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Entretien avec Jess Kaan

Lucie CHENU

nooSFere, août 2004

     Jess, tu es un auteur passionné. Depuis combien de temps écris-tu et que lis-tu ? quels sont les auteurs qui ont de l'influence sur toi ?

     J'écris depuis 1996 et sérieusement depuis 1999.... Je lis essentiellement du fantastique, un peu de fantasy même si j'avoue avoir du mal avec ce genre et si un livre de sf me plaît comme le 2001 d'Arthur C. Clarke, je le dévore sans pitié. Il faut absolument que je me fasse la trilogie martienne, soit dit en passant. Dernièrement, je suis tombé sur la trilogie des romans de Chattam, des histoires de tueur en série, et j'ai pris un vrai plaisir à les avaler, d'autant que j'ai rencontré l'auteur à Lens et que nous avons des inspirations communes... En fait, je pense que tous les auteurs que je découvre ont plus ou moins d'influence qu'elle soit stylistique ou au niveau thématique. Lovecraft pour sa thématique, King pour sa manière de mettre en place les récits, James Herbert pour son côté efficace... J'aime aussi lire Léa Silhol car le baroque de son style est fascinant... Et j'allais oublier que j'aime les livres historiques parce que cette matière, l'Histoire, est pour moi un vrai plaisir, elle nous apprend tellement de choses et est source de multiples inspirations...

     Pourquoi as-tu du mal avec la Fantasy ?

     En fait j'ai du mal avec une certaine fantasy trop manichéenne. Pour moi l'idée du Mal absolu a un côté un peu dépassé, rétrograde. Idem avec le bien absolu évidemment ! En outre, les histoires de barbare ne m'emballent pas souvent...

     On a parfois l'impression qu'il y a trois Jess :
     — celui des fanzines, qui écrit des trucs très gore, sanguinolents, horribles ou parfois rigolos
     — celui des nouvelles fantastiques plus fouillées, plus subtiles et poignantes, qui paraissent dans Emblèmes, par exemple (et je suppose dans ton recueil ?)
     — celui d'Eidonius qui a créé un monde de fantasy à la fois original et calqué sur le nôtre, où se déroulent des histoires de détective privés à se rouler par terre de rire
     As-tu toi aussi l'impression de te « mettre dans des états différents » selon le type d'histoire que tu veux écrire ?

     Argh une entité tricéphale mais c'est horrible ce que tu me dis là ! (rires). Ou alors ce serait du clonage à la Multiplicity (film avec Mickael Keaton)... En fait, je vais te décevoir, mais il n'y a qu'un seul Jess qui écrit selon son humeur du moment. Eidonius est un formidable exutoire, la possibilité d'évoquer des sujets de société sous couvert de plaisanterie et sans que personne ne s'en aperçoive... Pour les nouvelles horribles ou fouillées, j'essaie de ne pas écrire de l'horreur pour l'horreur. Déjà que certains me qualifient de parangon de l'excès de violence.... Question nouvelles destinées aux fanzines, certaines ont manqué de relecture et gagneraient à être retravaillées. Avec un éditeur pro, tu as une phase de correction, mais au moins ton texte sort nickel !

     Qu'est-ce qui t'inspire dans ta vie ? As-tu le sentiment d'écrire des histoires vécues ou des histoires complètement inventées, hors de la réalité ?

     Encore une très vaste question.. Ce qui m'inspire ce sont généralement les entrefilets que l'on trouve dans le journal, les brèves dont certains J.T ne vont jamais parler, en deux mots LA RÉALITÉ. Parce qu'elle est intéressante et angoissante. Par exemple j'ai commencé à écrire en parlant de la résistance des bactéries aux antibiotiques dans ma première nouvelle pro Fast-food. Je ne suis pas un visionnaire, mais à l'époque j'avais constitué un dossier de plus de 50 pages et dernièrement on a commencé à nous marteler que les antibiotiques ce n'est pas automatique (rires dépités). Donc je démarre presque toujours d'un postulat vraisemblable, je tourne autour des thèmes qui me paraissent les plus inquiétants et je les exploite. Je ne pense pas me situer en dehors de la réalité ou alors à de rares exceptions près. On me qualifie de parangon de l'excès de violence (oui, je ne m'en suis pas remis), mais ce n'est pas moi qui suis violent, c'est le monde et le nier, c'est nier un fondement de sa nature. Sur mon site, j'ai averti les visiteurs en disant que « la réalité est pire que la fiction ». Je le pense sincèrement, certaines choses sont tellement laides qu'on évite d'en parler, tant de personnes sacrifiées sur l'autel des préoccupations économiques, tant d'esprits manipulés par manque de culture, tant de gosses exploités, violés, battus, livrés à eux-mêmes qui tourneront sans doute mal, suscitant toujours plus de répression et je ne peux manquer d'évoquer l'environnement, maltraité, par la plupart d'entre nous (je m'y inclue). Donc tu vois, je pense vraiment écrire dans la réalité.

