dans la peau du flic Deos Manken ...qu'il a abattu ! Dernier clin d'œil dickien !


UN NOUVEL OPIUM : LES MEDIAS DE L'AVENIR

          L'Amérique et les médias suscitent chez Pelot les mêmes sentiments ambivalents et contradictoires de l'horreur et de la fascination. Comment ce fou d'images ne se sentirait-il pas impliqué dans le procès de la télévision ou de la vidéo, lui qui s'est nourri d'images cinématographiques ou vidéo.
          C'est dès 1977 que, dans plusieurs ouvrages SF, apparaît un ton critique d'autant plus acerbe que la parabole permet la distanciation nécessaire et l'effet de loupe. La charge est déjà féroce dans Le Sourire des crabes, sans indulgence pour les spectateurs de « Monde-Spectacle ».
          La Guerre olympique, c'est aussi la télévision instantanée, mondiale et quasi obligatoire, même pour ceux qui ne font pas partie des neuf millions de déviants sacrifiés, sous peine de se sentir excommuniés socialement. La grand messe cathodique conditionne l'univers. Allégorie terrible de l'occultation des vrais problèmes mondiaux par des pouvoirs médiatico-politiques de plus en plus puissants.
          Les médias de l'avenir trouvent leur apogée dans Les Pieds dans la tête. On implante maintenant la télévision directement dans les cerveaux. Diph Bilbee soigne son amie Kim Scciova dont l'implant interne a implosé, la plongeant dans le coma. Or, la mémoire folle de la jeune fille se déverse en lui. Véritable émetteur vivant, il devient créateur exclusif d'une chaîne. Mais Kim meurt. Diph peut émettre des signaux indétectables, même chez ceux qui n'ont pas de récepteur SPD.
          Ainsi, il est capable d'insinuer le doute, et une pensée différente du discours officiel toléré... , ce discours qui a tué son amie !
          Dans l'Etat-spectacle de Delirium Circus, reclus au cœur de l'univers gigantesque et fermé d' une complexe roue à aubes, tout est factice. Seule la mort est bien réelle pour les Frimeurs, cascadeurs rejetés hors du noyau des privilégiés qui croient régir les lois de ce spectacle permanent. Ce monde stellaire entièrement voué à la création et à la consommation du spectacle se suffit à lui-même. Au dehors, le monde est vide et ne s'ouvre que sur le faux espace insondable d'un ciel, paroi d'une bulle. C'est ce que va découvrir Citizen, l'acteur en quête du mythique Dieu-Public. « La roue à aubes » dentelée est la métaphore réalisée de l'illusion médiatique.
          La folie de l'image cathodique s'incarne aussi dans le personnage « hénaurme » de « Nazi Jones » .Dans La Nuit du Sagittaire, Pelot ne se contente pas de dénoncer le mensonge télévisuel. Par cette nouvelle allégorie, il l'accuse d'être une tueuse. L'écrivain Daniel Payle qui veut dénoncer toute la tricherie du système télévisuel n'échappera pas à la chasse entreprise lors du grand Jeu télévisé du Sagittaire. Pelot s'attache aussi à la falsification de la réalité par la télévision ou le roman et propose en outre une réflexion sur l'anarchie et la liberté individuelle, deux notions auxquelles il est viscéralement attaché.


