Pierre Gévart, quel est (sont) ton (tes) métier(s) ?
Je suis Directeur de l'Institut Régional d'Administration (IRA) de Lille. Il y a 5 IRA en France, et ce sont des écoles de formation des cadres (attachés) de l'administration de l'Etat. C'est à ce titre que je voyage beaucoup, car les IRA ont aussi une mission de relations internationales. Mais je suis également Professeur associé de l'Université de Lille. Dans ce cadre, je dirige une formation préparatoire à l'ENA.
Je suis encore auteur de manuels spécialisés. J'ai publié des ouvrages de méthodologie (note de synthèse), et j'ai en préparation un manuel sur la fonction publique et un autre sur les administrations françaises.
Mon quatrième métier, c'est écrivain et auteur dramatique (c'est celui qui t'intéresse !)
Je suis aussi président de quelques associations, et surtout Papa et mari, et pire : un mari bricoleur !
Depuis quand écris-tu ? Et depuis quand écris-tu de la SF en particulier ?
J'ai appris à écrire à 5 ans, et j'ai immédiatement écrit mon premier livre, un guide illustré de la chasse aux éléphants (expliquant entre autre comment scier un arbre pour que, en s'appuyant contre pour dormir, l'éléphant tombe et que etc. Tu vois le tableau !) J'ai depuis changé souvent de sujet, mais je n'ai jamais arrêté. La SF, je l'ai rencontrée plus tard, dans des livres de Victor Appleton, puis dans des Fleuve Noir que m'avait offerts — j'avais douze ans — un écrivain du Fleuve, héros de la résistance, qui voulait écrémer sa bibliothèque. Dans le tas, il y avait aussi des polars, de l'espionnage et de l'angoisse, mais je n'ai apprécié que la SF. Du coup, j'ai acheté quelques volumes de chez Marabout (dont Pour une autre Terre, de Van Vogt, un titre qui me dit quelque chose) et à treize ans j'ai commencé un roman inspiré aussi par l'école occultiste (je venais de lire « les grands initiés », d'Edgar (ou Edouard) Schuré), mais qui s'arrête sur un suspense intenable en plein chapitre 12. Malheureusement, je ne sais plus ce qui se passe après. Finalement, après un autre roman non SF, et que j'avais complètement oublié avant de le retrouver au fond d'un carton il y a quelques années, et inspiré quant à lui par mon expérience de mai 68, j'ai achevé mon premier roman de SF, L'affaire Gorinsky, jamais publié (et c'est une bonne chose), en 1974.
Tu parles de Pour une autre Terre et je sais que cela fait référence à quelque chose de particulier pour toi : une expérience d'écriture collective avec des auteurs amateurs. Est-ce l'enseignant qui agit là ? Peux-tu nous parler de ces mystérieux PUAT ?
Quels sont les auteurs plus récents qui te marquent ou t'influencent ? Quels films aimes-tu ? Quelle musique écoutes-tu ?
Commençons par la fin : En ce moment précis, j'écoutais Bee-Bop a Lula à la radio. Sinon je navigue du Jazz à la musique classique en passant par la musique celtique, Renaud, Pink Floyd, les lithurgies orthodoxes, les Dubliners, Satie, et celles que composent ceux de mes fils qui grattent leur guitare.
J'aime bien le cinéma français actuel, Guedigian, Garcia, Resnais, Klapisch, etc. Mais je me plonge sans remords dans les films de SF américains. J'adore le cinema italien de Rossellini et Visconti, Les damnés est un film culte. J'aime le cinéma Russe des années 50, le Décalogue de Kieslowski, Woody Allen, dont j'ai tout vu et tout lu, les dessins animés de Walt Disney, Men in Black, etc.
Les auteurs qui me marquent ? Bordage, Pelot, Feist, Pratchett, Dick (je sais, tu as dit récents !), et j'en oublie, pour la SF, Francisco Coloane, Fred Vargas, Amélie Nothomb, Tahar Ben Jelloun, etc. pour le reste. J'ai un faible pour les littératures africaines et chinoises, aussi, et j'ai été longtemps abonné à une revue de nouvelles traduites du chinois, imprimées à Pékin (Bei-Jing)
Quant au PUAT, hélas mystérieux, c'est un excellent souvenir, et pas seulement un souvenir. Nous avons décidé de nous mettre à douze pour écrire : chacun écrivait une nouvelle, et successivement, chacun des onze autres la reprenait. Le résultat était intéressant, mais il n'a intéressé personne, semble-t-il. Heureusement, on peut le trouver sur le net, sur le site éponyme. (Que celui qui a tapé « éponyme » dans le moteur de recherche se cache la tête dans le sable !). C'était assez joyeux, ça partait dans tous les sens, mais nous y sommes arrivés, et tout ça s'est terminé par un banquet, comme chez Astérix. Maintenant, et tu en sais quelque chose, nous essayons de refaire le truc sur un autre thème, et on arrivera même peut-être à quelque chose !