     Crois-tu qu'un auteur soit le témoin de son époque ? Te ressens-tu comme tel ?

     Je doute que ce soit l'apanage des auteurs d'être les témoins de leur époque. Toute personne est potentiellement témoin et actrice de son époque, encore faut-il le vouloir. Prends l'exemple du vote, celui qui s'abstient aura beau jeu de critiquer, mais qu'aura-t-il fait ? L'écrivain, par besoin d'inspiration, a besoin de se plonger au contact de la réalité et il en ressort que, contrairement à certaines idées établies, il ne vit pas dans une tour d'ivoire sauf exceptions ne méritant pas d'être citées. Il perçoit davantage certains faits qui peuvent échapper à certains de ses contemporains...
     Donc je témoigne peut-être de ce que je vois à travers mes écrits. J'avoue ils sont parfois violents, parlent souvent d'environnement, de solitude et de société, des sujets qui me touchent mais je ne prétends pas incarner LE témoin par excellence. Tout témoignage est par nature subjectif puisqu'il découle de l'éducation, de notre culture aussi.... Bref si je suis témoin, je ne suis pas modèle pour autant.

     Comment s'est fait le choix des nouvelles de ton recueil ? Cela a-t-il été difficile ?

     Concernant la thématique, on s'est orienté d'emblée vers le sombre quoi que l'on trouvera un texte comique dans le recueil... Si si ! (non ce n'est pas Eidonius). Deux textes ont immédiatement émergé à savoir Quand Lune saigne, mon premier texte paru aux Éditions de l'Oxymore, et Bloody Venise. Disons que celui que vous lisez dans l'Emblèmes est une sixième ou septième mouture et que pour faire tenir ce bébé dans son landau de papier, il a fallu couper quelques scènes. Lorsque le projet de recueil s'est précisé, Léa Silhol, directrice littéraire, a insisté pour que l'on retrouve la version entière et voilà on obtient ainsi un Bloody Venise version 2004.... Ensuite, je me suis posé la question de savoir si je reprenais d'autres textes, ceux parus en fanzine notamment. Si on pouvait surmonter les problèmes stylistiques par un travail de réécriture, la plupart d'entre eux ne me semblaient plus correspondre à mes thèmes et hantises actuelles. En revanche, je suis allé rechercher des textes que j'avais en stock, faute d'avoir trouvé le support adéquat. Ainsi, on découvre Sukkal que j'aime beaucoup parce que c'est le texte synonyme de ténacité. En effet, il a connu une histoire plutôt mouvementée. Juges-en ! Soumis à un premier éditeur qui fit faillite entre temps, il fut retenu par une revue qui ne se vit pas le jour faute de sponsors publicitaires... Résultat, excepté ce texte et Dérobade que j'ai enfin pu développer comme je l'entendais, c'est à dire en le doublant de longueur pour permettre au lecteur de s'imprégner de l'ambiance de Crippletown je me suis mis à écrire sur mes préoccupations actuelles. Il faut dire qu'entre temps, deux événements m'ont marqué comme tout un chacun, le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002... Je n'épiloguerai pas là-dessus, mais pour moi ce sont certainement les événements les plus marquants après Tchernobyl et la Chute du Mur de Berlin (événements que j'ai vécus en direct entends-je)... Revenons à nos moutons toutefois, j'ai enfin pu donner corps au Bayou que je portais en moi depuis 5 ans. Je voulais l'écrire, mais je remisais à plus tard justement parce que je me cantonnais aux textes d'inspiration lovecraftienne... On trouve aussi Rustbelt l'un de mes préférés parce qu'il se déroule dans mon Nord, London Calling comme une volonté de rendre hommage au mouvement Punk ou An Urban and Modern Faery Tale - enfin presque... Tous ces textes et les autres portent quelque chose, une vision. J'avais envie d'insérer un Eidonius, mais ça tranchait trop avec le reste...

     Dérobade et Le Bayou parlent toutes deux de Nature, l'une est très noire, l'autre au contraire a une fin optimiste. La sauvegarde de la Nature est-elle quelque chose d'important pour toi ?

     Fin optimiste, c'est ce que tu as voulu y voir, à chacun de se forger son idée... Comme je te le disais la sauvegarde de la nature est quelque chose de primordial pour moi, parce que la nature, ce n'est pas un héritage de nos ancêtres mais un emprunt aux générations futures (non ce n'est pas de moi, mais c'est une formule si juste qu'il fallait que je l'emploie). Nous sommes dans un monde qui l'oublie trop souvent, absorbé qu'il est par les préoccupations économiques, le chantage à l'emploi... Quand une entreprise vient créer 100 emplois, les politiques se taisent et la plupart des gens aussi. Au contraire, ils sont bien contents. Quand quelques vingt ans plus tard, les premiers cancers liés à cette installation apparaissent, il y en a qui persistent à dire Amen. Nous vivons une réalité un peu bizarre au sens où on n'a pas vraiment de projet de société. On produit, on bosse, on a des gosses, on achète des produits à la mode, mais derrière tout cela il y a un grand vide, enfin c'est mon sentiment. C'est comme dire, dans des décennies on va coloniser l'espace. Franchement à quoi cela va-t-il servir ? Pourquoi chercher à connaître nos origines si on ne parvient pas à combler le fossé qui sépare une partie de l'humanité nantie de la majorité ?