L'UTOPIE REALISEE OU LA SOCIETE ANARCHISTE LIBERTAIRE

          Avant d'aborder ce thème, il faut tenter de restituer une sorte de « chronologie » du destin de l'homme à travers les récits S-F de Pelot. Selon lui, il existait sur Terre des sociétés indiennes respectueuses de la liberté de chacun...avant l'ethnocide. Mais le pouvoir colonisateur et guerrier n'a cessé de fomenté des expéditions destructrices et meurtrières.
          Les projets militaires ont parfois conditionné l'homme, l'utilisant comme cobaye dans des expérimentations dégradantes, capables d'attenter au psychisme de façon irréversible. Au-delà des cauchemars qu'ils ont fabriqué, les gouvernants aveuglés par leur puissance ont préparé le cataclysme final.
          Sur la Terre détruite ou malade, réduite à un champ de fouilles, ou livrée à la rouille ou à la maladie, on condamne les hommes à vivre sous terre, ou on les empêche de chercher les indices de l'apocalypse ou d'un passé caché. Même après l'holocauste, l'homme peut encore être manipulé, dupé, surveillé, fiché, réduit à l'état de marionnette ou étiqueté dans des castes rigides et savamment hiérarchisées.
          Pour endormir sa conscience politique, le nouveau pouvoir en place, toujours malade de sa puissance, conjuguera l'impact des sectes et de la religion, le nouvel opium des médias offrant, à l'échelle de la planète, le pain et le cirque aux seuls élus dociles, la séduction des drogues ou, inversement, la menace des implants cervicaux, la mort déguisée pour cacher la surpopulation ou un faux éden. A la recherche d'une identité plus improbable que jamais, le survivant se déglingue, se dédouble ou s'enfuit , ne sachant plus très bien s'il est victime ou bourreau, chasseur ou chassé, tour à tour contraint pour subsister, de chercher une issue improbable, désespérante et désespérée puisqu'il n'y a pas de salut. Sauf peut-être en soi-même, par la réflexion critique, toujours « marginale » dans un monde uniformisé, par la prise de conscience toujours risquée dans un univers surveillé où l'on est vite hors-jeu. Reste le pays rêvé, le retour à la civilisation « libertiste » d'antan. A l'anti-utopie invivable et infernale du monde détruit ou proche de sa destruction, Pelot oppose le rêve d'une société possible sans l'aliénation du pouvoir mais à l'échelle du petit groupe.
          Dans Nos armes sont de miel, est-ce parce qu'ils ont su s'adapter à une société anarchiste , — imparfaite certes, mais riche en potentialités, sans conflits ni violence, sans chef ni hiérarchie — , que les rescapés du projet Harpon évitent l'anéantissement ? A la fin de l'âge des conflits, la planète est exsangue. Décidés à poursuivre l'expansion hors de la Terre, les colonisateurs quittent le système solaire pour le super-espace. Seul le vaisseau du commandant Castillan fait surface. Sur une planète d'un gigantesque Anneau, les voyageurs sont accueillis par des hommes et des femmes sans armes. Peu à peu, ils apprennent à connaître un peuple qui évite les conflits, réfléchit à l'emploi de la violence, où l'autorité est détenue par chacun et par tous. Surprise finale : le vaisseau est en fait revenu à son point de départ. Ils n'ont traversé que le temps, pas l'espace.
          Avec Transit, Pelot veut montrer l'utopie réalisée, incarnée dans la société de Gayhirna ! Avant d'y parvenir, le « héros » pelotien vit dans l'amnésie, le mensonge, la vie inauthentique. S'il veut subsister, le malheureux Carry Galen doit accepter la falsification de la mémoire et du passé, oublier sa fabuleuse découverte, celle du pays de l'anarchie possible, pacifique et heureuse que ne saurait admettre la société hiérarchisée et technocratique du XXXIIIème siècle. Le Centre pyrénéen de recherches de l'IRTE au service de gouvernants puissants est l'antithèse de Gayirna, sorte de pays de Cocagne libertaire où s'éveille Gaynes, voyageur égaré. En fait, Carry (ou Gaynes) erre dans deux mondes parallèles inconciliables. Le pouvoir central de l'an 2102 ne peut tolérer la remise en cause des bases d'une société fonctionnant par la force, la centralisation et l'autorité, donc le rapport sera truqué, Gayhirna nié. Ainsi l'utopie demeurera-t-elle plus utopique que jamais. Serait-elle davantage que l'espoir mythique d'un paradis perdu ? C'est en tout cas par le biais d'un conte et d'un roman-jeunesse que le romancier continue son rêve.
          Il écrit pour son fils Les Aventures de Victor Piquelune. Son héros, après autant d'errances dans l'espace que le Petit Prince, arriva sur la planète Zananar harmonieuse et sans chef où toutes les idées étaient admises. Comment voulez-vous que Piquelune ne se laisse pas séduire ?
          C'est encore à travers un court roman publié en 1994, dans une collection pour la jeunesse : L'Expédition perdue que l'auteur revient sur ce thème de prédilection. Au cours de la conquête de mondes à coloniser, deux véhicules ont disparu sur une planète. Le commandant Golrak et trois cents hommes débarquent mais quelques vieillards pacifiques et muets sont bientôt exécutés. Des milliers d'autochtones encerclent pacifiquement les arrivants. Le chef de l'expédition précédente, apparaît sur un lecteur-vidéo et conseille à Golrak de suivre à pied les habitants de cette planète. Pendant les nuits de bivouac, Golrak, en rêve, prend conscience que l'invasion et le massacre sont des crimes et en vient à se considérer comme un résistant de cette planète Ariziane. La « promenade » dure assez longtemps pour l'amener au repentir et au désir de rester sur Ariziane, après la lente prise de conscience du respect nécessaire d'une vie, celle d'un vieillard.