Feist, Pratchett, ça a des relents de Fantasy, ça ! Est-ce que tu écris de la fantasy et du fantastique, ou « seulement » de la SF ? (j'ai ma petite idée la-dessus mais c'est ta réponse que je veux ;-))
Je n'écris pas « seulement » de la SF, puisque j'écris aussi du théâtre, des nouvelles, des romans, des poèmes qui ne sont ni de la SF ni du fantastique, ni de la fantasy. Ce que Dick appelait le main stream. Mais bon, dans ce domaine particulier, j'écris plutôt de la SF que le reste, encore que j'ai écrit quelques nouvelles fantastiques (dont « SVEN », à chercher sur le net 1) et que certains textes (dont la Décroisade, roman, ou certains des six livres du cycle de Rom't) se rapprochent de la fantasy.
Je voudrais que tu nous parles de tes rapports avec l'édition. Tu as été édité sous pseudonyme, pendant une période plus rien, et puis ça repart. Mais tu n'hésites pas à publier en fanzine ou sur le net. Comment cela s'est-il passé de ton point de vue ?
Comme tout le monde en envoyant des textes par la poste ; Puis, ça marche (quelquefois), ou ça ne marche pas (plus souvent). En fait, le premier vrai contrat, c'est avec Bayard Presse (Je Bouquine) pour le Maître du bronze. Sauf que je n'avais pas envoyé ce manuscrit, mais un autre, de SF, qui avait plu à l'éditeur, mais était deux fois et demi trop long. Je lui ai donc proposé deux nouvelles : Le faiseur de bronze, et Les colons. Les deux me semblaient pouvoir être développées. Il a choisi le premier, que j'ai renforcé par deux autres nouvelles, avant de donner du liant à l'ensemble. Plusieurs années après, alors que je passais devant le stand Bayard au salon du livre, l'éditeur (ou plutôt l'éditrice) m'a appelé, en me demandant un texte de SF. J'ai repris Les Colons, et j'en ai fait Les orages de Jouvence. Mais finalement, ça ne s'est pas fait, et j'ai porté le manuscrit chez Milan, qui me l'a pris tout de suite pour sa série : Les aventuriers. Mais l'essentiel de mon travail avec les éditeurs est aujourd'hui consacré à des ouvrages professionnels, pour lesquels on vient me chercher... et qui occupent mon emploi du temps six mois à l'avance... .
Pourquoi as-tu choisi de publier certains textes sous le nom d'Hugo Van Gaert, et pas d'autres ?
La France est un pays où on aime bien classer les gens par catégories. J'ai donc pensé qu'être plusieurs pouvait simplifier les choses. Et puis, cela m'amuse, d'avoir des pseudonymes. Il y en a au moins deux autres que j'utilise assez souvent...
En 2001, tu as eu le Prix Infini pour ta nouvelle Comment les choses se sont vraiment passées (on peut la lire sur <http://perso.wanadoo.fr/jplanque/Comment_les_choses.htm>), tu as été juré pour le concours de la 85ième dimension, section SF, peut-on dire que les prix et concours t'émoustillent en littérature ? Que tu aimes cet aspect compétition ?
Oui et non. J'aime bien relever des défis. C'est plutôt comme cela qu'il faut voir les choses : comme un défi à relever...
Est-ce différent d'écrire du théâtre ? Est-ce que tu montes sur scène aussi ? (ou est-ce que ton personnage d'homme public te suffit ;o) ?)
Bien sûr que c'est différent. Un même dialogue ne s'écrit pas de la même façon dans un roman, ou une pièce de théâtre, et ce n'est pas non plus le même dialogue qui est parlé. J'aime beaucoup écrire du théâtre. Je me joue la pièce dans ma tête, et j'écris en fait sous la dictée. Et je ne dédaigne pas de monter de temps en temps sur les planches, pour jouer de petits bouts de rôles dans des pièces mises en scène par ma fille, qui est comédienne professionnelle.
Tu as aussi une grande expérience de la radio, je crois ? Tu as écrit pour la radio, est-ce différent d'écrire pour être lu ?
Oui, car cela va être « parlé ». On n'écrit pas de la même manière. Il faut que les respirations soient ménagées, et aussi tenir compte du temps. J'ai appris, en écrivant pour la radio, à cadrer mes textes en volume. Maintenant, je ne sais pas toujours où je vais quand je prends la plume (et même, je ne le sais toujours pas), mais je sais exactement quelle longueur cela aura.
