Quand certains savants entendent le mot science-fiction, ils sortent leur revolver. Ainsi le professeur Robert Debré : "Je suis résolument défavorable à l'égard de la science-fiction. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il n'y a pas de science dans la fiction. Science-fiction est donc un terme parfaitement contradictoire. La science est une chose, la fiction en est une autre. Le mélange des deux donne quelque chose d'absurde et d'insupportable " (cité par Igor et Grichka Bogdanoff dans L'effet science-fiction).
Prenant au pied de la lettre le mot créé par Hugo Gernsback, ce digne professeur en arrive à proférer des énormités. Comme s'il n'y avait pas d'imaginaire dans la science, comme si toute fiction n'était pas imprégnée de la culture scientifique de son époque ! La science-fiction n'emprunte pas à la science ses seuls objets sinon il n'y aurait de S-F que la hard science - mais essentiellement sa démarche, sa cohérence interne, son souci de comprendre, son désir fantasmatique du "rien n'est impossible" basé sur une curiosité enthousiaste. Il lui arrive même parfois de "tomber" juste ! Ainsi la nouvelle de Cleve Cartmill, Deadline (parue dans le numéro de mars 1944 d'Astounding) était tellement plausible que l'auteur reçut la visite des agents du contre-espionnage militaire, persuadés qu'il y avait eu des fuites dans le projet Manhattan, projet chargé de la réalisation des bombes atomiques qui allaient être envoyées sur le japon l'année d'après ! Mais qu'importe ce "label" d'authenticité ! Seule littérature à fantasmer sur l'objet technologique et sur le désir ambigu qu'il provoque, la science-fiction, née des profonds bouleversements sociaux et technologiques de la fin du XIXème siècle, est essentiellement un rêve de science. Et même, lorsqu'elle ne parle pas du tout de science, la S-F a le droit de garder son appellation car, tout comme la science, elle est avant tout une vision du monde. Un regard.
Mais laissons la parole à Philippe Curval qui, dans une lettre personnelle, démontait lui aussi le mot science-fiction, mais pour arriver, on s'en doute, à une conclusion radicalement inverse de celle du professeur Debré. "Il suffit de juxtaposer les notions culturellement antagonistes contenues dans ce néologisme pour comprendre son mode d'action. L'idée de science (dans l'acception la plus large du terme) en conférant à la fiction un caractère logique, permet d'en consolider les structures. A travers diverses disciplines, il est possible de transporter techniquement les fantasmes dans la réalité, comme de révéler l'apparition de nouvelles mythologies quotidiennes. La fiction, quant à elle, ajoute à la science une dimension imaginaire qui en perturbe les mécanismes, elle relativise ses théories et ses impasses. Son mode littéraire ouvre la voie aux spéculations les plus audacieuses sur tous les plans de l'esprit."
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