SEULES ECHAPPATOIRES PROBABLES : L'ECRITURE POUR LE ROMANCIER, LA REFLEXION INDIVIDUELLE POUR CHACUN

          Folie, conditionnement ou mort psychique, lobotomie ou élimination physique, piège de la drogue ou de la violence née d'un noir désespoir, oubli : voilà ce qui advient souvent au terme de « l'odyssée pelotienne » ; au bout du maelström de violence qui tente d'atteindre une vérité au risque de se heurter au néant, après les « plongées » et les « résurgences » dans les dédales d'une mémoire malmenée.&9;
          Où se trouve l'unité de toutes ces paraboles ? Peut-être dans la dénonciation d'une société piégée, illusoire, mensongère. Monde factice où l'homme est aliéné, nié dans son individualité. On comprend, dès lors, que l'auteur, pris parfois dans les rets de ses créations, cherche à tirer son épingle du jeu au prix d'un labeur incessant. Il lui arrive de se révolter contre cette écriture-tricherie comme dans Blues pour Julie, récit composé de flashes douloureux.
          Reconstitution volontairement morcelée de la vie de Julie Ablet, une jeune fille née dans la guerre, c'est un récit éclaté et tragique. Est-ce seulement par l'écriture que le romancier se sent exister ? Thérapie, catharsis, besoin de pousser Le Cri du prisonnier, du fond de son cerveau-géôle : voilà une raison certaine d'aligner les mots, jour après jour, depuis trente ans déjà. Car il n'est pas de fuite possible. Ou plutôt c'est la fuite « réussie » qui est le véritable échec. C'est, dans la fiction, l'égarement existentiel de Citizen, faussement évadé de Delirium Circus. L'écriture n'est pas fuite du réel mais affrontement permanent par le biais de l'écriture avec un monde pleins d'aspérités et de consistance. Encore faut-il échapper à la folie qui, même au pays des mots, n'est pas toujours salvatrice ! Tenter d'échapper aux ténèbres et de préserver un peu de lumière dans cette « Nuit sur la Terre ». Mais les séries et les cycles, évoquant tant d'errances folles, renvoient plus à la nuit qu'à l'espoir d'une aube lumineuse !


LE REVE DE LUCY » OU LA RENAISSANCE DU « MERVEILLEUX SCIENTIFIQUE »

          En 1991, « trois personnalités heureusement différentes » se rencontrent pour ressusciter par la plume et le trait notre lointaine cousine, Lucy, retrouvée dans l'Afar éthiopien. Le scientifique Yves Coppens, l'un des « inventeurs » de cette Australopithèque sortant à peine de sa gangue animale ; Tanino Liberatore, le dessinateur de Ranxerox, et le romancier unissent leur talent pour rendre vie à cet être, vieux de trois millions d'années et dont nous ne connaissons que 52 fragments d'os. Impossible de nommer les êtres, les repères spatiaux et temporels. Le texte ne peut s'épancher que sur le mode du récit, toute « parole » étant impossible .Pourtant, et peut-être à cause de ces terribles exigences, les phrases déroulent leurs périodes lentement mûries. Naît alors une prose très poétique, comme surgie du fond des âges, souvent périphrastique ou métaphorique, presque toujours envoûtante et constamment mélodieuse. Selon Yves Coppens lui-même, Pelot a su « inventer juste assez pour que l'ensemble soit agréable, original, coloré, sensible et beau ». La petite Lucy, préhumain d'une harde qui se nourrit de baies et de racines, a déjà connu beaucoup d'épreuves, même si elle n'a qu'une vingtaine d'années. Elle rencontre un jour un autre groupe « d'une même habitude » mais carnivore et sachant se servir d'outils. Bien qu'un dangereux félin rôde sans cesse, attisée par la curiosité et troublée, elle oublie son groupe et suit ces premiers hommes qui savent lancer les pierres, chasser les « dévoreurs aux dents qui frappent » et se nourrir de proies.
          L'un de ces « homo habilis » qui l'a remarquée permet la naissance d'une « idylle d'une très grande pudeur », mais aussi d'un drame que l'écrivain de La Drave, de la rivière impitoyable « qui gronde » parfois, peut mener au terme que l'on devine.
          Au-delà des gestes recréés, des mouvements superbement rendus par les dessins sobres et justes de Liberatore, ce qui suscite l'admiration, c'est l'émergence ténue d'une conscience, c'est la naissance douce, à fleur de cœur, de l'émotion. Cet ouvrage ressuscite « le merveilleux scientifique » cher à J-H Rosny. Yves Coppens conclut : « Certains traits sont incontestables, certains comportements probables, la montée de la réflexion certaine, mais indémontrable ». Dernier hommage sobre et pertinent : « L'histoire est de toute façon belle , la poésie y trouve son compte et la préhistoire ne la reniera pas ». Les investigations fictionnelles de Pelot au cœur du paléolithique se poursuivent aujourd'hui, toujours avec la collaboration éclairée du scientifique. A l'autre bout du temps, c'est encore à l'homme que le romancier accorde la primauté et un regard d'une vigoureuse tendresse.
          Quels que soient les thèmes traités par Pelot en SF, on sait que ce qui l'intéresse, c'est l'homme empêtré dans un monde qu'il n'a pas choisi, croyant, en s'enferrant parfois davantage dans le piège, sauvegarder ce peu de liberté d'esprit chèrement défendu, et surtout cette envie de survivre, même s'il faut se battre ou fuir au bout d'un monde, sans être sûr de quitter les ténèbres. Ecrire de la SF ou non, c'est tenter toujours de contrer la mort.

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