Est-ce que tu joues à des jeu de rôles ? Je suis tombée sur le web sur une réponse que tu faisais sur un forum en expliquant certains termes propres aux JdR.
J'ai beaucoup joué à des jeux de rôle dans les années 80. J'ai été un MD assez efficace, je crois. Mais j'ai passé le flambeau, et il faut ici retirer à Pierre pour donner à Paul. Paul Gévart étant un de mes fils, qui s'apprête d'ailleurs à lancer une revue de jeux de rôle dans laquelle je me contenterai de placer des bandes dessinées, car je sévis aussi dans ce domaine (encore avec un autre pseudo). L'ordinateur d'où Paul a répondu à la question à laquelle tu as fait allusion était le mien, d'où la confusion.
De la BD ? Quoi ? Que ? Qui ? Où ? et sous quel pseudo ? et quel genre de BD ?
En BD, je suis PIGE (sauf une planche, en 1978, publiée au Maroc et signée BUGGY). J'ai produit des BD humoristiques dans les années 70, dans des Fanzines :
J'ai été auteur complet pour « Les aventures hépatiques de Fasciola et Patica, douves du foie »,
J'ai également dessiné un certain nombre de planches sur des scénarios humoristiques d'autres scénaristes
J'ai dessiné et scénarisé les 5 premières planches d'une BD réaliste : Till Eulenspiegel, avant de garder le scénario mais de repasser le dessin à Foral.
Encore deux courts récits de SF réalistes dessinés par Foral et par Chrys, et un scénario de 44 planches SF non encore dessiné
Dans les années 80, un TINTIN pirate, scénarisé et dessiné pendant ma scolarité à l'ENA, et qui s'appelle bien sûr « Tintin à l'ENA », accessible sur Internet
Dans les années 90, j'ai travaillé au passage en BD de mon roman paru chez « Je Bouquine » : Le Maître du Bronze, mais, pour des raisons diverses (manque de temps), le dessinateur, Michel KOKOT, n'a pu terminer.
En ce moment, je travaille sur des strips de 3 ou 4 vignettes : « Colomb » et « Chevalier blanc », avec cette particularité que je les dessine avec des textes anglais ou espagnol (deux langues que je trouve beaucoup mieux adaptées à ce type de dialogue), avant de les traduire en français
De temps en temps, je passe aussi un scénario à deux autres de mes enfants : Sarah et Louis, qui font aussi de la BD.
Ton dernier roman, Orphée, Eurydice... , est paru aux éditions du Ver Luisant avec « La Gitane », une nouvelle très émouvante. Le roman est par contre à cheval sur un registre comique
et une gravité presque philosophique. Le tout avec une mise en scène très théâtrale. Tour à tour sont mis en avant les points de vue d'Orphée et d'Eurydice, dans cette fable que tu as transposé à notre époque. Peut-on dire qu'Orphée, c'est aussi un peu toi ?
À ceci près que moi, c'est le Perrier qui me rend dépendant. Sérieusement, pour décrire les rapports d'Orphée avec l'alcool, je me suis servi des miens avec le Perrier (il m'arrive de me glisser la nuit hors du lit conjugal pour aller en vider une bouteille dans la cuisine. Perrier, c'est fou !). Mais en fait, même s'il y a un peu de l'auteur dans chacun de ses personnages, je ne me sens rien de commun avec Orphée, celui du roman. Il passe sa vie à passer à côté. Je me sens beaucoup plus Eurydice. Oui, c'est elle, mon personnage.
Et maintenant, quels sont tes projets, en tant qu'auteur ?
Mes projets actuels sont plutôt de ne pas en avoir. Pendant quatorze ans, je me suis contraint à écrire un roman chaque été, plus quelques autres. J'ai vraiment eu des années très denses. En ce moment, je l'ai déjà dit, j'ai des chantiers ouverts chez des éditeurs, mais dans un autre genre, qui ne nous intéresse pas ici. Je pense que je vais encore essayer de publier quelques textes anciens (j'ai encore une trentaine de romans inédits), mais je vais sans doute arrêter d'écrire pendant cinq ou six ans, une jachère, en quelque sorte, pour voir quelles drôles de plantes pousseront alors sur cette terre redevenue vierge.
Classique mais parfois efficace ;o) quelles sont les questions que je ne t'ai pas posées et auxquelles tu aurais aimé répondre ?
Des tonnes, Lucie, parce que j'adore répondre à tes questions. Mais si c'est moi qui dois les poser, alors là, ça ne m'amuse plus.
Merci pour cette réponse (^_^) et merci pour toutes tes réponses, Pierre !
Propos recueillis par e-mail et publiés sur Onire.com en juin 2001
Notes : 1. L'URL de SVEN est : <http://www.acdev.com/~fabrice/nouvelles/sven.htm>
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