     Quels sont les films et musique qui comptent pour toi ? BD, peintres, etc... ?

     Commençons par les musiques.... J'aime Rob Zombie, Marylin Manson, The Offspring (enfin surtout leurs débuts), j'aime aussi un petit groupe local appelé Frozentime (voir <http://frozentime.Free.fr>), je suis très hard rock (parce que je suis un doux et timide à l'intérieur), mais je peux aussi écouter du classique, des musiques de films.... Question film justement, j'aime le cinéma de Carpenter, j'adore revoir Christine ou The Thing, l'Antre de la folie est à mon avis l'un de ses meilleurs opus et parfois je tombe sur les films fantastiques du cinéma espagnol et paf la grosse baffe.... Niveau télé, j'aime certaines séries, les premières saisons de X-Files étaient géniales, dernièrement j'ai adoré John Doe, même si je voyais le truc venir, j'ai du mal avec Star Trek et je profite de cette interview pour solliciter une chaîne afin qu'on nous repasse les vieux épisodes de la 4ème dimension ! ! ! ! J'aime aussi certains dessins animés, La Ligue des Justiciers, The Simpsons... Question BD, je suis fan de Lanfeust ou des Trolls de Troy, des comics qui ont bercé mon enfance (enfin quand on en achetait) les X-Men, Spiderman et j'en passe.
     Pour la peinture, j'aime Goya ou Bouts qui m'a permis de rencontrer ma Muse.... Mais Giger est à mon sens un visionnaire.... D'ailleurs ça me fait penser que Sébastien Bermès qui a réalisé la couverture de mon recueil est aussi l'un de mes favoris.... Parce qu'il existe une symbiose entre ce que j'écris et ce qu'il dessine, qu'on se comprend vachement bien...

     Il est vrai que cette couverture reflète vraiment bien ton univers ! Sébastien s'est-il inspiré d'une scène particulière ? As-tu choisi entre plusieurs esquisses ?

     Sébastien est un génie. Je peux y aller de mes compliments car il sera trop tard quand il découvrira cette interview ! Il a saisi mon écriture, ce qu'il y a derrière et c'est un plaisir de bosser avec lui. Pour l'œuvre, j'ai osé dire ce que j'aimerais et il m'a rétorqué, « ce que tu veux c'est carrément impossible ! Une peinture, ce n'est pas quatre dimensions ». Alors il a fait plusieurs projets et les a présentés. Et ô surprise, il y avait l'ange. Ce dernier m'a emballé d'emblée et il a continué et au final, son œuvre ressemble vraiment à ce que j'avais demandé... Surtout les multiples styles architecturaux... Pour la scène, il ne s'agit nullement d'une scène du recueil mais de son ambiance... Du très grand œuvre !

     Et il y a aussi ton site, <http://perso.wanadoo.fr/jess.kaan> qui est visuellement extraordinaire. Tu aimes à mettre à jour Petite Horreur et à avoir des retours de la part des internautes, je crois ? Tu es toi-même un surfeur invétéré, non ?

     Extraordinaire grâce à Willy Favre, le papa impie des Bionymphes... Au début quand j'ai lancé ma version alpha, j'avais un tas de cliparts monstrueux et rien d'autre ! Puis Willy est venu avec son talent et petit à petit sont nées les bionymphes. Concernant le site, je dirai qu'il s'agit de ma carte de visite d'auteur. J'essaie de l'entretenir, de parler de sujets autres que moi (zodiaque, légendes...), mais ces derniers temps, on y trouve surtout un développement exponentiel du Kaan Klub. Pour les retours, on reçoit parfois des trucs marrants, du genre en langage SMS, « ton site é nul, y a pa d'i mage ». Pour un site d'auteur, c'est plutôt normal. Donc les retours j'aime, mais surtout sur ce que j'écris... Et je plaide coupable pour le surf invétéré...

     Jess, cette interview touche à sa fin ? Peux-tu nous parler de tes projets ?

     J'ai déjà dit que j'avais trois romans en chantier dans ma tête et là je m'attelle à peaufiner celui avec Eidonius, un roman marrant, une quête pleine d'allusions... et il y a d'autres projets secrets dont je ne parlerai pas par superstition...

Entretien réalisé par courrier électronique en juillet 2004.
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